L’abbé relâche enfin mon menton.

— Ma fille, il est temps de te confesser. Ne perdons pas de vue l’objet de ta visite tardive.

Toujours cette façon de m’appeler ma fille et de me faire des reproches. S’il y a bien une chose dont je n’ai pas envie, c’est d’être sa fille. Qui voudrait d’un père pareil ?

Il est méchant. Il n’aime pas les enfants. Il me déteste même si je ne sais pas pourquoi. Tout le monde me trouve adorable en général. L’abbé Dumont-Saint-Michel nous parlait de l’amour de Dieu et de son prochain. Lui ne parle jamais d’amour, je suis sûre qu’il n’aime personne.

— Ma fille, je t’écoute, s’impatiente-t-il. Tes péchés sont-ils si difficiles à avouer ?

Ma fille, encore ! Je n’ai pas vraiment fait de bêtises depuis la dernière fois, que pourrais-je lui raconter ?

— Allez, n’aie pas peur. Il n’y a que toi et moi dans la maison de Dieu.

Justement, ça me fait peur d’être seule dans l’église avec lui.

— Dieu est prêt à t’entendre. Et il sait tout de toi, ne lui cache rien.

Je sens son regard perçant. À nouveau, je baisse la tête. Je ne veux pas le voir. La robe me donne envie de me gratter, mais je me retiens, sinon je finirai avec la peau toute rouge. Les yeux rivés vers le sol, je reste muette.

— Ta posture m’informe de la honte qui te submerge. Une confession est d’autant plus nécessaire dans ton cas. Parle sans crainte, tout ce que tu diras restera entre nous.

Je n’ai pas honte de moi, je n’ai rien fait de mal.

— La…. la dernière fois à la cantine, balbutié-je, pendant que personne ne regardait, j’ai pris un deuxième gâteau et je l’ai mangé.

L’abbé grimace :

— Péché de gourmandise, l’un des sept péchés capitaux. En plus, tu as agi sournoisement. Tu as profité d’un moment d’inattention du personnel de la cantine pour le voler. À cause de toi, un autre élève n’a pas eu de dessert.

Ce n’est pas vrai. Il y a suffisamment de gâteaux pour tous les enfants, il en reste toujours à la fin. J’avais faim. La nourriture n’est pas très bonne à la cantine, mais comme je n’ose pas lui dire, je réponds :

— Je ne le ferai plus, c’est promis.

— Très bien, ma fille, tu es raisonnable. J’attends la suite. N’as-tu rien d’autre à me dire ? Vas-tu tous les dimanches à la messe ?

— Maman ne me fait jamais rater la messe. Oui, nous y allons tous les dimanches.

— Au moins, tu es une fille qui obéit à sa mère. Mais si elle ne t’y emmenait pas, viendrais-tu ?

— Bien sûr.

— Je n’en suis pas certain. Souvent, je te vois rêvasser et je sais que tu n’écoutes pas mon sermon. Dieu le voit aussi.

— C’est parce que vous dîtes parfois des choses horribles. Alors, quand j’ai peur, je préfère ne pas entendre.

— Le monde est dur, ma fille, tu l’apprendras assez tôt. Et cruel également, je ne peux pas cacher la vérité à mes paroissiens. Satan guette les âmes égarées, donc je les préviens et je surveille moi aussi.

C’est vrai qu’avec lui, on se sent espionné en permanence et on a toujours peur de croiser son regard méchant.

— Et à l’école ? Apprends-tu bien tes leçons ? Écoutes-tu en classe ? Pas en celle de latin visiblement. Tu dois plutôt rêvasser.

— Ce… ce n’est pas un péché de rêver.

— Petite insolente ! Je suis le directeur de ton école et je ne t’autorise pas à le faire pendant les cours. C’est un manque de respect envers tes professeurs. À l’avenir, je leur demanderai d’être vigilant à ce que tu sois attentive et de me le signaler si tu ne l’es pas. Dans ce cas, je te convoquerai. Est-ce compris, ma fille ?

Je me raidis encore une fois à l’entendre m’appeler ainsi, je ne suis pas sa fille. Par contre, j’ai parfaitement compris. Maintenant, chaque heure de cours, je sais que je serai surveillée. Et comme certains professeurs sont méchants, ils se feront un plaisir d’aller lui rapporter, ne serait-ce que si je cligne des yeux.

— Je n’ai pas entendu ta réponse.

— Oui, murmuré-je.

— Oui ?

Il me force à répéter plus fort :

— Oui.

— Bien, ma fille.

Qu’il arrête de m’appeler comme ça !