MARCEL, LE RETOUR !
Défi : Trouver le titre d'une vieille série des années soixante !
Dans la communauté de Luna, quand un événement important se produisait, le grand hall —celui avec les tentures pourpres— tenait lieu d’enceinte de rassemblement. Une effervescence inhabituelle s’était emparée des souterrains ce jour-là. La rumeur s’était propagée comme une traînée de poudre dans les diverses galeries de la collectivité : un homme était revenu de l’oubli, autant dire du néant ! Et il allait parfaitement bien !
Il arriva par un boyau secondaire qui débouchait dans le couloir principal. D’un pas vif et assuré, il pénétra dans le hall principal. À part la présence d’une myriade d’étincelles bleutées tout autour de lui, il ne semblait pas le moins du monde affecté par son « voyage ». Illico, un attroupement bigarré et empressé se forma pour accueillir le rescapé.
Marcel Legrand ! Ce cher Marcel était de retour parmi les souterrains ! On l’accueillit en héros et on le porta en triomphe. Luna, alertée par l’agitation provoquée par la réapparition de son père, accourut pour se jeter à son cou. Elle dut jouer des bras et des coudes pour écarter une meute de souterraines hystériques et dépoitraillées sur le point de s’emparer de son géniteur ! Avions-nous précisé que Marcel était le sex-symbol de ces dames dans la dimension sous-terrestre ? Non, juste qu’il ressemblait à Jean-Louis Trintignant…
À grand-peine, la jeune femme parvint à extirper le revenant des griffes de la horde enragée ; elle traîna son père à l’écart afin de pouvoir l’embrasser décemment.
— Papa ! Je suis tellement heureuse ! J’ai cru que je ne te reverrai jamais !
— Ma petite Luna chérie, je ne pensais pas revenir parmi vous. Là où je me trouvais, on ne retourne jamais à son point de départ.
— Tu vas me raconter tout ça… Je veux tout savoir ! Intima Luna, je vais te présenter un physicien, il va être vraiment heureux de faire ta connaissance. Ah oui, au fait ! Gaspard est revenu… Et puis… Il est resté avec moi. On est ensemble.
— Eh bien, j’en suis vraiment très heureux. J’aimais bien ce garçon. Je n’ai malheureusement pas eu trop le temps de le connaître…
— Tu vas prendre le temps de mieux le connaître maintenant… Répondit Luna.
— Il est mort jeune ?
— Non, il est mort âgé ; il a vécu sa vie… Avec Sélène… Ils étaient mariés.
— Non ? Avec Sélène… Ca alors… C’est deux fois mon gendre alors ! Réalisa Marcel, j’avais bien senti qu’il s’était passé quelque chose entre eux… J’ai cru que je me faisais des idées. J’ai hâte de le revoir ! Et Sélène… Elle est toujours là-haut ?
— Oui, on a repris contact. Je t’expliquerai.
— Ah ! Je n’y crois pas ! Mes deux filles avec Gaspard ! Quel sacripant !
Gaspard et Luna organisèrent une rencontre entre Marcel et Bill Hawkins. Ils devaient préparer la conférence durant laquelle ils révéleraient au public en quoi consistait cette dimension dite de « l’oubli ». Le physicien était surexcité comme un doctorant le jour sa soutenance de thèse. Tout d’abord, Hawkins voulut savoir ce que Marcel avait vécu, comment il avait disparu et ce qu’il y avait dans cette fameuse dimension.
— Le jour de mon départ, répondit clairement Marcel Legrand, je me suis senti comme… Affaibli, j’avais de moins en moins de consistance. Et puis, ce fut comme si je tombais dans un tunnel sombre. Je pris de plus en plus de vitesse. Ce fut une chute vertigineuse, effrayante… Peu à peu, le tunnel s’illumina, des formes invraisemblables tournoyaient autour de moi. Et je plongeai dans une mer en furie. Une mer… De lumière et de formes changeantes… Je fus secoué et ballotté en tous sens. Je perdis conscience.
Bill Hawkins, bouche bée, écoutait Marcel comme s’il écoutait un messie. Puis, continua le père de Luna, je repris contact avec la réalité, mais une réalité… Autre. Tout était différent. Je n’avais plus peur, je ne ressentais plus d’angoisse… Je baignais dans un calme absolu, je flottais dans une mer de sérénité. J’étais dans l’infini… Un infini de figures géométriques et de couleurs inimaginables, dans des recompositions perpétuelles… Comme dans un kaléidoscope de taille cosmique, je pouvais parcourir instantanément tous les points de mon nouvel univers…
J’étais seul, pourtant, je me sentais entouré d’une multitude d’entités qui, comme moi, tournoyaient dans ce maelström où aucune loi physique ne subsistait. Je souhaitais que ce voyage fantastique ne s’arrêtât jamais. Je désirais ardemment dériver éternellement dans cet univers de fractales mathématiques. Je ne voulais plus revenir en arrière. J’étais partout, j’étais tout.
— Et pourtant tu es revenu… Intervint Luna. Comment ça s’est passé ?
— Eh bien, je barbottais tranquillement dans l’infini, hors du temps, ou plus exactement au cœur du temps, comme on peut être dans l’œil d’un cyclone… Quand, à un moment, j’ai perçu un appel, au fond de ce qu’il me restait de conscience… Ce reste de conscience qui se limitait à quelques microparticules éparpillées au milieu des formes de Mandelbrot. Oh ! Ce n’était pas un appel impérieux qui m’était parvenu, plutôt un écho lointain de mon nom. Quelque part, on parlait de Marcel Legrand. Ma curiosité a fait le reste : je suis revenu pour voir ce qu’on disait de moi ! Ce fut un difficile voyage face à moi-même.
— Votre expérience est absolument fantastique, commenta le professeur Hawkins, grâce à votre témoignage, je vais pouvoir continuer mes calculs avec plus de sérénité. En effet, je ne pouvais pas, jusque-là, étayer mes travaux sur les multivers avec des faits concrets. Étant perpétuellement dans le doute, j’étais souvent assailli par de profonds moments de découragement. Maintenant, il va en être autrement ! Je pense pouvoir apporter la preuve que l’endroit où vous vous êtes retrouvé, mon cher maître, était tout bonnement la conjonction d’une infinité de dimensions, de multivers ! Vous étiez là où tout se confond… Nous allons pouvoir l’annoncer à tous.
— Aux souterrains d’accord, corrigea Marcel, mais surtout, il ne faut pas ébruiter ça chez les surfaces… Leurs dogmes et leurs idéologies ne le supporteraient pas. Les hommes pensent qu’ils sont l’œuvre d’un projet, d’une intention… Alors que nous, nous savons maintenant que tout ça, n’est que le fruit du chaos.
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