Chapitre 9 :  et jamais de son père...

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Avec Marie, nous nous appelions tous les deux ou trois jours au téléphone. J’avais une ligne directe dans mon bureau et il faut bien admettre que celle-ci servait au moins autant à mes conversations privées que pour appeler le ministre.

Ce soir-là, assez content de moi sur la façon dont j’avais géré la crise avec Jules, je lui racontai tout, n’omettant aucun détail, ni même les pensées qui m’étaient venues en tête en discutant avec Jules. Une fois mon histoire terminée, je m’attendais à ce qu’elle soit fière de moi, me félicite. Eh non, rien du tout. Silence à l’autre bout de la ligne…

  • Marie, tu es là ?
  • Oui, oui…
  • Tu ne dis rien ?
  • Je réfléchis à la formulation de ce que je veux te dire…
  • Oh… Au ton de ta voix, ça ne va pas être très aimable, je le sens. Pourtant, j’ai bien traité la cause du problème, non ? Bon il faudrait aussi peut-être que je dise aux femmes de l’équipe d’éviter les jupes trop courtes. Comme ça, on aura vraiment fait le tour du problème, tu ne crois pas ?
  • Robert…
  • Oui, Marie ?

Je commençais à bien la connaître. Quand elle prenait ce ton-là, c’est qu’elle avait des messages importants à me faire passer, pas toujours faciles à dire. Ce n’était pas une femme à mettre son point de vue dans sa poche. C’est d’ailleurs ce qui m’avait toujours plu en elle.

  • Mets-toi deux secondes à la place de Josiane.
  • Pardon ?
  • Oui, imagine que tu es Josiane et qu’il y a un homme pour qui tu ne ressens rien, qui vient se coller à toi pour te tripoter.
  • Mais je ne suis pas une femme ! Je lui fous mon poing dans la gueule, à ce mec !
  • Pas si tu es une femme, Robert !
  • Ben si !
  • J’ai une autre idée : il fait chaud, tu as ouvert ta chemise et un type avec qui tu travailles vient glisser sa main dans ta chemise et te dit : « mmmmmm tu me plais, petit coquin, si tu as ta chemise ouverte, c’est parce que tu attends des caresses, je suis là pour toi, Robert. Je vais te faire du bien ». Pour couronner le tout, imagine que c’est le ministre qui te fait ça, celui dont tu dépends, ton responsable...
  • ….

À cet instant, l’image qui s’était imposée dans ma tête me fit froid dans le dos. Il fallait bien admettre que cette situation évoquée par Marie me donnait envie de vomir et me paralysait en même temps. Comment aurais-je pu réagir si cela m’était arrivé, à moi ? Elles étaient loin mes velléités de coup de poing dans la gueule… J’étais tétanisé par l’idée de cette scène.

  • Oui, hein… Tu comprends ce qu’a pu ressentir Josiane ? Ta chemise était ouverte, il a pensé que cela lui était adressé. Tu vois le parallèle ?
  • Sa jupe courte ?
  • Oui, ce n’est pas parce qu’une femme met une jupe qui montre ses jambes qu’elle a envie de se faire baiser par la terre entière !
  • Marie !?

Oh, quand elle devenait grossière, c’est qu’elle était vraiment énervée. Ou alors qu’elle trouvait que je faisais encore des pirouettes pour éviter les sujets difficiles.

  • Quoi, c’est pas ce qu’il voulait, ton Jules ? Baiser la petite Josiane ?
  • Si, si, sûrement…
  • Et il s’en est senti le droit, parce qu’il était un homme, parce qu’il était hiérarchiquement supérieur à elle et aussi parce qu’elle avait une jupe qui dévoilait ses jambes !
  • Oui, je comprends… Ce que j’ai fait en le virant, c’était ce qu’il fallait faire, non ?

Quand même, je ne pouvais pas avoir merdé sur toute la ligne, si ?

  • Oui, c’est le minimum qu’il y avait à faire, mais tu l’as fait, Robert.
  • Ah ?
  • Robert, je t’aime et j’attends autre chose de toi. J’attends beaucoup plus de l’homme que j’aime…
  • Ah bon ?

Bon, elle m’aime encore, tout va bien. Malgré tout, il faut que je sois à la hauteur de ses attentes.

  • Oui !
  • Et qu’est-ce que je peux faire de plus ?
  • Dans cette affaire, il y avait deux protagonistes, non ?
  • Oui, mais un seul coupable !
  • Oui et tu t’en es occupé, comme il fallait, quoique, je n’aurais pas été fâchée que ton ami Paulo lui donne une bonne leçon.
  • Je ne sais pas ce qui lui a pris de s’énerver comme ça. À croire qu’il est amoureux de Josiane…
  • Et pourquoi pas ? Mais ce n’est pas la question, tu dévies du sujet.
  • Ah bon ?
  • Oui, Josiane, tu ne crois pas que tu as quelque chose à faire avec elle ?
  • Moi, ben non… J’ai éliminé - façon de parler - son agresseur !
  • C’est pas le moment de faire de l’humour, Robert !
  • Excuse-moi, Marie, je ne voulais pas…
  • Je sais. Arrête de me couper maintenant. Il faut que tu ailles voir Josiane et que tu lui dises qu’elle est une victime, que ce n’est pas sa faute, que Jules est un salaud, qu’il n’avait pas le droit de faire ça et d’ailleurs, que c’est pour ça que tu l’as viré.

Ah oui, mon job n’était vraiment pas terminé. Des fois, je me demandais si j’étais bien fait pour diriger une équipe, mixte de surcroit, donc forcément avec ce genre de problèmes entre hommes et femmes. Je n’avais pas signé pour ça, moi, auprès du ministre. Bon, il fallait se rendre à l’évidence, ça faisait visiblement partie du job, voilà tout…

  • Oui, je comprends. Je le ferai dès demain. Moi, je pensais surtout qu’elle avait besoin d’être consolée et que pour ça, les autres femmes de l’équipe…
  • Non, Robert, pas de la consolation, là, c’est de la reconnaissance en tant que victime, de la part de son responsable, c’est-à-dire toi.

Mais elle avait raison, Marie : Josiane avait besoin qu’on la soutienne et qu’on l’accompagne, que JE la soutienne, en tant que responsable du projet. Ce n’était pas mon rôle de la consoler, mais j’avais d’autres obligations en tant que chef.

  • Oui, je vais faire ça.
  • Et puis il faut aussi que tu lui demandes si elle ne veut pas porter plainte.
  • Porter plainte ? Pour ça ?

Quand même, pour finir il ne s’est pas passé grand-chose…Euh... si, en repensant à la scène du début de notre conversation, si, si ! Quelle horreur pour Josiane…J’en avais de nouveau des frissons.

  • Pour agression sexuelle, Robert, ce n’est pas rien. C’est dans le Code pénal depuis Napoléon, dans la partie « Attentats aux Mœurs ». C’est puni de la réclusion. Il faut que tu lui proposes, c’est ton rôle de chef.
  • Tu en es certaine ?
  • Oui, aucun doute là-dessus.

- Bien je ferai ça, c’est promis. Tu as raison, c’était vraiment un salaud, ce Jules. En plus il faisait deux fois la taille de la petite Josiane. Je ne sais même pas comment elle a pu lui résister. Elle est forte !

  • Les femmes sont fortes, Robert.
  • Tu es forte !
  • Non, toutes les femmes, même la petite Josiane ne s’est finalement pas laissé faire. Ce n’est pas une raison pour que certains hommes les forcent à faire des choses dont elles ne veulent pas !

Le reste de notre conversation fut plus apaisé et tendre.



Le lendemain, j’arrivai tôt à la base et préparai le café pour tout le monde. Paulo arriva le second, puis Maryse, Georges, Josiane et enfin, tous les autres. Je me levai puis allai voir directement Josiane en lui demandant de venir me retrouver dans mon bureau. Je l’invitai à s’assoir et lui proposai une tasse de café. Elle avait encore les yeux gonflés, d’avoir pleuré probablement…

  • Josiane, je sais ce que vous avez subi hier et c’est totalement contre mes valeurs. D’ailleurs, vous ne verrez plus Jules, je l’ai renvoyé dès qu’il m’a avoué ce qu’il avait fait.
  • Merci Robert, me dit-elle avec des larmes dans la voix.
  • C’est normal, Josiane, c’est mon rôle de responsable.
  • C’est pas facile vous savez, et il n’en était pas à son premier essai…
  • Ah bon ?
  • Non, plusieurs fois, en fin de journée, il insistait lourdement pour me ramener. Mais heureusement, à chaque fois, Paulo n’était pas encore parti et dès qu’il arrivait, comme par miracle, Jules disparaissait.

En plus, il n'en était pas à son coup d'essai, le salaud....

  • Vous auriez dû me le dire avant...
  • J’osais pas et puis, il ne s’était rien finalement passé.
  • Ce dont il faut que vous soyez convaincue, Josiane, c’est que vous n’êtes coupable de rien ! Le coupable c’est Jules qui a insisté, alors que vous lui aviez dit non. Vous êtes la victime, vous !

Je pense que Marie aurait été fière de moi, c’étaient presque ses mots. J’étais en phase avec elle maintenant, elle m’avait convaincu la veille. J’avais encore des frissons dans le dos en pensant à la scène qu’elle m’avait décrite, avec un ministre qui… beuark !

  • Merci Robert, me dit-elle en se levant, pensant notre entretien terminé.
  • Encore une chose, Josiane…
  • Oui ?
  • Si vous voulez aller porter plainte à la gendarmerie, je vous accompagnerai.
  • Je ne sais pas…
  • Réfléchissez-y, prenez votre temps. Pas trop quand même. Si vous êtes décidée, j’irai avec vous.
  • Merci Robert, vraiment, me dit-elle en se levant pour quitter le bureau cette fois-ci.


L’après-midi, lors de notre réunion quotidienne, je commençai en prenant la parole de façon un peu solennelle :

  • Pour celles et ceux qui ne seraient pas au courant, Jules ne fait plus partie de notre équipe. Il a eu un comportement tout à fait inapproprié vis-à-vis d’une collègue. Je n’ai pas réfléchi longtemps, je l’ai viré. Messieurs, ce sera le cas pour tout écart vis-à-vis d’une femme de notre équipe. Je n’ai pas hésité pour Jules, je le ferai d’autant moins que vous êtes tous prévenus maintenant. Mesdames, la porte de mon bureau vous sera toujours ouverte pour signaler tout agissement déplacé d’un homme. Toujours.

Un silence s’installa. Je me demandais s’ils étaient au courant, sous le choc de cette information, ou s’ils attendaient autre chose de moi …

  • Pas de remarque ? demandai-je à la ronde.
  • Bravo, Robert ! cria Paulo en applaudissant.

Il fut vite rejoint par tous les autres. Le silence revint peu à peu et nous continuâmes l’ordre du jour de notre réunion habituelle. À la fin de celle-ci, je pris Paulo à part et après avoir insisté un peu, j’appris les raisons de sa colère : sa mère avait été violée et il était en était le fruit. Le violeur n’avait jamais été retrouvé malgré la description que sa mère avait fait de son uniforme. Depuis qu’il était en âge de se battre, il tabassait tous ceux qui agressaient des femmes ou des jeunes filles. Je venais aussi de comprendre pourquoi il parlait si souvent de sa mère et jamais de son père...

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