Dans l'église
Il est 18 h, j’arrive juste à temps.
J’entre dans l’église. L’abbé m’observe longuement sans rien dire, il me fixe droit dans les yeux. Mon visage devient écarlate. Son regard, qui pénètre au plus profond de moi, me donne à la fois la chair de poule et des bouffées de chaleur. Je suis essoufflée et pourtant j’ose à peine respirer. La sensation est désagréable, mais je ne peux me détacher de son regard ni ouvrir la bouche. Je me sens paralysée.
La cloche vient perturber ce silence pesant qui semble durer depuis une éternité. Les six coups résonnent dans mon crâne. Une fois le dernier retentit, l’abbé annonce sa sentence :
— Ma fille, tu es en retard.
Les curés s’expriment souvent ainsi, mais je n’aime pas quand il m’appelle ma fille.
— Tu sais pourtant que je suis à cheval sur la ponctualité.
J’ai couru aussi vite que j’ai pu, j’ai failli déchirer ma robe, je suis tombée, mais je suis arrivée avant qu’il ne parte. Cela fait plus d’une minute qu’il attend en me regardant.
— Comment oses-tu entrer ainsi dans la maison de Dieu ?
Il fait allusion à ma tenue, je n’ai pas eu le temps de me rhabiller avant d’entrer dans l’église. Je serre ma robe dans mes bras. Je voudrais lui donner une explication, mais aucun son ne sort de ma bouche.
— Je suppose que tu es venue te confesser. Tu en as grand besoin en tout cas, ne serait-ce que pour ton retard et ton indécence. Je ne t’attendais plus, mais puisque tu t’es déplacée jusqu’ici, je suis prêt à t’écouter. J’imagine que tu as bien des péchés à m’avouer.
Il me prend pour une vilaine fille, moi qui suis pourtant si sage. Il me fait vraiment peur, je ne sais pas si je parviendrai à lui parler.
— Est-ce que je pourrais… murmuré-je.
— Tu dois commencer tes phrases par « Mon Père » en t’adressant à moi. Et avant cela, attendre que je t’en donne l’autorisation. Vas-y, je t’écoute, ma fille.
Je rechigne autant à l’appeler mon père qu’à l’entendre m’appeler sa fille, mais c’est la formule à utiliser :
— Mon Père, je souhaiterais remettre ma robe.
Il semble fâché par ma demande.
— Ma fille, sais-tu ce que représente la couleur blanche de ton aube de communiante ?
Vu que je ne dis rien, il continue :
— Le blanc symbolise l’innocence, la pureté, celle de notre sainte mère bien-aimée, la Vierge Marie. En ce moment, te crois-tu digne de te revêtir de cet habit de lumière ?
Il répond lui-même à sa question :
— Tu es une fille bien délurée si tu le penses. Sache que ton attitude offense Dieu.
Ses paroles sont très dures, des larmes me viennent aux yeux. Qu’est-ce qu’il s’imagine sur moi ? Pour qui me prend-il ? Je ne vais quand même pas rester presque nue dans l’église.
Il semble lire dans mes pensées, car son ton se radoucit :
— Les dames bénévoles de la paroisse ont un stock de vieux vêtements pour leurs bonnes œuvres. Nous trouverons quelque chose à ta taille pour te couvrir décemment. Il faudra aussi s’occuper de ton genou.
Je veux m’avancer, il m’en empêche.
— Ne fais pas un pas de plus à l’intérieur de mon église, accoutrée de la sorte.
Et comme je n’ai pas l’autorisation de marcher dans l’église, il me soulève et me porte jusqu’à la sacristie1, tel un sac de patates ou un vulgaire tapis.
1 La sacristie est la petite pièce dans laquelle l’abbé se prépare avant une messe.
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