(1-2) Amour chimérique

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 Sur le parvis, son malaise grandit. Mille et un kimonos se pressaient devant lui, désireux le voir se comporter tel le héros que contaient les poètes pour la postérité. C'en devenait étouffant. Il s'imagina se barricader dans le temple, mais son devoir le tenait en laisse. Le Prince s'obligea à sourire, à rester droit et avenant, et à traverser cette marée de soie aux côtés de sa nouvelle épouse. Il fatiguait à chaque sollicitation et Roi ne lui facilitait pas la tâche. Ses discours enflammaient toujours plus ses sujets. Les défilés de courbettes ne s'arrêtaient jamais, même lorsque les jeunes gens gagnèrent la salle de réception du palais.


 Combien de temps encore devrait-il supporter cette torture avant qu'elle ne l'achève enfin ?


 La peau moite, Rahyel s'agitait sur son siège. Ses bras voulaient se croiser en signe de repli, sa tête penchait dangereusement sur le côté sous le poids de l'ennui et ses yeux louchaient vers la sortie. Ne pas montrer de faiblesse, aucun impair ne lui serait pardonné cette fois. En tant qu'attraction principale, il avait été surélevé et exposé au regard de tous, dont celui de son monarque qui savourait sa réussite.


 — Vous semblez plus seule que moi ce soir, Votre Altesse, lui glissa à l'oreille sa partenaire d'infortune. Je pensais que vous apprécieriez l'événement.


 Elle lui adressa un sourire emprunt de compassion, il perçut le sarcasme. La Princesse sortait enfin les griffes. Elle avait parfaitement choisi son moment, il l'en féliciterait presque. Diminué par les jeux d'apparences et les nuisances sonores, il se défendit sans grande conviction :


 — Je ne veux décevoir personne.


 Un désir mort-né. Inutile d'en discuter. Le jeune homme se tourna vers l'assemblée avant de s'arrêter sur des cheveux d'or, ceux d'une femme qui préféra tremper se lèvres dans un verre de saké et feindre ainsi l'indifférence plutôt que de croiser son regard. De toute façon, elle ne manquerait pas de tout lui reprocher. Il avait consenti à ce second mariage en dépit de leurs promesses.


 Ismara s'en montra désolée :


 — L'adage veut que le plus puissant commande au temps et qu'il revienne aux autres de s'en accommoder.

 — Et cela vous convient-il ?


 Il n'en croyait rien. Sinon, elle n'aurait pas souligné l'absence notable de ses semblables à cette farce grotesque.


 — Je ne parlais pas de moi en particulier, tempéra-t-elle avec tact. Toutefois, si vous me demandez, j'essaie de m'accommoder au manque de soleil dans vos contrées. Tant qu'il ne pleut pas, tout me va !


 Il fronça les sourcil sans plus comprendre où elle voulait en venir. Elle s'en amusa gentiment, ce qui attira l'attention des invités. La proximité qu'elle mit en scène plut, sauf à une personne que Rahyel vit disparaître entre les danses et les murmures. Cette image le contraria plus qu'il ne l'aurait pensé. Elle remuait trop de souvenirs, douloureux. Il prêta à peine l'oreille à Ismara qui s'expliqua sans se défaire de son rôle d'épouse aimante :


 — Je ne souhaite pas bouleverser votre monde, Votre Altesse. Vous savez, je me tiens à vos côtés pour soutenir le rêve de Sa Majesté, votre père, et que vous partagez sans doute. — Vous y croyez... lâcha-t-il par réflexe.


 Si un beau mariage suffisait à régler tous les problèmes, le Conseil n'aurait pas courbé l'échine de si mauvaise grâce devant les dépenses engagées par le Roi. Les tensions ne s'envoleraient pas du jour au lendemain.


 — Je le dois, chercha-t-elle à le rassurer sur ses intentions. Vous aussi, je suppose.


 L'aplomb qu'elle manifesta le poussa à se tourner à nouveau vers elle, il s'en mordit aussitôt les doigts. Elle l'avait acculé et agrippé, il ne pouvait échapper à son regard. S'il mettait de la distance, il trahirait le public. Elle le savait. Elle ne le lâcherait pas tant qu'elle n'aurait pas obtenu de clarifications. Sa flamme intérieure vacilla sous l'ombre de la guerre.


 Ce constat gifla Rahyel. Révolté contre la décision du Conseil, il n'avait considéré que son rôle de marionnette, pas celui de soutien au quotidien. La tâche lui parut affreusement lourde. Jamais il ne s'en montrerait à la hauteur, il le craignit.


 Il soupira, désolé qu'elle soit tombée sur lui. Il ne pouvait que respecter ses vœux comme il s'y était engagé devant les Grandes Déesses. Alors il tendit la main à son épouse qui ne comprit pas la démarche. Il s'en amusa à son tour, discrètement, avant de l'encourager d'un mouvement de tête à lui accorder sa confiance. La suite le nécessiterait qu'elle se repose sur lui. Elle ne l'ignorait pas. Une vague d'appréhension passa sur son visage, avant qu'elle ne se laisse convaincre du bout des doigts. Rahyel la sentit se détendre au fur et à mesure que le contact se prolongeait. La Princesse libéra son souffle et s'autorisa un fin sourire, le premier de la journée qu'elle ne destinait au spectacle ou à la politesse, mais à lui seul. Un honneur dont il tacherait de se montrer digne.

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