Chapitre 1: Le jour où j'ai pris conscience

5 minutes de lecture

J'ai compris que quelque chose clochait lorsque le garçon a commencé à casser les pots qui se trouvaient dans la maison de mon père. Moi, je l'avais croisé un peu plus tôt, près de l'enclos où je gardais mes poules. Je l'avais salué, de mon habituel sourire avenant et d'un signe de la main: "Bonjour voyageur !". Il m'avait simplement ignoré, continuant de courir vers le nord. Ça aussi c'était étrange. Tout le long de la côte, il avait couru. Je veux bien croire qu'il était plus athlétique que les autres péquenauds du village, mais tout de même !

Je n'y avais toutefois pas prêté attention sur le moment, supposant qu'il devait être pressé d'aller quelque part. Mon père était dans sa boutique à ce moment-là, pas loin de mon enclos. C'était un potier, excellant dans sa ligne de métier d'ailleurs. Du moins, je le supposais, puisque tout le monde possédait les pots qu'il vendait. Je vis le voyageur entrer dans la maison, un peu surpris, mais sans plus. Mon père avait eu des soucis avec son fournisseur, bloqué depuis l'effondrement des tunnels menant à la ville, et cherchait un Héros pour l'aider, laissant un avis sur le tableau public sur la grande place du village. C'est quand j'ai entendu de la casse que je me suis inquiété.

Laissant les poules blanches sans surveillance aucune, je me précipitais à l'intérieur de la maison. Celle-ci était plutôt petite, surtout réduite par la partie boutique et par la multitude de vaisselles, de pots et de coffres qui se trouvaient là. Toutefois, lorsque j'entrais à l'intérieur, plus un pot ne se trouvait là. Du moins, pas en un seul morceau. Tous avaient été brisés sans la moindre exception. Le voyageur, épée à la main, venait de détruire le dernier et s'affairait maintenant à fouiller le gros coffre en bois accolé près du mur. Et mon père ne réagissait pas. Il était là, debout au milieu du carnage, un sourire aux lèvres et parfaitement immobile.

"-Mais enfin papa, dis quelque chose !" m'étais-je exclamé en lui secouant les épaules.

Je le croyais sous le choc, mais il n'en était rien :

"-Arthur ! Que puis-je pour toi, mon garçon ?" me demanda t-il en centrant son regard sur mon visage.

"-Moi ?! Mais rien ! Tu ne vois pas que ce type a détruis toutes tes poteries ?!" poursuivis-je, de plus en plus inquiet.

"-Cela ne signifie rien pour moi." dit-il, son regard quittant soudainement mon visage alors que le voyageur s'approchait.

Je le vis ranger le médaillon de ma grand-mère dans son sac (qui était bien trop petit pour tout ce qu'il avait dû nous voler) avant de se planter en face de mon père, me bousculant hors de son chemin.

"-Bonjour voyageur ! Qu'est-ce qui vous amène dans mon humble boutique ?" s'enquit mon père en croisant ses bras sur son torse.

Et là, je vis le voyageur revendre un par un les objets qu'il nous avait volé, sauf le médaillon. J'en restais bouche bé.

"-Quelque chose d'autre ?" reprit mon père une fois qu'il eut dilapidé son argent pour nos propres possessions.

"-L'avis de la place du marché." répondit suscintement le voyageur.

"-Ah ! Vous êtes donc un Héros ! Laissez moi vous expliquer, l'hiver dernier a eu son lot de pluie et de neige et au printemps, tout s'est réchauffé trop vite..." commença mon père.

"-Skip." le coupa son interlocuteur.

Mon père garda le silence un instant avant de reprendre :

"-Il faut déblayer le tunnel et me ramener la cargaison ainsi que mon fournisseur. Bien sûr, je vous payerai. Acceptez vous cette quête noble voyageur ?"

"-Oui." fit simplement ce dernier, désintéressé.

"-Bien, revenez me voir quand vous aurez fini." acquiesça mon père alors que le "héros" tournait les talons et sortait de chez nous.

De nouveau, je le saisissais par les épaules :

"-Papa, ce type vient de nous voler, puis de te revendre nos affaires ; il a cassé tout ton travail; a gardé le médaillon de grand-mère ; te parle comme à un moins que rien, et toi, tu lui confis une quête avec une rémunération ?! Mais qu'est-ce qu'il t'arrive enfin ?!"

Bien sûr, j'étais inquiet. Je m'attendais à devoir aller chercher un guérisseur en plus des gardes ! Si ma mère avait toujours été de ce monde, paix soit son âme, elle aurait été du même avis que moi, j'en étais sûr.

"-Mais enfin Arthur mon garçon, de quoi parles-tu ?" me répondit finalement mon père en fronçant les sourcils d'un geste presque mécanique.

"-Du fait que nous ayons été volés, insultés et attaqués sans que tu ne sembles réagir !" répliquai-je sur un ton qui perdait toute patience.

"-Arthur, va garder les poules."

Sa réponse me laissa muet. Quoi ? Garder les poules ? J'avais bientôt vingt ans mais je vivais toujours sous son toit, j'acceptais donc ses ordres. Mais dans ce contexte ? Cela n'avait tout bonnement aucun sens. Je restais muet.

"-Allons, file ! Il fait déjà presque nuit, il faut les ramener au poulailler !" ajouta mon père sur un ton joyeux avant de retourner vers son comptoir, marchant sur les débris sans y prêter la moindre attention.

C'était à n'y rien comprendre: il n'était pas midi lorsque j'étais entré dans la maison ! J'aimerais pouvoir dire que j'ai répliqué, que je suis parti chercher de l'aide, mais ce ne fut pas le cas. Poussé par une force extérieure, peut-être la même que celle qui poussait mon père à déblatérer des inepties, je sortis dehors, en direction de l'enclos dans lequel étaient gardées nos poules. Dehors, le soleil se couchait. J'installais donc les poules pour la nuit, puis rejoignit mon père pour manger. Une nourriture qui nous avait été volée puis revendue, sans vaisselle, celle-ci gisant au sol. Je ne décrochais pas un mot de la soirée.

Une fois que le repas terminé, mon père parti se coucher à l'étage, me laissant enfin seul pour que j'aille voir la garde. Toutefois, on m'envoya paître. On m'ignora tout d'abord, puis l'on me renvoya en me menaçant de me jeter en cellule pour la nuit. Tout ça avec des pauses étranges dans leurs phrases. Je repérais même un garde coincé dans une marche. Je rentrais donc à la boutique, sans comprendre.
Tout avait changé. A moins que ce ne fusse moi ? Je comparais alors ma vie de ce matin, la bonhomie avec laquelle j'avais accuelli le voyageur, avec l'inquiétude et la colère qui m'avait ensuite dévorées. Alors que je rangeais la boutique, je sentis un frisson parcourir mon échine. Les autres n'étaient pas conscients. Je n'étais pas conscient jusqu'à l'arrivée du voyageur.

En rangeant, je mis la main sur la vielle épée de mon père. Dissimulée sous le parquet, le voyageur ne l'avait pas trouvée. L'accrochant dans mon dos avec son harnais, je pris ma décision : j'allais suivre le voyageur. C'était lui le coupable de ce changement. Et si je ne pouvais lui faire payer, peut être au moins obtiendrai-je des explications quant à tout ceci...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Denielle Fervelle ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0