(3-2) Charmantes créatures

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 Pour le moment, ni fleurs ni glyphes obscurs n'avaient été trouvés. Rahyel s'intéressa donc au fatras de droite qui avait intrigué Elyas un peu plus tôt. Avec l'aide de la prêtresse, il déplaça les tapisseries, planches et autres baguettes de bois qui gênaient jusqu'à découvrir un sac de toile. Étrange... Il ne semblait pas avoir souffert d'un quelconque écrasement. L'inscription « jasmin » notée sur toute la hauteur se lisait sans difficulté. Le jeune homme dénoua le cordon et commença à sentir un parfum familier. Alerte, il jeta un œil au contenu avant d'y plonger la main. Il en ressortit de petites fleurs blanches pareilles à des étoiles. En piteux état, voire fané, ce jasmin était invendable. Personne ne devrait donc s'étonner de le retrouver à la cave.


 Sauf que les autres invendus n'y étaient pas entreposés...


 Quant à cette fragrance entêtante, il la détestait suffisamment pour la reconnaître entre mille. Bien déterminé à percer à jour tous ces mystères, Rahyel enfonça davantage son bras au cœur de ce cosmos floral. Il chercha, tâta... identifia ce qu'il redoutait. L'en extirpa aussitôt. Une rumeur circula derrière lui.


 Au creux de sa main, siégeait bien la fleur des ensorceleuses. Cette maudite darucia... Elle s'apparentait à une araignée, aussi blanche que les premières neiges d'hiver, dont la centaine de pattes recroquevillées s'entremêlaient dans tous les sens. Immonde. Elle ne lui inspirait que du dégoût et une furieuse envie de la détruire, tant elle ne symbolisait pour lui que des problèmes à venir.


 Activement recherchées par les autorités, les darucias étaient prohibées dans tout le royaume. Seul un certificat délivré par les plus hautes instances permettait à certaines personnes d'en posséder. Posséder, et non revendre. Du moins, pas sous cette forme. Les médecins et apothicaires, qui représentaient la majorité des exemptés, les transformaient en médicaments pour soigner l'asthme. Sinon, sans cette surveillance accrue, elles servaient d'autres machinations. Les plus innocents en extrayaient du poison. Les plus pernicieuses en exploitaient le potentiel magique. Grâce à ces plantes, les sorcières parvenaient à entrer en transe plus rapidement, l'étape incontournable pour initier n'importe quel sortilège.


 Les régions ravagées du Nord pouvaient témoigner de leur malveillance...


 Devant la gravité de la situation, qui envenimait ses pensées un peu plus à chaque seconde, Rahyel s'efforça à garder la tête froide. Réfléchir. Il devait réfléchir. Toutes les marchandises étaient contrôlées aux portes de la capitale et des fouilles aléatoires étaient effectuées régulièrement. Alors comment ces horreurs étaient-elles entrées ? Sous sa surveillance ? Peut-être devrait-il rendre visite aux postes de garde. Si certains tiraient au flanc, il ne manquerait pas de les rappeler à l'ordre ! Non. Pas tout de suite. Passer ses nerfs attendrait. Comment justifierait-il une telle négligence ? Que... Que dirait-il au Roi ?


 — Altesse ? le sortit Elyas de ses délibérations internes.


 Le goupil patientait à ses côtés, visiblement bredouille. Rien d'autre n'était à mettre à charge de ces filles. Seulement ce sac des plus dérangeants. Une forte tension s'accapara les muscles du jeune homme. Il devait aussi déterminer si les passeurs avaient profité des foules venues assister aux récentes célébrations pour l'introduire ici ou s'ils se jouaient de lui depuis bien des lunes.


 Le Prince se releva, fit volte-face. Lorsqu'il montra ce qu'il tenait en main aux suspectes, celle qui s'était jeté sur lui écarquilla les yeux de surprise. Sa réaction parlait pour elle, criante de culpabilité. Il ordonna néanmoins qu'on la débâillonne pour lui poser la question d'un ton glacial :


 — Que répondez-vous à cela ?


 Tandis que les larmes de sa complice redoublaient d'intensité, l'adolescente téméraire niait avec vigueur de la tête.


 — Impossible. C'est... impossible... chuchota-t-elle, éberluée.


 Tout son corps hurlait à l'incompréhension. Elle refusait d'admettre l'évidence, alors qu'une non-initiée ne reconnaîtrait pas cette fleur si facilement. Une attitude qui agaça Rahyel. Il exigea des réponses. Sur-le-champ !


 — Ne perdez pas votre temps avec elles, Votre Altesse, lui conseilla la prêtresse. Je suis sûre qu'elles seront plus bavardes devant les interrogateurs.


 Effectivement. Puisque posséder de la darucia sans autorisation relevait du crime de haute trahison, il pouvait envoyer sans délai toutes les suspectes au Donjon des Espérances. Les deux filles furent donc tirées hors de la cave, sans aucun égard pour les larmes de l'une et le poignet ensanglanté de l'autre. Le corps enveloppé de leur complice sans vie ferma la marche qui scellait leur destin. Les plaintes de la gérante, traînée dehors avec ses protégées, complétèrent cette pitoyable scène avant de mourir noyées dans la cacophonie de la rue.


 Dans la cave, les soldats poursuivirent leur mission avec prudence. L'un d'entre eux héla soudain l'assemblée. Il venait de trouver un lot de statuettes en pierre peintes en blanc, toutes trois surmontées d'oreilles de goupils. Elles auraient pu paraître innocente si une capuche avait masqué leurs yeux, à la manière dont on représentait l'Impartiale, la Déesse de la mort. Mais il n'en était rien. Des personnes grimacèrent, d'autres blêmirent. Toutes ces pupilles écarlates dérangeaient, parce qu'elles appartenaient à la Déesse impure des hérétiques.


 Autrement dit... la Renarde.


 Ils avaient bien déniché un repaire de sorcières.


 La menace bien en tête, Rahyel réfléchit comme il le put au milieu de ses pensées chaotiques. Il n'en conclut qu'une chose : il devait retourner au palais de toute urgence pour en informer Sa Majesté et le Conseil.


 Sa migraine accueillit cette perspective à grand renfort de tambours. Elle redoubla d'intensité à la sortie de l'herboristerie. Un Enfer. Le Prince empoigna les rênes de son étalon, s'engagea sur une route aux cerisiers malgré la foule et passa le mur d'enceinte qui séparait les faubourgs des quartiers historiques. Il se dirigea ensuite vers l'ouest, là où était situé la zone réservée aux militaires à l'ouest, avant de remonter vers le nord jusqu'à la Place du Jugement. Cour de l'ancien palais, au centre de la capitale, elle ouvrait la voie vers le nouveau.

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