Chapitre 19
La vision qui s’offrait à eux était des plus curieuses : les arcades usuelles d’un temple traçaient une forme ovale dans le flanc de la montagne si bien qu’il était impossible même pour des yeux exercer à la chasse de repérer où débutait la construction de l’homme et où finissait l’œuvre de la nature. Les voûtes se fondaient dans la pierre, épousait la roche brune quelconque de l’Arc, unique et monstrueuse chaine séparant le continent en deux. Les colonnes le soutenant avaient été grignotées par le temps et l’érosion et Reilaa refusait de croire que ce temple avait été construit après la deuxième dérive. Aucun de ces temples, ni Horziens, ni Andurriens pour ce qu’elle en avait entendu n’avaient adopté la curieuse architecte de ce bâtiment ; elle ne doutait pas qu’il avait été pensé pour se confondre dans le paysage, ne faire qu’un avec lui et aussi défier la nature et les Dieux.
Les arabesques grossières serpentant dans la roches, pour celles qui n’avaient pas été effacées par les caprices des tempêtes, représentaient des animaux étranges, fantastiques dans un style utilisant plus les formes géométriques que les courbes naturelles d’un être vivant. Chaque dessin était tout en angle et d’intention belliqueuse : les armes diverses jalonnaient les voûtes.
— Il y a une entrée sous-terraine, les informa Olbert une fois que la surprise de la découverte fut passée. Ca me semble désert.
— Semble ? Répéta Arslan.
La colère ne vibrait pas dans sa voix, ni le sarcasme seulement l’intérêt de potentiels trésors que cette grotte pouvait révéler.
— Je ne l’ai pas vu tout de suite, se justifia le rouquin. Et il n’y a pas de raison pour que je sois le seul à y risquer ma vie là-dedans.
— J’irais avec vous, déclara Cohello. C’est une trouvaille intéressante qui nécessite notre attention.
Il adressa à la prophétesse un regard en coin. Il y avait des chances pour que des métaux précieux soient découverts, de l’argent, peut-être même de l’or, et peut-être ce temple recelait-il d’autres richesses intellectuelles. Tous deux savaient que ce temple avait été bâti avant leur ère. Elle n’espérait pas y trouver des parchemins ou des livres, peut-être des fresques si le destin et la chance lui souriaient, quand bien même elle en aurait trouvé, la prophétesse ne maitrisait que sa langue et quelques rudiments des différents peuples humains, pas une lance vielle de trois mille ans.
— Je reste ici, déclara la jeune femme.
Non pas qu’elle craignait le noir et ses secrets mais étudier l’extérieur du temple lui paraissait tout aussi important une cavité. Les deux hommes dégainèrent leurs armes ; Orbert deux longues armes recourbées qui pendaient à sa ceinture et Cohello un poignard effilé à la pointe se divisant en trois plus utile pour torturer que pour tuer. Arslan les observait s’enfoncer dans les entrailles de Naarhôlia, les cheveux recouvrant un œil et les autres mèches ramenées derrière l’oreille, ses pouces glissés sous sa ceinture et ses doigts tapotant ses hanche dans un rythme que lui seul connaissait.
— Ne désirez-vous pas les accompagner ?
— Deux potentiels morts suffisent.
— Etes-vous toujours aussi cynique ?
Il lui adressa un sourire sarcastique, aussi mauvais que possible. Cet homme ne s’amusait pas, il riait de cette vie ridicule, à la recherche d’un espoir qui n’existait pas ou au mieux, imaginaire ; il accompagnait par pur plaisir. Arslan lui adressa une réponse, elle ne l’entendit pas : il éclatait d’un rire gras aussi soudainement qu’il fulminait et invoquait la fureur des volcans. Une autre coutume étrange dans une région déserte de montagnes cracheuses de feu.
— Que peuvent dire ces symboles à votre avis ?
— La même chose que nous écrivons : une histoire de vie et de mort, des traces pour les gens qui nous suivront après.
Il s’assit sur une pierre et glissa la pointe d’un couteau au manche d’une sobriété qui détenait avec les chiffons aux couleurs criardes dont il s’enveloppait les bras et la poitrine.
— J’ignore si vous êtes un fou ou si vos paroles sont les plus censées que j’eusse entendues.
Le garde ricana et tic curieux : la commissure de sa lèvre droite se souleva plus rapidement que les autres, une seconde avant peut-être.
— Ne perdez pas votre temps avec ces idioties. Des peuples se sont éteints et d’autres renaitront et ainsi de suite jusqu’à la fin de Naarhôlia. Pourquoi investir de son temps pour des gens disparus depuis longtemps ?
— Vous avez l’esprit étroit.
— Vous disiez que mes paroles étaient les plus censées que vous ayez entendues.
Cet homme l’embrouillait avec ses réflexions et sa nonchalance.
— Ou le plus fou.
Dans cette circonstance, elle optait plus pour cette solution. Arslan leva un instant les mains et pouffa de rire, toujours son couteau entre deux doigts. Harold se joignit à eux, l’interpella.
— Que cherchez-vous ?
— Les traces d’une ancienne civilisation.
— Je connais ces temples ; vous ne trouverez rien à l’extérieur. Tout ce qui a de la valeur est stocké à l’intérieur, souvent enterré pour une raison inconnue.
— Les paroles d’un ancien pillard, intervint Arslan.
Son regard passa de l’un à l’autre, indescriptible mais aucun des deux ne répondit à ces questions muettes. Pourquoi se confier à une étrangère qui les jugerait ? C’était mal connaître la prophétesse s’ils pensaient ainsi, elle n’ouvrit pas la bouche toutefois ; inutile de perdre du temps à lire entre les mots des humains.
— Que me conseillez-vous alors ?
— Asseyez-vous et attendez.
Si la jeune femme était l’incarnation d’un vent froide, ce mâle était le feu emprisonné dans la glace : un tempérament orgueilleux et hautain dissimulé sous un visage tranquille et neutre. Ils s’affrontèrent du regard, l’un les mains liés dans son dos comme un roi sermonnant une servante, elle muette et refusant de courber l’échine comme il le lui ordonnait. Son ton n’avait pas laissé le loisir du doute. Elle aurait pu imiter ces bonnes femmes qui injuriaient leurs époux en faisant virevolter leurs chiffons mais Reilaa n’avait pas de torchon à cet effet et les recommandations de Mirri résonnaient dans sa tête : les fillettes gémissent, pas les adultes alors tiens ta langue. Sa langue demeura derrière ses dents mais n’importe qui aurait pu lire toutes ces incriminations à travers ses yeux.
— Je suis votre égale, Harold, alors ne me donnez pas d’ordre.
Elle s’approcha lentement du garde, balança son poids sur ses jambes, la bouche réduite à une fente.
— Vous faites ce que vous voulez de vos humains. Moi, je suis la prophétesse d’un des derniers clans d’hommes-roches du Silimen et libre par-dessus tout.
Ils s’affrontèrent du regard quelques instants avant qu’il ne rétorque :
— Je n’avais aucune intention de porter atteinte à votre honneur.
En guise de bonne foi, Harold baissa le visage en premier. Excuse ou stratégie ? Aucun sourire en coin ne fendait sa figure, peut-être avait-elle une chance de penser à des pardons sincères. Pour asseoir son autorité, elle l’interrogea une nouvelle fois :
— Selon votre expérience, qu’y a-t-il là en-dessous ?
— Ce que des païens peuvent dissimuler : des bijoux, des instruments, répondit Arslan.
— Ce n’est pas à vous que je m’adressais.
Elle se méfiait plus de ce dernier qu’Harold, il sapait son autorité et d’une manière à la faire passer pour une idiote – ce n’était pas un acte maladroit, Arslan en était conscient. Reilaa ne voyait pas clair dans son jeu. Les manipulations s’existaient pas dans sa tribu, l’on pouvait se fier à son voisin, aux membres de sa famille, elle ignorait comment réagir à ces provocations.
— Harold ?
Il hésita à lui répondre, esquissa l’ombre d’un rictus (se moquait-il d’elle ?), leva les yeux au ciel et croisa les bras sur sa poitrine avant de répondre :
— On peut y trouver de tout en fonction de ce que les peuples considèrent comme importants : des colliers, des vases, de l’argent et parfois des squelettes.
Elle frémit à la mention des sacrifices. Quel dieu pouvait-il assez cruel pour exiger un tel prix pour son amour ? Que lui apportait le sang versé ?
— Avez-vous rencontré… des dangers ?
Faute de mots adéquats, elle préféra utiliser un terme large et vague.
— S’il ne remonte pas d’ici la fin de la journée, oui. J’ai en majorité rencontré des animaux dans les temples abandonnés, des serpents, des chauves-souris mais parfois (il baissa le voix comme sur le ton d’une confidence), ils n’étaient pas abandonnés.
Cette fois, elle en était sûre : il se riait d’elle ! Impossible de savoir où en était le soleil dans sa cours journalière tant le ciel était voilé. Depuis combien de temps étaient-ils à l’intérieur ?
— Des prêtres.
Que leur avaient-ils faits ? Son esprit forma des images sanglantes et belliqueuses : du sang perlant de gorge tranchée, des hommes et femmes hurlant, fuyant les pilleurs de temple et soudain leur course arrêtée par un poignard dans le dos ; elle vit Harold mouliner sa lame et des gouttes vermeil s’écraser sur les plantes aux feuilles en corolle. Reilaa savait que c’était seulement là le terreau fertile de ses pensées mais ces visions étaient si réelle qu’elle les prit un instant pour des signes de Liu-Yella. Sa méfiance s’accrut. La prophétesse sonda son cœur à la recherche de Cohello, avec lui au moins elle n’avait pas à craindre pour sa vie.
Il n’eut pas de mots supplémentaires et seuls les sons aigus d’une lame qu’on aiguise brouillaient le silence ; ce fut le seul bruit qui accueillit le maître du Tiers et Olbert les bras chargés de bijoux.
— Nous prendrons toutes ces richesses au retour, déclara ce premier.
— Comment est la caverne ? S’enquit Arslan. Un peu plus et je chanterai en chœur avec le vent.
— Pas de serpents mais quelques araignées, elles ne sont pas venimeuses.
Olbert hocha la tête en direction de son cousin. Leur apparence frappa Reilaa une nouvelle fois : ils se ressemblaient trop pour n’être que cousins même s’ils avaient été élevés ensemble. Peut-être étaient-ils des sorciers, ces gens qui disaient lire l’avenir dans divers objets du quotidien. Trop pragmatiques pour décrypter les dessins des dieux dans des fantaisies.
— Il y a d’autres galeries qui pourraient vous intéresser, murmura Cohello à sa hauteur.
Trop occupée à lorgner discrètement les deux gardes, elle ne l’avait pas entendu s’approcher.
— Que comptez-vous faire avec ces bijoux ?
— Commercer.
Elle observa les colliers dans ses mains et comme les dessins sur les arcades, les pendentifs étaient de formes géométriques, épais et chacun séparés d’une perle. Le travail était grossier mais les métaux utilisés valaient une petiteat fortune, nécessaire aux forgerons pour créer des armes solides et assez beaux pour être fondu et incorporé dans des joyaux.
— Si je n’ai plus la chance de revenir, je souhaite que vous emmeniez ce que nous trouverions dans ce tempe pour mon peuple et le vôtre.
Elle se serait servie sans son accord. Le troc s’épuisait au fil des ans et les histoires n’offrait plus autant qu’un siècle en arrière.
— Ne trouvez-vous pas étrange qu’après toutes ces années ces trésors soient encore présents ?
— Aucun homme ne vit ici et personne ne passe par les montagnes.
— Pourquoi les Harpies n’y ont-elles pas touchés ?
— Les animaux ne savent pas ce que sont l’or et l’argent.
Reilaa posa les doigts sur l’un des ornements pour éviter que leurs peaux ne se touchent mais son geste fut suffisamment significatif pour qu’il la considère d’un œil nouveau. Elle ne tenait pas à ce que leurs âmes s’entremêlent encore.
— J’ai un mauvais pressentiment.
Quelque chose ne tournait pas rond dans cette expédition, d’Harold, d’eux ou des montagnes, il émanait une aura sombre, purulente, qui puait la charogne et lui hurlait de prendre les jambes à son cou pour déguerpir.
— Je le sens aussi, se confia-t-il.
Son cœur acquiesça mais ses yeux demeuraient aussi brillants et durs que la pierre.
— Si vous ne connaissez pas l’Arc, comment faîtes-vous pour vous orienter ?
— A vous entendre, je penserais que vous me soupçonnez de quelques méfaits.
Sons bras retomba contre sa hanche.
— Je cherche la vérité.
— Sondez notre lien et vous pourrez éliminer un de vos suspects, grogna-t-il. La Harpie m’a indiqué précisément où la retrouver.
— Où ?
Ses lèvres brûlaient.
— N’êtes-vous pas capable de vous fier à moi, Reilaa ?
Elle refusait surtout de croire qu’elle en était capable mais au fond, elle ne doutait pas de lui.
— Si j’en suis capable.
— Alors, prouvez-le.
La défiant de l’accepter, il lui tendit sa paume.
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