(7-1) Idéal

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 « Vous n'obtiendrez jamais rien si vous ne vous montrez pas à la hauteur du sacrifice des vôtres. »


 Ismara ne décolérait pas. Elle tint tête aux deux Puissante Rahn qui la regardaient de haut. Chacune était encrée sur des parchemins, dans un monde en noir et blanc où l'on acceptait pour unique couleur que le sang des ennemis qui éclaboussait le sol, les hakama, les duo d'akehimes et la pointe des queues de cheval. Un carnage esthétique sous lequel trônait fièrement un mannequin d'entraînement.


 L'envie de le massacrer à coups de sabre saisit la jeune femme. Elle s'imaginait déjà frapper tour à tour ses servantes, son précepteur, l'Incandescent et, surtout, cette pimbêche qui ne manquait pas une occasion de porter une de ces robes à la mode du sud. Personne ne la remettait à sa place, elle, quand elle souhaitait rappeler à tous ses origines. Encore moins quand elle débitait pareilles horreurs...


 Une ombre la surplomba, la dissuadant d'attraper la première lame en bois à sa portée.


 — Vous n'êtes pas autorisée à entrer dans le dojo, lui reprocha le Prince Rahyel dans son dos.

 — Je m'impatientais de vous revoir, se justifia-t-elle avec entrain après l'avoir salué, en dépit de son humeur qu'elle masquait au mieux.


 Ismara s'était ruée vers l'antre de son mari dès que sa dame d'honneur l'avait informée qu'il était rentré plus tôt que d'habitude. Cependant, elle doutait désormais d'obtenir le réconfort qu'elle était venue chercher. Le fourreau de son arme en main, l'homme à la barbe de trois jours paraissait austère dans sa tenue d'entraînement, d'une sobriété en accord avec la philosophie du lieu.


 — Je ne voudrais pas que l'on se méprise sur vos intentions, insista-t-il.


 Il s'inquiétait pour elle mais, dans le fond, elle entendait surtout que lui aussi attendait d'elle qu'elle se renie. Un coup de poignard de trop. Le Prince la décevait tellement... Elle préféra partir avant de compromettre tous ses efforts.


 — Pardonnez-moi de vous avoir importuné, murmura-t-elle dans un semblant de politesse quand elle le dépassa.


 Même un simple soutien lui était refusé. Elle ne demandait pourtant pas la lune ! Une pression sur le bras la retint, le Prince Rahyel estimait que la conversation n'était pas terminée. Ismara si. Elle se retourna pour le confronter et lui décocha un regard noir par réflexe. Tant pis pour ses bonnes résolutions. Elle aussi avait le droit de laisser libre cours à ses sentiments. Il était bien placé pour le comprendre. Il la relâcha, soupira lourdement, puis lança avec nonchalance :


 — Laissez-moi deviner... Roxelann ?


 La Princesse, bouche bée, n'en revint pas qu'il vise si juste. Comment... ?


 — Elle manie les mots comme Areth, répondit-il à la question muette d'un air blasé.


 L'élégance en moins, s'abstint-elle d'ajouter. Elle releva surtout que le jeune homme non plus ne portait pas sa belle-sœur dans son cœur et s'empressa de s'enfoncer dans la brèche. Aux Enfers les convenances. De toute façon, elle pointait les défauts de cette future Reine sous le couvert d'une recherche de conseils. Rien ne lui serait reproché, rien ne se retournerait contre elle. Autant en profiter, son compagnon compatissait à son malheur. Alors elle se lâcha.


 Parce que, par la Puissante Rahn, elle ne supportait plus tous ces changements intempestifs !


 Pour l'arrivée prochaine des Kaalans de Mbembé au palais, les épouses des Princes préparaient un spectacle de danse auquel Roxelann s'était attribuée le rôle le plus important. Soit, cela pouvait se concevoir. En revanche, qu'elle s'amuse à rectifier sans cesse leur chorégraphie pour toujours plus briller était insupportable. Elle manquait de respect à toutes les danseuses, en plus de leur faire perdre leur temps ! Sa dernière lubie ? Montrer à tous que la culture amarine ne se limitait pas à un passé poussiéreux, mais s'étendait à leur présent glorieux. Pour cela, elle souhaitait inclure des influences de sa contrée natale, au sud du royaume. Une belle initiative pour consolider les liens entre les hôtes et les invités.


 — Sauf que je n'en crois rien ! s'enflamma Ismara sur les tatamis en se remémorant les paroles déplacées censées la convaincre. Elle risque de tout gâcher.

 — Roxelann a grandi à Djénara, que l'on considère aujourd'hui comme la porte sud d'Amaraï, réfléchit à haute voix le Prince Rahyel, qui lui n'avait pas bougé d'un pouce. La cité a été conquise pendant la régence de ma grand-mère.


 Une ville affreuse, de ce qu'Ismara se souvenait de son court séjour qui avait suivi la traversée du désert. Constamment dans l'ombre des murailles et d'un palais central, elle s'était encore plus enlaidie avec les destructions et les rajouts des Amarins. Jawiad aurait connu ce sort si elle n'avait pas fini en cendres.


 — Sa Majesté a voulu surpasser sa mère en conquérant à son tour... enfin, vous savez, s'interdit-il d'aller plus loin.


 Il rappela plutôt que le Roi, dès sa majorité atteinte, avait éjecté de son Conseil et de son palais celle qui lui avait donné la vie. L'évoquer était déconseillé, encore plus par le prisme de Djénara.


 La Jawidji en prit bonne note, se félicita de ne pas être tombée dans le piège, puis se désola de constater une fois de plus à quel point son Prince était soumis à l'Incandescent. Dans ces conditions, comment espérer un jour lui parler de ses plans ? Elle était condamnée à se battre seule.


 — Areth tient à ce que tout se passe bien, Roxelann le sait, la rassura-t-il. Elle joue avec vous.

 — Et si le jeu va trop loin ?

 — Rappelez-lui ses intérêts.


 Cette perspective soutira un sourire conspirateur à sa femme. Oui, elle comptait bien obtenir réparation. Voire plus. Si elle manœuvrait bien, elle réussirait peut-être à inclure des variantes du sud sans que personne n'y trouve à redire. Quelques idées fusaient dans sa tête. Elle allait y réfléchir.


 — Je vous remercie de m'avoir écoutée, Votre Altesse. Je me sens mieux.

 — Plaisir partagé.

 — Bien, s'en réjouit-elle avant de se contraindre à le quitter. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, je voudrais me reposer un peu avant les essayages de costumes. Cela risque de durer toute la nuit...

 — Oh. Je serai donc seul ce soir, releva-t-il un poil déçu.


 Pour une fois qu'il se libérait tôt de ses obligations, il avait sans doute prévu de s'accorder un moment pour lui avant de se consacrer à ses épouses.


 — Il faut bien que les rôles s'inversent de temps à autre, commenta-t-elle pour le taquiner, avant de se raviser. Pardon, ce n'était pas approprié...

 — Ne vous excusez pas.


Pas pour de telles trivialités, interpréta-t-elle le sous-texte. L'intensité qui se dégageait de lui, la douceur brute qu'il installait entre eux et qui les liait toujours de cette étrange manière... affecta une fois de plus Ismara. Plus qu'un soutien émotionnel, elle aurait aimé trouver en lui l'allié idéal.

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