Chapitre 5

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Filya pénétra furieuse dans la tente comme le témoignait le geste brusque pour en écarter les pans. Elle s’obligea à s’agenouille, sa taille la décervant, ses yeux, plus que lancer des éclairs la mitraillaient et son dos était aussi raide de colère contenue que le piquet qui dépassait son épaule.

—Est-ce que je suis la seule à avoir un esprit sensé dans cette famille ? Explosa-t-elle. Papa a même refusé que je les accompagne !

—Avec raison. Tu les encombrerais alors qu’avec nous tu es une force.

—Tu oses parler d’encombrement ? C’est à cause de ton accord qu’ils partent. Si nous leur tenions tête tous les deux…

—Ils seraient partis malgré tout.

Elle agitait ses bras dans de larges mouvements qui risquaient de la gifler si elle n’y prenait pas garde.

—Je pensais que tu serais d’accord. Tu maintenais que nous retrouverons Swieza.

—Que le clan entier partirait, pas ces deux… énergumènes. Ou qu’elle nous suive.

—Tu n’y crois pas toi-même.

—Bien sûr que si ! J’adorerais Swieza de tout mon cœur, plus que toi apparemment.

Ces mots la meurtrirent mais Reilaa conserva son calme.

—Tu ne sais plus ce que tu dis.

Et soudain, Filya éclata en sanglots. L’usure de ses nerfs avait eu raison d’elle et malgré l’eau qu’il fallait éviter de gaspiller, elle ne put retenir ses larmes.

—Excuse-moi. Ma famille vole en éclat et je ne peux rien y faire : tu nous a été arrachée petite ensuite Swieza et maintenant nos deux pères.

—Je suis toujours là, protesta Reilaa avec douceur.

Son métier de prophétesse l’éloignait des liens familiaux, renforçant par cette occasion l’attachement fraternel entre Filya et Swieza. Peut-être cette scission était seulement dû à une nomination hâtive, peut-être remontait-elle de leurs enfance où les babillements de Filya, d’un an sa cadette, l’agaçait, peut-être que son seul son caractère solitaire en était la cause. Sa sœur s’attachait à l’idée classique d’une famille : un couple de parents homosexuels, une fratrie d’enfants. Filya vivait dans le passé, refusait d’affronter les épreuves que lui réservait la vie et essayait de les contourner sans trop de succès. Reilaa savait aussi qu’elle seule ne pourrait répondre à son désir de famille unie ; un peu par son rôle de prophétesse qui la plaçait au rang de figure religieuse mais surtout pour sa nature indépendante. Un prophète et un guérisseur appartenait au clan.

—Ce n’est pas la même chose.

Filya s’assit, les bras enroulés autour de ses jambes.

—N’as-tu pas peur qu’ils ne reviennent pas ?

—Je suis terrorisée, corrigea Reilaa, mais les empêcher d’accomplir ce qu’ils pensent être leur destin est cruel et égoïste.

Filya tourna vers elle un regard empli de larme, de souffrance de la perte d’être chers. Avec son accord, Reilaa la pressa contra sa poitrine et caressa son échine de longs mouvements réconfortants.

—Est-ce que je le suis. Cruelle et égoïste.

—Non, petite sœur. Tu as manifesté ton amour et ton attachement à nos pères, ce qui est louables, moi, je n’aurai pu le faire, pas la manière dont tu t’y es prise. J’ai eu la facilité d’accepter leur projet, c’est là la seule preuve de ma reconnaissance envers eux.

Mieux valait enjoliver la vérité. Reilaa haïssait le mensonge mais elle n’était pas contre quelques tournures de phrases alambiquées si elles lui facilitaient le quotidien. La jeune femme lui parlait comme à une enfant, ce que Filya demandait pour se sentir en sécurité, lui rappelait que la force de son amour avait la pureté d’un ruisseau de montagnes. Liu-Yella appréciait ce trait de caractère chez les nomades qu’elle guidait. En réalité, elle supposait juste. La prophétesse comme la femme devait cautériser les plaies et plus tôt elles étaient nettoyées et désinfectées, plus vite elles guériraient. Elle ne considérait pas sa sœur comme telle mais si Reilaa lui montrait le droit chemin, Filya serait insupportable.

—Tu es forte, l’encouragea-t-elle. Tu surmonteras cette épreuve.

Sa cadette s’agrippa à ses épaules.

—Reilaa, comment fais-tu pour être si inflexible ?

Elle s’étonna de ce choix de mot ; ce terme lui renvoyait une personne aigrie, au visage tiré et sévère, d’une rigidité maladive. Reilaa n’ignorait rien des préjugés de sa sœur mais jamais elle n’aurait pensé qu’elle puisse la prendre pour ce genre de personnage. Etait-elle si froide, si insensible ? La jeune femme ne participait que rarement aux jeux des autres enfants quelques années en arrière, ils lui semblaient si puériles à pleurer pour une écorchure ou beugler parce qu’un tel l’avait poussé (souvent Reilaa) et le bourreau se faisait sévèrement réprimander. La jeune femme préférait converser avec les adultes et les ainés s’amusaient qu’une gamine joue à la grande. Ils ne comptabilisaient pas sa voix lors des votes, lui lançaient des œillades sévères qui l’obligeaient à se réfugier dans la tente de ses parents à écouter ses sœurs à bavasser de problèmes d’enfants. Jusqu’au jour où Mirri la désigna prophétesse. Les mines changeaient avec les années, passant à leurs yeux de l’innocente fillette qui voulaient grandir plus vite à une des personnalités des plus influentes. Boudeuse, froide, solitaire, pragmatique, peut-être mais inflexible ? Une boule se noua dans sa gorge asséchée.

Reilaa ne répondit pas à l’interrogation de sa sœur, celle-ci n’exigeait pas de réponse, se bornant à leur proximité physique. Une simple étreinte allait au-delà de paroles, d’une intention. Une histoire emprisonnée dans ses mots aurait perdu de son sens. Filya s’accrochait à elle comme au dernier membre d’une famille qui se dissolvait et Reilaa à elle pour conserver l’étincelle de vie qu’elle représentait. Peut-être ne avait-elle besoin alors que tout le rester manquait et le l’espoir tardait à apparaitre ; les deux sœurs s’enlacèrent quelques longues minutes durant un silence dont elles seules entendaient le bruit.

La tempête de sable giflait les flancs de la tente. Le vent sifflait à leurs oreilles, les pans de leur abri se soulevaient avec violence harponnés par la bourrasque, ondulants et gémissants. Les grains de sable s’infiltraient par les trous qui séparaient le sol de la toile et grinçaient en giflant la tente. Impossible de sortir tant que le nuage de poussière laisserait cour à sa fureur. Impossible d’affronter la nuit à la recherche des Trois Dames. Malgré la chaleur, les deux sœurs se pelotonnaient l’une contre l’autre alors que des hurlements de terreur cinglaient leurs ouïes. Ce n’était pas la peur qui les forçait à papilloter les paupières, pas plus que la surprise. Depuis leur naissance, ils vivaient en harmonie avec les caprices du désert, son humeur vacillante et terriblement susceptible ; tous savaient courber l’échine et s’incliner, les mains posées à plat sur les dunes dans une position apaisante. Il n’en fallait plus pour contenter la géante. De la même manière que Reilaa se dressait belliqueuse pour chercher un refuge pour son peuple, elle leur conseillait de reconnaitre le pouvoir du désert, élément farouche dont ils apprenaient le respect et non l’asservissement. C’était un équilibre que chacun pouvait perturber par des actions ou des paroles, bonnes ou malveillantes. Le Silimen jugeait et répondait. Sa réplique était véhémente aujourd’hui mais les fils tressés de la corde tenaient bon malgré les doigts de sable intrusifs. La bouche devait expirer tout l’air des poumons pour agrandir les trous, effort possible mais si épuisant qu’elle abandonna les ondulations superflues des lèvres pour privilégier la constance. Par ces petites ouvertures se glissaient des centaines de grains qui rebondirent sur les épaules des jeunes femmes les réveillant.

Reilaa s’extirpa dehors, bataillant avec les pans, victime de ce souffle puissant dépourvu de bras pour se protéger. La nuit s’annonçait mais pas la fin de la tempête. La chamelle meugla et avec ses paupières plissées et ses longs cils qui repoussaient tout agresseur et ses sabots fendus, elle ne risquait rien d’autre que du désagrément. Elle rabattit ses oreilles et lui tourna le dos en fouettant l’air de sa queue. En se protégeant de sa paume, Reilaa et quelques doyens décidèrent d’attendre l’accalmie ; un choix pas plus risqué que de continuer. Une tempête pouvait durer de quelques heures à quelques jours, la majorité étant deux ou trois parfois dix pour les plus violentes. Les mèches de ses cheveux fouettaient sa figure, s’enroulaient autour de ses cornes et sa nuque, martelaient omoplates et clavicules. Reilaa annonça la nouvelle à sa sœur qui inclina la tête, les yeux voilés d’interrogations muettes. Tous se les posaient, y compris la prophétesse, plus qu’incertaine des interprétations de ses songes bien qu’explicites. La jeune femme doutait peu de la lecture des signes envoyés par Liu-Yella, l’expérience l’affirmait : elle ne s’était trompée que de rares fois. Avec un rêve présentant trois vierges lui tendant la main, il était difficile de ne pas établir de liens avec la cité du Tiers, derrière le Cœur Ardent. Si elle craignait la rencontre avec de parfaits étrangers, elle craignait plus encore ne jamais la voir. La prophétesse les guidait selon l’inclinaison des étoiles et plus ils marchaient plus l’espoir s’étiolait ; Filya ne protesta pas et accueillit sont front contre le sien, lui ouvrit les bras d’une étreinte fraternelle.

Le vent s’enroulait autour de leurs chevilles, les glaçaient, les dégoûtaient. Ses lamentations faisaient écho à leurs propres plaintes intérieures et la pressions des poignets de sa sœur se resserra autour de sa taille. Leurs cœurs battaient à l’unission tantôt fiévreux, tantôt assoupis. Toutes deux cherchaient quelques minutes supplémentaires de sommeil, ne trouvèrent le répit que dans la somnolence. La tempête hurlait trop fort pour s’endormir. Habituées à de telles escarmouches, les deux sœurs savaient que seul le temps en viendrait à bout, ne restait que la subtile question du combien ? Il n’y avait dans l’outre assez d’eau pour lézarder trois, quatre jours supplémentaires et si tel était le cas, la soif les acculerait tel un fennec dans son terrier, les obligerait à côtoyer le danger pour une chance de survie. Reilaa frémissait de cette possibilité. Elle espérait, pour le salut de son clan, qu’elle ne durerait que quelques heures.

Par chance, Liu-Yella veillait sur eux. La tempête de sable cessa dans la moitié de la seconde demi-nuit bien que des traces de poussières persistaient dans l’air : les nuages s’amoncelaient autour des lunes, les dissimulaient à leurs yeux curieux, Reilaa ne put même sonder le ciel voilé qu’il était. Le sable charrié par le vent s’agglutinaient contre les tentes, ils les déblayèrent avec des gestes las et sanglèrent des chamelles aux lèvres retroussées. Avec des mouvements secs mais fatigués, Reilaa battit la toile avant de l’enrouler. La prophétesse les incita à se dépêcher, aida quelques vieillards à plier bagages pour gravir les dunes. Toutes traces derrière eux avaient disparu et usés, les membres de sa tribu trébuchaient et les traits des crêtes ondulantes dans le sable se brouillaient. Elle les guidait d’un pas aveugle, la chamelle dodelinant la tête derrière elle, la dépassait presque de sa démarche élastique. La prophétesse avait bien proposé à l’une ou l’autre personne faible de s’asseoir sur l’animal, même à tour de rôle ; les vieillards étaient plus butés que des mules. Reilaa n’avait plus le cœur d’insister.

Elle aurait aimé enseigner les vertus de sa nouvelle profession à Liekko comme elle le lui avait promis mais elle n’avait ni la patience et lui, pas la force nécessaire d’en assumer les conséquences. Ils commenceraient son apprentissage au Tiers. Une autre question lui taraudait la tête, de celle que l’on ne peut se fier à personne, pas même à sa famille ; une fois la ville atteinte, ses habitants les accepteraient-ils ? Rien ne les obligeait à les secourir hormis un pacte effectué par des morts. Son clan croyait dur comme fer à la parole de leurs ancêtres d’autant plus qu’ils avaient une preuve mais qu’en était-il de ces étrangers ? Quelles étaient leurs positions à ce sujet ? Leurs aïeux les avaient aidé à construire leur ville, donné sueurs et sang pour qu’ils leur offrent l’hospitalité en cas de nécessité. Ils n’avaient jamais été aussi fous pour traverser le Cœur Ardent une nouvelle fois. Reilaa se serait dirigée vers une autre ville qu’elle connaissait mieux mais aucun humain n’était assez stupide pour en construire une dans une région isolée d’eau. Et pourtant, ils ne devaient en être loin car les reliefs acérés des sommets de montagnes bordaient l’horizon. La jungle au Sud, les montagnes au Nord, le Silimen au centre. Elle espérait, priait pour qu’ils leur accordent l’asile, au nom de leur humanité, de leurs ancêtres, n’importe quoi tant qu’ils ne laissent pas crever et tomber comme des mouches devant leurs portes. Ils n’étaient plus aussi nombreux qu’avant l’attaque des brigands et des décès dus à la soif. Beaucoup moins de vieillards, plus de jeunes. Ils pourraient même s’employer, réparer comme ils le faisaient parfois lorsqu’il ne leur restait plus rien à échanger contre des vivres et tout maître avait assez de jugeote pour reconnaître l’avantage d’avoir dans ses rangs des nomades du désert. Souvent, Katalla racontait des histoires dans les tavernes et les auberges et le seul privilège de les voir payaient à l’aubergiste des soirées entières, beaucoup moins avec le temps. Avaient-ils même un chef ? Ne rien connaître d’eux l’effrayait. Comment espérer les convaincre si elle ignorait leurs points faibles ? Des questions auxquelles elle refusait de demander conseil. Les informer de ses doutes ne serviraient à rien sinon les inquiéter davantage. Et alors que le chant du désespoir résonnait en eux, trouvait un public averti dans leurs âmes, une pointe émergea du désert trouant la ligne monotone de l’horizon.

La joie enfla dans leurs cœur, tourbillonna dans leurs esprits et les cris retentirent, assourdissants, puisés au fond de leurs poumons. Reilaa frémit d’excitation devant l’éclat cuivré et les flancs droits de la pyramide discernés en plissant les yeux. Ils avaient réussi ! Mais le bonheur vibrant dans leurs voies ne transfigurait pas dans leurs gestes lents et désordonnés ; les yeux brillaient néanmoins leurs corps étaient assommés par la soif et la fatigue. L’émotion ourlait le coin de leurs lèvres en un sourire las mais sincère. Reilaa évalua la distance à une nuit de marche supplémentaire, au rythme où ils avançaient -selon l’étude des cartes-ils l’atteindraient peu avant l’aube. Filya enroula son bras autour de la nuque de sa sœur et l’embrassa, rayonnante. Son visage étiré, tendu sur ses pommettes retrouvait de sa beauté, de sa fraîcheur, de sa candeur qui la rendait si spéciale et en cet instant, elle ne pouvait lui en vouloir de son extravagance. Elle-même lui rendit son étreinte, pleura presque de soulagement bien qu’elle n’avait doute des signes que lui envoyait Liu-Yella, déesse de tous les nomades, des voyageurs et des pèlerins.

—Tu as réussi, Reilaa. Tu nous as sauvés ! S’extasiait-elle.

Son cœur se serra, ses lèvres se pincèrent mais elle ne put retenir un nerveux éclat de rire.

—Nous nous sommes sauvés ensemble, rectifia-t-elle. La force du clan.

Autour d’eaux, les embrassades pleuvaient, émouvaient. Les gens pleuraient, riaient à travers leurs larmes, serraient leurs proches, pointaient du doigt cette source de bonheur intarissable. Reilaa cligna des yeux par quatre fois pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une hallucination ; la révélation ne serait plus cruelle mais intolérable, elle était terrifiée à l’idée de troquer ce réconfortant rideau noir qui la prolongeait dans ce rêve contre un ciel vierge de toute pyramide. A chaque battement de paupières, elle en rencontra le sommet avec un bonheur terrifiant. Elle tendit le bras, le touche de l’index, donna à cet espoir fou une dimension réelle, l’ancra dans la réalité.

Tout ceci se passa en l’espace de quelques pulsations de cœur. Aussitôt, les individus du clan se pressèrent contre leur prophétesse, toujours avec cette mine épuisée mais heureuse. Ils la remerciaient, l’embrassaient, étreignaient celle en qui ils avaient placé leurs vies et celles de leurs proches. Ils la baignaient de larmes, effleuraient cheveux et cornes. Reilaa ignorait comment réagir face à ce type de comportement, bien loin de leur attitude à son égard ; ils contemplaient avec émerveillement, elle leur répondait pas des sourires, ses épaules raides, ses bras pressés contre ses flancs. Et au fond d’elle, la fierté résonnait comme une voix : je l’ai fait !

Ils répartirent leurs affaires en hâte sur le dos et les flancs de la chamelle, stockèrent leurs pics sur les traineaux et Reilaa participait à cette effervescence avec en mire non l’objectif de la survie mais de la vie. Si l’espoir guidait son plus, il ne la désertait pas mais diminuait les heures passant : ses inquiétudes quant aux réactions du peuple du Tiers l’inquiétait. Un problème résolu, un autre surgissait de l’ombre. La charpente devait être solide pour supporter le poids que Liu-Yella plaçait sur ses épaules, elle avait espéré un signe cette journées mais ses rêves restaient stérile et priait pour ce que ce silence soit la confirmation que les portes de la cité s’ouvrent. Filya était si impatiente qu’elle ne remarquait pas les réponses laconiques de sa sœur. Elle tourbillonnait plus de que raison, heureuse de dormir « le ventre plein cette journée » sans prendre en considération la possibilité d’un refus. Reilaa jalousait son ignorance. Le foudroiement de l’espoir n’avait guère épargné la jeune femme mais après quelques heures de rires et de larmes, son pragmatisme fut retrouvé, c’était avec un curieux mélange de joie et de crainte qu’ils se mirent en route.

La cité émergeait de terre en même temps que la chaîne de montagnes s’affirmait à leur droite, brunes et asséchées par un vent puissant, droites et menaçantes. D’abord l’une des Trois Dames montrait l’esquisse d’un visage figé avec timidité, leurs cheveux bruns encadrant une figure creusée dans la pierre par les fissures. Quelques siècles supplémentaires et les réels détails d’une tête humaine pouvait y figurer : le pli grossier des lèvres par cette fente ombragée, la courbe d’un nez par cette pierre allongée et les yeux n’existaient pas encore. Des murmures d’excitation bruissaient derrière elle. Des murailles se dressaient, majestueuses, de pierres rouges et grises rappelant plus un damier décoratif qu’un mur d’enceinte. En s’approchant, Reilaa remarqua des portes colossales, plus digne d’un château assiégé que d’une ville du Silimen et les planches loin de gémir sous la brise faisaient bloc ensemble contre la plus violente des tornades. De lourdes chaînes les barraient et quatre poutres munies d’épais leviers manipulables au minimum à trois hommes terminaient les finissions. Le contraste, plus que saisissant, l’interpellait car si on ne pouvait renforcer les portes, les murs offraient l’élégance caractéristique des cités touristiques. Personne ne guettait le Cœur Ardent et frapper n’aurait servi à rien devant l’épaisseur des planches. C’est pourquoi, elle cria :

—Y a –t-il quelqu’un ?

Tous attendaient, le regard vissé vers le haut. Aucun brun ne résonnait derrière les portes, comme une cité morte.

—S’il-vous plaît ! Nous demandons l’asile.

Son cri éraillé rappa sa gorge. Elle patienta le cœur battant et quand il fut évident qu’aucune réponse ne lui viendrait, elle demanda l’aide à quatre de ses hommes les mieux portant. A eux cinq, ils abattirent la chaîne quatre fois contre la porte.

—Aidez-nous ! Les supplia Reilaa. Nous…

Sa voix mourut lorsqu’elle aperçut un éclat argenté au-dessus de la porte. Un éclat qui, lancé, se rapprochait et grossissait. Une lance ! Elle eut à peine le temps de s’écarter que l’arme se planta belliqueusement à deux centimètres de là où elle se tenait.

—Partez ! Vociféra une voix grave. Nous n’aimons pas les étrangers.

—J’ai un contrait expliqua-t-elle entre vos aïeux et les nôtres. Vous êtes obligés de nous aider.

Devant le silence, elle ajouta :

—Nous sommes des nomades, nous ne représentons aucun danger. Venez vous en assurer vous-même !

L’attente était interminable, elle n’osait plus ajouter un mot supplémentaire. Personne n’osait toucher à la lance, témoin de leur misère. Enfin, les portes s’ouvrirent dans un grincement étiré et sonore.

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