Allongé dans le jacuzzi de pierre, Gaspard agaçait distraitement du bout des pieds, les petits poissons qui barbotaient avec lui. Ces derniers étaient tout excités par la présence de ce nouveau compagnon de jeu. Ils s’en donnaient à cœur joie, ils jouaient à saute-mouton, ils sautaient hors de l’eau et faisaient des cabrioles à la manière des dauphins. Amusée par le spectacle, Luna se déshabilla puis entra dans l’eau pour participer aux galipettes des petits nageurs. Son ami rêvassait en se laissant bercer par les courants du bassin.

— Je pensais à une chose Luna…

— Dis-moi… Encouragea-t-elle.

— Mes parents sont morts il y a quelques années…

— Oui, je sais… Tu te demandes si tu vas pouvoir les rencontrer ?

— Exactement. Ils doivent être quelque part en tant que souterrains, non ?

— Oui bien sûr, répliqua Luna, ils sont sûrement du côté de Honfleur. Si personne ne les a oubliés, ils sont probablement par là-bas.

— On n’a pas dû les oublier… Tu sais, ils avaient fondé une pension de vieux qui a été transformée par la suite en EHPAD pour rupins… Après leur décès, on a posé une plaque commémorative, à l’entrée... Avec leurs noms, dates de naissances, de décès… Justement, pour qu’on les oublie pas.

— Dans ce cas… On pourra les retrouver sans problème !

— J’aimerais tellement les revoir ! C’est possible ? Interrogea Gaspard.

— Presque tout est possible ici ! Répondit malicieusement la jeune fille en se collant contre lui.

Bien sûr, la jeune coquine savait parfaitement où se trouvaient Mireille et Félix. Elle les avait rencontrés plusieurs fois depuis qu’ils étaient descendus. L’impatience, bien compréhensible, qu’éprouvait Gaspard de revoir ses parents, bousculait quelque peu son projet : elle avait envisagé de l’emmener les voir sans rien lui dire. Ils demeuraient près d’où ils étaient, pile sous l’ancienne mercerie, rue Lepic. Luna savourait d’avance les effets de sa surprise.

Bien vite, nos deux amoureux, parce qu’il faut bien les nommer ainsi, s’enlacèrent passionnément dans les remous du jacuzzi. Les poissons protestèrent vigoureusement quand leur étreinte enflammée commença à faire bouillonner l’eau du bain.

— Je crois que je préfère ma nouvelle vie ! Avoua Gaspard, absolument étourdi.

— Tu vas t’habituer ! Au début, toutes les sensations sont exaltées, le plaisir peut devenir insupportable. Ça compense l’absence de douleur physique. On n’a jamais mal, mais on peut souffrir de trop de jouissance… Répondit Luna.

— Ben, dis donc… Si là-haut, ils savaient ça, ils se suicideraient tous ! Rétorqua son compagnon.

Ils se débarrassèrent des quelques poissons qui n’avaient pas survécu à leurs ébats amoureux, puis sortirent du bain. Aérienne, la jeune fille entraîna Gaspard pour lui faire visiter son appartement. Un grand lit en forme de coquille Saint-Jacques occupait le centre de la pièce principale, quelques coussins en guise d’oreillers ornaient une large couette en laine d’agneau tissée. Il y avait très peu d’objets décoratifs dans le logement de Luna, toutefois, des rayonnages faisaient le tour de chaque pièce sur la totalité de la hauteur des murs. Il fallait bien ça pour entreposer les bouquins de la jeune fille. On se serait cru à la bibliothèque de France !

— Y a pas de cuisine… Remarqua Gaspard. C’est vrai que les souterrains sont affranchis des contraintes digestives.

— Tu t’y feras. Le temps et l’énergie nécessaire pour se nourrir, pour digérer et ce qui s’en suit… Hum, on l’emploie à d’autres activités tout aussi agréables !

— Alors dis-moi Luna… On est au paradis ?

— J’en sais rien, sans élément de comparaison, je ne peux pas répondre. En tous cas, c’est pas l’enfer ici.