15. Gaétan
15. Gaétan
Une paire de mois après la rentrée académique, prenant son courage à deux mains, Madison accepta l’invitation de Gaétan à boire un verre « à deux ». C’était un jeudi soir, ils ne la feraient pas trop longue, le lendemain, ils avaient cours à 8h30.
Ils n’allèrent pas dans le carré[1] de Liège, mais dans un petit bistrot proche de l’endroit où ils logeaient tous les deux.
— Tu veux quoi ?
— Oh, un mazout ; bière coca… Je n’aime pas trop le goût de la bière pils.
— Ok, je vais le commander, je vais prendre la même chose.
Madison le regarda faire, ils étaient installés dans un petit coin relativement discret du bistrot. Elle était assise sur une banquette en sky rouge qui avait un peu vieillit, mais qui restait très confortable.
Le temps de la commande, Madison tenta de respirer profondément, pour se calmer… Elle avait les jambes en coton d’être là avec lui ; partagée entre l’envie d’être dans ses bras et celle de prendre ses jambes à son cou, de peur de ce qu’il pourrait penser si elle lui parlait d’elle et de ce qu’elle avait vécu. Elle était sure qu’il serait dégoûté d’elle.
Perdue dans ses pensées, elle ne l’avait pas vu revenir. Elle sortit de sa torpeur lorsqu’il s’assit à côté d’elle sur la banquette.
— Tu rêves, Madison ?
— Quoi ?
— Je te demande si tu rêves, je te trouve bien songeuse tout à coup.
— Euh… Oui, désolée.
— Eh, mais pas de soucis, tiens, un mazout tout frais !
Elle lui sourit et trinqua avec lui.
Ils discutèrent d’abord des cours, des examens qui arriveraient tout doucement et qu’ils comptaient préparer à deux comme ils l’avaient fait les deux années précédentes, puis, Gaétan embraya doucement sur le côté plus « vie privée », la questionnant sur les nouvelles qu’elle avait de sa mère, de son aménagement chez son cousin, il lui parla aussi de sa vie à lui, coincé entre une grande sœur qui faisait des études de droit et un petit frère qui était encore en secondaire, ses parents étaient toujours ensemble et relativement unis.
— De mon côté, c’est moins drôle avec ma mère jamais là et mon père que je n’ai pas connu.
— Oh, tu sais, toutes les familles ont leurs soucis.
— Oui, mais bon, certains peut-être moins que d’autres, vous êtes unis, vous pouvez compter les uns sur les autres chez toi, c’est chouette.
— Toi aussi, non? Tu peux compter sur ton cousin de ce que j’en ai compris.
— Oui, c’est vrai, il me fait office de grand frère en somme. Mais bon, on a seize ans de différence, c’est un vieux grand frère !
Elle rigola, il lui lança quelques vannes qui la firent rire encore plus.
Alors qu’ils étaient encore secoués par des rires, ils se retrouvèrent fort proches l’un de l’autre, quasi en face-à-face.
Madison trembla à l’intérieur d’elle-même, elle avait envie de l’embrasser, mais était tellement stressée qu’elle avait l’impression d’avoir la bouche complètement sèche. Lorsqu’elle capta qu’il rapprochait doucement sa bouche de la sienne, elle alla à sa rencontre et ne réfléchit plus, elle avait des papillons dans le ventre, mais se sentait aussi raide qu’un piquet, assise sur cette banquette.
Il l’embrassa doucement du bout des lèvres puis recula un petit peu pour la regarder dans les yeux, là, Madison fondit, elle avait l’impression de voir dans son regard qu’il lui demandait s’il pouvait continuer, s’il pouvait l’embrasser plus franchement.
Madison eut l’impression de pouvoir recommencer à respirer et sentit son corps se relâcher et se détendre quelque peu. Elle posa sa main sur sa joue et l’embrassa à son tour doucement puis entrouvrit ses lèvres pour l’accueillir et lui permettre de l’embrasser de façon plus intime.
Après un bon moment, ils firent une pause dans leurs baisers et se décidèrent à boire leur mazout tiède. Il garda la main qu’il avait sur sa taille, elle lui caressait le genou et le début de la cuisse.
Comme ils restaient tout deux silencieux, Gaétan lâcha,
— J’ai cru que je n’y arriverais jamais tu sais…
— À quoi ?
— À t’embrasser Madi… Je ne savais pas si je t’intéressais réellement en tant que mec, tu vois.
— Euh, oui… Tu m’intéresse, mais je ne sais pas si je suis prête pour être à nouveau avec quelqu’un, Gaétan.
— Mais… Là tantôt… T’avais l’air d’aimer, non ?
— Oui, j’ai aimé Gaétan, mais c’est « l’après » qui m’effraie.
— Qui t’effraie ?!
Madison regardait le sol et se triturait les mains.
— Oui, de ce que tu voudrais faire ensuite, qu’on aille plus loin.
— Eh ! Madi ! Arrête, c’est pas parce que je t’ai embrassé qu’on doit directement passer au lit ! Chaque chose en son temps, non ?
Dans un souffle, elle lui dit,
— Oui, c’est mieux.
Soucieux, Gaétan lui demanda,
— Mais dis, je suis peut-être indiscret, mais, ça s’est passé comme ça avec ton ex ? C’est pour ça que tu n’as pas envie d’être avec quelqu’un ?
— En gros, oui, c’est ça.
Madison souffla tellement qu’elle eut l’impression de se vider complètement. Gaétan la prit dans ses bras, elle se laissa faire et il lui dit,
— Madi, je n’ai pas envie de te brusquer, mais tu me plais comme fille, j’adore être avec toi, ton humour me manque le weekend quand je retourne chez mes parents, tu ne peux pas savoir… J’ai envie d’être avec toi pour d’autres choses que des dissections ou des laboratoires de biologie. Mais quand je te sens toute… Je ne sais pas comment dire…
— Toute à côté de la plaque, c’est ça ? Je sais, désolée, je suis comme ça.
— Mais non, toute peureuse plutôt.
Madison, toujours nichée au creux de ses bras, haussa tristement les épaules, sans mot dire.
— Et puis, à la fois si tendre quand tu m’embrassais Madi, j’aime bien comme tu embrasses, tu es tellement douce, et même quand j’y suis allé plus franco, tu suivais, mais c’était tellement agréable quand on revenait à ton rythme.
Gaétan avait un sourire béat qui retomba lorsqu’il constata que Madison sanglotait dans ses bras.
— Eh, Madi, qu’est-ce qu’il y a que tu pleures ? J’ai dit un truc de travers ?
Elle leva son visage vers lui, les yeux baignés de larmes et lui répondit,
— Non, c’est super beau ce que tu viens de dire Gaétan, je t’en remercie, vraiment !
— Mais, qu’est-ce qui te fait pleurer alors ?
— C’est que…
Elle prit une bonne respiration puis lui lâcha, regard baissé,
— Mon ex, il n’a jamais suivi mon rythme… Il m’a toujours imposé le sien.
Elle déglutit difficilement en attendant sa réponse…
— Je ne suis pas ton ex Madi, ça devait être un con s’il n’a pas su apprécier ton rythme, moi il me plaît et je n’ai pas envie de t’en imposer un autre.
Madison respira plus vite, elle sentait des sanglots monter en elle. Elle posa son front contre le torse de Gaétan puis redressa la tête et lui demanda,
— T’as encore envie de m’embrasser ?
— Oui !
Il se pencha et recommença à l’embrasser tendrement comme il l’avait déjà fait. Elle l’enlaça plus souplement que lors de leurs premiers baisers et savoura d’autant plus leur rapprochement.
[1] Le Carré est un lieu-dit de la ville de Liège, en Belgique. Le quartier est connu pour compter de très nombreux bars fréquentés essentiellement par les étudiants liégeois.
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