Chapitre 17

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Chapitre 17 :

La langue du géant de Cohello brisait la monotonie d’un ciel céruléen, s’enroulait autour du Silimen comme s’il souhaitait l’engloutir, émergeait brusquement du sable et s’étendaient sur plusieurs lieues. C’était des roches qui perçaient la mer jaune – hostiles et meurtriers qui se nourrissaient des marins en éventrant la coque des bateaux ; que la mer soit faite de grains de et non d’eau n’influaient guère la mortalité, l’augmentait même. Peu des hommes s’aventurant dans ces montagnes revenaient. Comment ils finissaient leurs jours, beaucoup accusaient les Harpies, d’autres une géographie assassine et avide de sang humain, les derniers plus rêveurs vantaient des civilisations étrangères qui s’étendaient au-delà, paradoxe avec les nouvelles générations qui utilisaient les bateaux pour le commerce. Certains doyens refusaient d’envisager des liens avec ce qu’ils considéraient comme une utopie, y aller c’était désacraliser ce territoire et renier les croyances de leur enfance, refuser l’avancée technologique c’était se protéger. Les froids pays étaient au centre de ces échanges avec la Horza, les quelques îles autour de l’Andürin et les pays étrangers derrière les montagnes. Reilaa avait entendu parler d’un empire.

C’était avec tous ces aprioris qu’elle quitta le Tiers pour retourner dans le Cœur Ardent. Ses mains agrippèrent les bretelles de son sac et son regard s’égara vers l’horizon, l’endroit où ses pères avaient disparu, lien ou tant des siens étaient morts. Une génération s’était éteinte avec Mirri. Malgré sa curiosité, ses envies de découverte, elle ressentait jusqu’au fond de son âme, jusque dans ses os l’appel des grandes étendues désertiques, la nuit faisant office de manteau, la communion avec les étoiles, la nuit, Liu-Yella, les quelques jours où elle abandonnait son peuple pour prier avec d’autres prophètes.

Trois siècles ou quatre auparavant, une dizaine de prophètes, parfois une quinzaine priaient ensemble et les privations rythmaient les jours de culte : un seul repas de fruits était autorisé, deux accès par jour à la fontaine du sanctuaire et à peine six heures maximum de sommeil. Certains se rasaient la moitié de la tête pour que leur déesse puisse lire en eux mais Reilaa pensait que Liu-Yella ne s’embarrassait pas de la présence de cheveux pour lire dans son âme. Voilà ce qu’elle aimait dans sa religion : aucune obligation, aucune linéarité, chacun l’interprétait comme il le comprenait. En l’honneur de la serpente, la jeune femme revêtait une simple chemise jaune dépourvue de formes et assez modeste pour que des paysans la jugent de vieux chiffons bon à épousseter la poussière quand d’autres priaient nus pendant cinq jours durant. Ils dormaient exclusivement sur le dos afin que Liu-Yella puisse voir les yeux des enfants. La prophétesse ne repoussait pas le culte aussi vin et si elle avait été interloquée de voir autant de corps dépourvus de vêtements, elle s’était habituée à l’ambiance particulière du culte et aux diverses interprétations de croyances.

Ils marchèrent quelques heures durant avec un profond silence, chacun perdu dans ses pensées économisant de forces pour les épreuves à venir. La question n’était pas « si » mais « quand ». Elle fut surprise par le rythme qu’imposait Arslan en tête de file au début de la nuit ; sa démarche était élastique mais trop rapide pour continuer longtemps à cette vitesse. Le désert imposait l’endurance et non la rapidité. Cohello se maintenait à leur hauteur avec plus de difficulté broyant du noir devant le constat évident du déclin de sa forme physique. Il était habitué aux efforts intenses, aux gestes rapides et à réédition du même geste encore et encore avec pour seule marque du temps les changements infimes du décor l’exaspérait. Ils n’en n’étaient pas tous moins recouvert d’une pellicule de sueur à l’aube.

Elle apprit que les deux autre gardes n’étaient cousins que de deuxième générations, le plus grand était une timidité maladive et le second, réservé, était à peine plus bavard. Après quelques questions pour engager la conversation, Cohello et Arslan étant de mauvaises compagnie, elle abandonna de par leur réponses brèves et se limitant à des onomatopées. Ils cheminèrent dans un silence frustrant.

Trois heures plus tard, la prophétesse avait dépassé Arslan et guidait le groupe. Il n’y avait de plan précis à suivre autre que les montagnes, le maître prendrait la tête à ce moment-là. Reilaa espérait qu’ils puissent établir le camp devant le premier mur de roche.

— Comment pouvez-vous tenir sans être essouflée ? L’interrogea Arslan.

— Je suis une nomade. Tous les jours nous marchons en quête d’une dune assez haute pour nous accueillir la nuit. Et nous ne sommes pas de la même race.

— Certes, non.

La jeuen femme dronça les sourcils incapable de saisir si son ton était ironique ou exposait une vérité évidente.

— Je suis chez moi dans le Silimen.

Elle pensait à la chaleur du jour, à la fraîcheur des nuit, au vent qui sifflait lors de tempêtes, au sable qui crissait sous ses pieds, à ses pairs qui la suivaient, aux blatèrement des chameaux et aux différents peuples rencontrés lors de leur périple.

— Nous aussi y vivons, lui rappela le garde.

Reilaa examina son visage buriné, les cicatrices sur sa mâchoire, une corpulence puissante développée par des exercices sollicitant de nombreux muscles. Son biceps faisait trois fois la taille de son bras et Reilaa avait une silhouette de femelle sable normale. Elle pensait notamment à la compagne de Lilirh aux membres d’une finesse extrême.

— Vous y vivez comme des humains. Vous buvez lorsque vous le souhaitez, mangez avec régularité et de tout : autant de légumes issus de l’agriculture que de vos troupeaux. Un jour du mouton, l’autre du poulet… Vous avez du vin, des appartements, une enceinte. Vous ne croyez pas en des Dieux et je vous plains de ne pouvoir connaître la puissance de cet amour.

— Un amour à sens unique. Qu’ai-je à faire d’un dieu qui ne répond pas à mes prières ? Je n’ai toujours pas le poste que je convoite et je ne suis toujours pas reconnu à ma juste valeur.

— Vous avez une définition erronée de la croyance.

Reilaa ne comprenait pas ceux peuples athées qui, à la manière d’un cochon dans une flaque de boue, se vautraient dans le confort matériel. Quelle satisfaction pouvait-on retirer d’un appartement luxueux si l’on regardait le ciel sans songer à autre chose qu’à sa couleur et aux étoiles ?

— Et si c’était cous qui croyez à des fables ?

Arslan riposta sans véhémence :

— Ce ne sont pas des fables à mes yeux. J’ai besoin d’y croire, j’aime y croire, je m’y retrouve dans cette religion.

Reilaa aurait voulu lui dire qu’il avait tort mais tint sa langue. Qui était-elle pour juger ? Elle priait pour elle, pour son peuple, les gens qui lui demandaient de communiquer avec sa déesse. Elle n’était pas comme ces enfants de Nogaïla à forcer des étrangers à se convertir, elle essayait de comprendre malgré sa langue qui fourchait. Leur existence lui paraissait néanmoins fade.

— A qui vous rapportez-vous lorsque plus rien ne va ?

C’était une vision extrémiste de la religion et plus qu’une simple croyance c’était un mode de vie choisi où elle puisait autant de bonheur que de paix.

— A personne, mon frère parfois. Pourquoi est-ce que je vous raconte ça ?

Sa question fut prononcée sur le ton du défi et Reilaa lui adressa un sourire innocent. Que les humains étaient bruts ! Au moins leurs hommes ne pensaient pas de la même manière ; il y avait un réel courage à affronter ses peurs, des doutes et plus encore à les confier à quelqu’un. Les humains semblaient penser que les hommes n’étaient que rocs là où les femmes étaient douceur. Que ce soit dans le Tiers ou ailleurs beaucoup partageaient ses pensées : la tendresse était innée chez les femmes, bien trop pour qu’elles puissent diriger une cité ou réfléchir avec autre chose que son cœur. Si Reilaa s’était habituée à cette vision inégalitaire, elle ne la trouvait pas moins incongrue, les femmes de son peuple portaient un regard critique sur les humaines qui se contentaient d’obéir à leur mari et les hommes-roches les dédaignaient. Comment chasser, lutter, prier, vivre avec une personne qui se considérait comme inférieure ?

A sa réponse, la prophétesse haussa les épaules. Chaque langue était libre de se délier ou de se confiner à l’intérieur d’une cavité buccale.

— Vous n’essayez pas de me convaincre d’adhérer à vos croyances tout de même ?

— Vous êtes de curieuses créatures. Vous pensez toujours à une offense lorsqu’on essaie de décortiquer vos coutumes. J’ai dit que je vous plaignais parce qu’il est pour moi impensable e penser qu’il n’y a que nous dans ce monde. J’éprouve une sincère pitié envers vous.

Reilaa ne comprit pas pourquoi son visage se ferma et ses yeux lancèrent des éclairs. Aucune de ses paroles n’avaient été mal intentionnées. Troublée, elle s’apprêta à lui demander des explications lorsqu’il ralentit soudain son rythme la séparant d’une dizaine de pas des quatre hommes. Qu’aurait dit Filya ?

Elle regrettait de ne pas disposer de l’amabilité de sa sœur pour résoudre les conflits, alors au lieu de se trainer à quatre pattes pour s’excuser, la jeune femme pivota sur ses talons et fit face aux montagnes qui entaillaient le ciel de leurs sommets. Marcher sans avoir personne avec qui échanger n’aurait pas été si difficile s’il n’y avait pas eu cet orage électrique qui planait au-dessus d’eux. Tous fixaient leurs chausses avec un intérêt nouveau. Les Hommes-Roches adoptaient aussi ce comportement digne d’un enfant bougon et si elle ne les entendait pas grommeler, leurs pensées étaient visibles sur leur visage. Reilaa renifla. L’attitude masculine semblait ne pas connaître la barrière des races.

Après quelques instants de marche supplémentaires, trois quarts d’heures environ où elle modéra son pas pour ne pas perdre les mâles dans son sillage, elle se retourna pour les attendre, le bâton trouvé un peu plus tôt sur lequel elle s’appuyait fermement planté dans le sol. Ils étaient en nage mais aucun ne proposa de s’arrêter, pas tant que la prophétesse les dominait.

Il était facile de se hisser au-dessus des humains ; avec le temps ils tournaient gras et même ceux qui avaient une forme physique acceptable étaient trop patauds pour suivre leur cadence. Ils lui rappelaient le dessin d’un poisson dans un livre. Reilaa n’en n’avait jamais vu vivant mais elle l’imaginait sans mal tressauter sur la terre pour regagner la rivière. Arslan la dépassa non sans un regard mauvais, elle attendit que Cohello la rattrape.

Les cousins, de deuxième génération seulement, la contournèrent sans un regard, sans adresser un mot. Ils haletaient. Cohello n’en menait pas large avec ses cheveux collés à son front, à sa nuque et une partie sur ses épaule, sa poitrine se soulevait une fois et demi plus rapidement que celle de Reilaa. Beaucoup avait regardé le linge blanc d’un œil moqueur sur sa tête car difforme et peu élégant mais d’une utilité sans faille. Il n’apportait peut-être pas de rafraîchissement et épousait, de la par la sueur, la courbe de ses omoplates, il était les cous de soleils sur la tête et bon nombre de maux. Pour le reste du corps, la pigmentation se chargeait de réguler les flux de chaleur.

— Même avec ce chapeau, vous avez l’ai moins ridicule que nous quatre.

— Ne marchez-vous jamais dans le Silimen ? Même avant de se tenir debout, nos bambins savent qu’il faut se méfier du soleil. Au moins la tête pour des Hommes-Roches, pour vous (elle scruta son torse d’un œil critique) un drap aurait fait l’affaire.

— Je pensais que l’eau suffisait.

Les hommes s’en étaient aspergés le crâne depuis le Tiers et après le rafraichissement momentané, la brûlure du soleil revenait plus ardente que jamais. Reilaa les avait avertis de ne pas gâcher leurs provisions pour des stupidités ; ce scénario lui rappelait trop la traversée du Cœur Ardent et dans les montagnes, il devait y avoir des ruisseaux et des sources, peut-être même des lacs.

— Vous habitez à la lisière du Cœur Ardent, comment pouvez-vous ignorer cette règle essentielle ?

Plus qu’agacée, elle suait l’incrédulité, Cohello se crispa, les sourcils froncés.

— Ne me jugez pas, Reilaa, murmura-t-il. Votre regard me fait mal et me fait me sentir comme le dernier des idiots.

La prophétesse se décrispa, abaissa sa barrière mentale et la douleur et la honte du maître la frappa de plein fouet ; ils avaient beau se compléter, leurs âmes se reconnaître, leur différence d’éducation les étonnait de temps à autre. Inutile de parler de ce lien qui s’était créé entre leurs âmes, ce pont qui reliait deux entités mais si leurs esprits se connaissaient et s’aimaient, il n’en n’était rien de leur raison et de leurs cœurs. S’il réfléchissait comme le faisait Reilaa, il n’aurait été qu’un étranger, le maître d’une ville humaine et si elle s’oubliait, écoutait la voix qui résonnait en elle, elle aurait su qu’il était impossible de lutter

La prophétesse haïssait avancer à l’aveugle, tâtonner dans l’obscurité dans l’espoir de heurter un objet et d’orienter son chemin. Liu-Yella restait muette à ses prières, souhaitait que Reilaa trouve ses réponses seules ; elle ne l’abandonnait pas, oh non, la jeune femme sentait sa présence, sa force, presque sa main sur son épaule. Pour l’instant, elle refusait que Cohello entre dans sa vie avec pour seule justification un destin choisi par d’autres. Elle cuirassa son cœur pour éviter qu’il ne lise en elle, autant que faire se peut. Ils ignoraient tout de ce lien, comment il fonctionnait, sa spécificité, pourquoi même il s’était créée entre eux et surtout comment le juguler pour préserver son intimité et sa pudeur ; ses paupières papillotèrent lorsqu’elle se rendit compte qu’elle le fixait et reporta son attention sur les montagnes avec l’espoir vain qu’il ne saisisse son trouble.

— Peut-être pas le dernier des idiots mais un imbécile, je ne peux le nier.

Elle adoucit sa réplique avec un sourire.

— Vous parliez d’échange avec les autres cités, de quoi s’agit-il réellement ?

— Nous troquons nos connaissances sur le désert et non habitudes de vie contre des vivres, des animaux, des habits. Le Silimen est plein de richesses mais pour certaines choses, nous sommes obligés de solliciter les humains.

— Pourriez-vous aussi venir dans les Trois Dames à l’avenir ?

— Il nous faudrait retraverser le Cœur Ardent.

Choix difficile car les Dames offraient des ressources intéressantes et avec Cohello à sa tête, elle possédait un passe-droit non négligeable. Le Cœur Ardent se dressait entre comme une barrière infranchissable.

— Pas tant que nous ignorons comment le traverser sans perdre des nôtres. La mort est un processus naturel mais je refuse qu’il soit accéléré pour les plus faibles d’entre nous.

Les mots étaient désuets face à la peine qui serrait le cœur de Reilaa ; elle revoyait sa sœur jetée sur un cheval, criant à travers ses larmes, Mirri, s’effondrant sans un mot, les mères de Lizsiu abandonnant le Silimen ensemble. Quel lieu cruel que le désert ! Nés des cadavres de leurs proches.

— Peut-être pourrions-nous trouver une solution avec un peu de temps et de volonté.

Elle lui adressa un regard en coin où la cruelle vérité se reflétait : Reilaa ignorait s’il lui en restait, du temps. La souffrance perça son cœur comme un millier d’épines, elle était incapable d’enfermer cette ignoble douleur qu’engendrait la rencontre avec la mort dans une cage et ne la pas la transmettre au roi du Tiers. Le soubresaut de ses lèvres lui confirma son impression.

— N’ayez pas peur de me le dire, Reilaa, je ne suis pas un imbécile à ce point : je sais à quoi je m’expose. Mais je ne suis pas encore mort. Vous vous exposez vous-même à ce risque en vous joignant à nous.

— Que pourraient-ils faire d’une femelle-roche ?

Elle refusait de perdre l’espoir de revoir un jour les yeux rieurs de sa sœur, de savourer la curiosité piquante de Liekko, de cavaler dans le désert en compagnie des étoiles.

— Ma chair ne leur convient pas.

Elle ne croyait pas à ces mensonges et Cohello le sentit, il posa sa main sur son épaule.

— Nous nous battrons ensemble.

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