Les Belles Personnes - Mauvaises Nouvelles
Quatre heures du matin sonnaient à l’horloge de l’hôtel de ville le plus proche, et des nuages menaçants s’amoncelaient dans le ciel quand Dick tourna enfin le coin de la rue où était situé le petit immeuble composé à parts égales de briques et de crasse où il avait ce qu’il appelait, par dérision, son office.
Il n’avait pas voulu rentrer directement après son entrevue avec l’Essaim. Déjà parce qu’il avait besoin de réfléchir, et que dans ces cas-là, rien ne valait une bonne marche à travers la ville – même si, contrairement à son habitude, il n’avait pas fait de rencontre fortuite avec une personne perdue de vue depuis des années et justement de retour en ville ce jour-là, ou eu l’œil attiré par un journal abandonné dans lequel un indice capital était dissimulé, ni été la victime d’un jet de pierre, bouteille, ou autre objet dangereux autour duquel une note mystérieuse aurait été attachée.
Ensuite parce qu’il ne savait que trop bien que rentrer directement chez lui, dans sa profession, était une Invitation aux Problèmes digne de Widget. Tous les privés de sa connaissance qui était rentré directement chez eux au cours d’une enquête avaient été victimes de Circonstances Etranges. Dans les meilleurs des cas, ils étaient juste morts. La plupart du temps, on ne les avait jamais retrouvés. Après trois cas avérés, le phénomène était rentré dans les dictionnaires médico-légaux de Oncuponatime à la rubrique « maladies professionnelles, » et les médecins du travail qui examinaient régulièrement les privés en circulation étaient tenus de leur poser la question « Avez-vous pensé à rentrer directement chez vous pendant une enquête, récemment ? », pour évaluer leur niveau de dépression.
Enfin, parce que Dick tenait absolument à ne pas croiser Tim O’Shaughnessy (à prononcer à la la française : /au-chog-nèèès-si). Un rescapé d’une époque où l’on considérait que chaque grand détective devait avoir sa contrepartie à la fois irritante et attachante afin de l’humaniser, quand elle ne résolvait pas tout simplement les affaires à sa place. Ainsi Batman avait eu Robin, Elijah Ballet, R. Daneel Olivaw, Basile le détective privé, Olivia, Gürdun Hegsïn, Augustine, la plante carnivore franco-canadienne qui s’exprimait en morse – Dick ne devait pas oublier de lui envoyer une carte, d’ailleurs, c’était bientôt son anniversaire - et Kiefer Sideburn s’était retrouvé flanqué d’un vendeur de gazettes et aspirant journaliste de douze ans, à la tignasse carotte et aux taches de rousseurs multiples, au cas où le lecteur aurait eu le moindre doute sur le fait que O’Shaughnessy soit un nom irlandais. Ledit sidekick s’était rapidement avéré être beaucoup plus populaire que son faire valoir, et, à son grand dam, se trouvait orphelin de détective depuis que celui-ci était rentré directement chez lui, un soir, après une soirée trop arrosée – même si certaines mauvaises langues murmuraient que Sideburn ne pouvait pas avoir été SI saoul, et qu’il avait probablement craqué après encore une enquête résolue en réalité par son acolyte alors qu’il était à deux doigts (littéralement deux doigts, ceux que le meurtrier avait perdu dans l’estomac d’un chien en s’enfuyant) d’y arriver tout seul. Depuis, l’acolyte en question ne cessait de se chercher un remplaçant, et semblait, au grand dam de Dick, avoir jeté son dévolu sur ce dernier.
D’un point de vue personnel, Dick n’avait rien contre le gamin – il l’appelait toujours ainsi, quand bien même celui-ci était probablement plus vieux que lui d’une décennie ou deux - si ce n’était qu’il ressentait un besoin impérieux de refermer ses mains sur sa gorge, ou de la bourrer avec ses foutus journaux dès que le gavroche parlait plus de cinq minutes d’affilée. Non que sa voix soit particulièrement désagréable, mais ses auteurs avaient décidé qu’il saurait tout systématiquement mieux que tout le monde, ce qui avait le malencontreux effet secondaire de nourrir les envies homicides du détective.
Toujours était-il que la satisfaction intérieure qu’il ressentait à ne pas voir Tim O’Shaughnessy ce soir-là fut rapidement tempérée par le déplaisir de voir le capitaine Ironhelm assis sur les marches du perron, une enveloppe blanche de mauvaise augure entre les mains. Juste quand Dick constatait ce fait, un éclair au sens du timing impeccable éclata au-dessus de la rue. Aussitôt, celle-ci fut noyée sous une pluie diluvienne, et Dick n’eût pas d’autre choix que de courir rejoindre le policier. Celui-ci s’était redressé, avertit de son arrivée par le début d’orage, et l’attendait, la mine inhabituellement sombre – ce qui, Dick devait bien se l’avouer, était probablement un comble pour un nain. Après tout, ils étaient réputés dans tout Oncuponatime pour leurs systèmes d’éclairages souterrain infaillibles
« Bonzoir, mon ami ».
Dick grimaça. Ironhelm n’était jamais poli avec lui, sauf en cas de coup dur, et sa présence impromptue, couplées à ses aventures de la matinée n’était pas pour le rassurer. Le détective se contenta de sortir ses clé et de déverrouiller la porte sans mot dire. Ironhelm le suivi dans le hall d’entrée, et, après avoir vaguement chassé l’eau de ses vêtements, lui tendit la lettre.
- What it it, this time, grommela le privé.
- Un afis d’effiction, ch’en ai peur, répondit le nain, les yeux rivés au sol. Ze n’ai rien pu vaire, zette vois…
Dick suivi son regard, contempla un moment le nœud du plancher dans lequel le policier semblait vouloir disparaître, puis les escaliers austères qui leur faisaient face, éclairés (le terme était généreux) par une unique ampoule nue qui pendait du plafond comme un gros vert luisant qui aurait raté son suicide, avant de soupirer.
- Whisky ? proposa-t-il.
Le nain acquiesça silencieusement.
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