(1-4) Amour chimérique
Assis à une main de se toucher, chacun fixa une direction différente. Malédiction.
La gêne de sa partenaire le renvoyait à la sienne, mais il prit sur lui. Hors de question de s'embourber plus longtemps dans cette situation. Il franchit du bout des doigts la mer de soie, essuya plusieurs échecs, avant de frôler ceux vernis de blanc, de se les approprier en toute courtoisie et de retrouver la chaleur qui les avait animés pendant la fête.
Rahyel osa ancrer son regard dans celui d'Ismara qui ne flancha pas. Elle aussi partageait cette envie de conquête rapide, alors il anéantit la distance qui séparait leurs deux corps et poursuivit son exploration. Le poignet, le coude, l'épaule... Lorsqu'il redescendit vers le creux du dos, sa compagne le repoussa puis se leva pour rester hors de portée.
Déboussolé, le jeune homme ne comprit pas de suite sa méprise. S'était-il montré trop intrusif ? La... dégoûtait-il ? Il chercha un début d'explication dans les mouvements de son épouse qui ne lui fournit aucun indice. Elle tourna sur elle-même, expira, puis plongea sous les draps. Quand elle fut mieux installée, elle s'intéressa à nouveau à lui.
Bon sang, à quoi jouait-elle ? Il ne savait que déduire de ce regard provocateur qui cachait mal son malaise, seulement qu'il était invité à la rejoindre. Il s'allongea à côté d'elle en prenant soin de ne pas l'effrayer.
Les secondes s'écoulèrent, silencieuses, sans qu'il ne tente rien. Il préféra la laisser venir à lui. Un choix judicieux, l'héritière de Jawiad s'empara de sa main. Ils renouèrent leurs confiances au creux de leurs paumes, les caresses s'affirmèrent et un frisson détonna. Alerte, Rahyel maintint cette fois un contact visuel avec sa compagne. Ainsi, il la rassurait, lui montrait qu'un geste suffirait pour qu'il recule.
Libérée d'un frein, elle souhaita accélérer la cadence. Il sentit le tracé des griffes dans son dos, sur son haut, sur sa peau. Ce qui le poussa à se contorsionner à leur passage. La rencontre avec ses trop nombreuses cicatrices le mettait mal à l'aise. L'idée de les rendre visibles lui était encore plus insupportable. Il camoufla lui aussi son corps sous les draps avant de commencer à se déshabiller. Une tension montait en lui, il en aurait jamais juré au vu des circonstances.
Il se fraya un chemin entre les cuisses qui se refermaient d'elles-mêmes, resserra son étreinte et retira à la va-vite la ceinture de la tunique rose qui refusa de glisser au sol. Désormais nus l'un contre l'autre, ils tentèrent de grappiller autant de plaisir que leur devoir leur permettait. Le jeune homme se déroba à un baiser. Cela lui parut inapproprié dans ce contexte, trop cynique, même pour lui. Ismara s'excusa d'une caresse sur la joue que Rahyel accepta. Progressivement, leurs nez se rapprochèrent et leurs fronts se touchèrent, comme une autre manière de s'embrasser...
Les jeunes mariés s'y abandonnèrent, longtemps, avant de s'autoriser à s'unir.
« Puissent ton courage et ton dévouement être salués »
Encore un effort, en douceur, et Rahyel s'écroula aux côtés d'Ismara dans la moiteur des draps. Il roula sur le dos pour se distancer de ce qui venait de se passer, tant sur le plan mental que physique. Son cœur battait vite, beaucoup trop vite, même si... Il se sentait moins seul qu'il ne l'aurait pensé. À coup d'œil à sa droite lui apprit qu'elle se remettait aussi de ses émotions. Ses cheveux formaient un soleil noir sur l'oreiller, tandis qu'elle fixait le plafond d'un regard absent.
Désolé de ne lui avoir offert une première fois plus convenable, le Prince attrapa les vêtements dont il s'était débarrassé pendant les ébats, dissimula avec soin ses cicatrices et tenta de se réjouir de la fin de cette nuit de noce. En vain. Il avait besoin d'espace. Et d'une nouvelle infusion. Une voix rauque le retint lorsqu'il se leva :
— Dois-je rester ici ou m'en aller ?
— Comme vous voulez... bredouilla-t-il, pris de court.
L'homme se voyait mal la chasser du lit conjugal, même si son attrait pour une solitude salutaire menaçait de prendre le pas sur la bienséance.
— Le protocole n'indique-t-il rien à ce sujet ? insista-t-elle, aussi amère que sarcastique.
— Vous êtes libre d'agir à votre guise, lui confia-t-il sur un ton qu'il voulut rassurant.
Peu convaincue, Ismara souffla du nez, ce qui froissa Rahyel bien qu'il n'en montra rien. Tous deux étaient éreintés, il le savait, inutile de se monter la tête pour des détails. Pas après tout ce qu'ils venaient de traverser. Il estima lui avoir donné les clefs pour choisir par elle-même, alors il descendit vers la table basse et ralluma des bougies au passage. Elle le rejoignit à ce moment-là, prête à découvrir de nouvelles fleurs de thé avec lui. En paix. Cette perspective leur arracha un sourire en coin.
Cette fois, la nuit leur appartenait vraiment.
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