Nous patinons ensemble !
Étonamment, Angela ne m'a pas adressé la parole une seule fois aujourd'hui, si ce n'est pour me dire "Bonjour !" en début de matinée. Elle s'est contentée de m'adresser de chaleureux sourires de temps à autre. Pourtant, hier, elle a bien dit qu'elle ne me laisserait tranquille que pour le reste de la journée . . . Étrange, mais tant mieux.
C'est ce que je pense en quittant l'établissement scolaire, lorsque j'entends à nouveau la joyeuse voix de l'adolescente m'interpeller :
- Attends-moi, Ludwig !
Je pousse un soupir et décide de l'ignorer, accélérant même le pas, mais elle me rattrape sans difficulté, malgré le fait qu'elle doive trainer son vélo à côté d'elle.
- Ce n'est pas sympa de ta part de ne pas m'attendre, me lance-t-elle sur un ton taquin. En plus, je sais que tu m'as entendue . . .
- Qu'est-ce que tu veux encore ? lui demandé-je en tentant de contrôler mon agacement.
- Je veux juste qu'on fasse à nouveau le chemin ensemble comme hier.
- Tu dois encore passer acheter quelque chose à la boulangerie ?
- Oui, j'ai l'habitude de m'y rendre en fin de journée pour y faire quelques courses avant de rentrer à la maison, mais ce n'est pas étonnant que tu ne le saches pas vu que tu viens d'arriver. Tu vas voir : bientôt, tu connaitras toutes les habitudes de chaque habitant, pour peu que tu daignes t'y intéresser un minimum . . .
- Dans ce cas, je ne les connaitrai sûrement pas.
Elle ne réplique rien et garde le silence pendant quelques secondes, avant de déclarer :
- Je me rends bien compte que tu n'as aucune envie de me parler, mais j'ai vraiment envie d'en savoir plus sur toi. Voilà ce que je te propose : on n'aura plus aucune conversation tous les deux, si ce n'est sur mon vélo pendant notre trajet de l'école à la boulangerie. Tu pourras toujours venir me parler en dehors si jamais tu en as envie, mais tu n'y seras pas obligé. Quant à moi, je ferai de mon mieux pour te laisser tranquille en dehors de ce laps de temps. Je ne t'adresserai la parole qu'en cas d'extrême urgence. Tu es d'accord ?
Je me frotte le menton pour mieux réfléchir. Ce n'est pas cher payé quelques minutes de conversation en échange d'avoir la paix pendant des heures . . .
- J'accepte.
Son visage s'illumine d'un large sourire, tandis qu'elle me demande :
- Et bien, qu'est-ce que tu attends ? Monte ! m'invite-t-elle en grimpant sur la selle.
Je m'installe sur le porte bagage comme hier et elle commence à pédaler, en m'interrogeant :
- Tu m'as déjà parlé de ta passion. Maintenant, je veux en savoir plus sur tes amis, si tu en as.
- Bien sûr que j'en ai ! En fait, je m'entendais bien avec toutes les personnes de ma classe et de mon école en général et j'avais aussi de supers camarades lors de mes cours de patinage artistique. On s'amusait beaucoup ensemble et j'ai énormément d'affection pour chacun d'entre eux, mais mon meilleur ami reste incontestablement Adrian.
- À quoi est-ce qu'il ressemble ?
- Et bien, il est plutôt grand avec de courts cheveux blonds et des yeux bleus.
- Il doit être beau garçon . . . lâche-t-elle d'un air rêveur.
- Oui, mais ce qu'il a de plus admirable, c'est sa constante bonne humeur, son éternel sourire qui a le don de rassurer n'importe qui et sa gentillesse sans limites. Il se soucie toujours des autres et aime aider son entourage. Il a aussi un sacré charisme : quoiqu'il fasse, on le suit toujours.
- C'est un véritable prince charmant que tu as pour ami ! On le croirait tout droit sorti d'un conte de fées.
- C'est vrai, mais comme chaque personnage, il a ses défauts . . .
- Lesquels ?
- Désolé, mais je n'ai pas envie de dire du mal de lui dans son dos. En plus, on est arrivés, dis-je en sautant à terre.
Je m'engouffre aussitôt dans la boulangerie pour ne pas laisser le temps à la jeune femme de me rejoindre.
*
J'écarte à nouveau les branchages des buissons, révélant le lac gelé qui brille sous la lune et les étoiles. Elle y est déjà, assise sur son rebord, contemplant la glace en caressant le pelage blanc d'un lapin. Je fais quelques pas dans sa direction, sans prononcer un mot, suivi par mon berger allemand, mais le craquement des flocons trahit notre présence, car elle déclare :
- Vous voilà enfin !
Elle dépose le lapin sur la neige et tend sa main vers mon chien. Ce dernier approche sans hésitation et lui offre une léchouille. J'en suis surpris. C'est vrai qu'il est sociable, mais pas au point de courir vers une inconnue aussitôt qu'elle lui tend la main.
Elle le caresse en riant, puis lui demande :
- Comment t'appelles-tu, mon beau ?
Mon compagnon répond par un aboiement. Elle s'exclame :
- Quel joli prénom !
Je les observe, perplexe. Est-ce qu'elle est vraiment en train de discuter avec mon chien ? C'est absurde ! Même moi qui suis le plus proche de lui n'en suis pas capable . . .
- Tu as de la chance d'avoir un ami comme lui, me dit-elle.
- Oui, j'en ai bien conscience, mais . . . Vous savez réellement comment il s'appelle ?
- Bien sûr puisqu'il vient de me le dire ! N'est-ce pas, Danke ?
Mes yeux s'écarquillent, puis je me souviens d'un détail :
- J'ai crié son nom devant vous, hier soir. Il est donc normal que vous sachiez comment il s'appelle . . .
- Tu ne me crois pas ?
- Il faut avouer que c'est difficile à croire . . . Seuls les personnages de fiction sont capables de communiquer avec les animaux.
- Je te prouverai que j'en suis capable, mais pour l'instant, place au patinage !
Je hoche la tête et dépose mon sac sur le sol pour en sortir mes patins, que j'enfile aussitôt.
Je m'approche ensuite prudemment du lac et lui demande, hésitant :
- Vous êtes sûre que la couche de glace est suffisamment épaisse ?
- J'en suis sûre et certaine ! Tu m'as toi-même vue, hier soir, non ?
C'est vrai. Je n'ai pas de raison d'avoir peur. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que je peux lui faire confiance. Surtout que c'est ma seule chance de continuer à pratiquer ma passion. Je dois la saisir !
Je pose donc un pied sur le lac gelé, puis l'autre et commence à glisser sur la glace. Je retrouve enfin cette sensation du vent fouettant mon visage et de vitesse . . . Je me sens à nouveau libre ! Je ferme les yeux pour savourer cet instant, lorsque je sens des mains attraper les miennes. Je rouvre les yeux pour voir la mystérieuse femme patiner devant moi en tenant mes mains dans les siennes. Non, elle ne patine pas devant moi . . . Nous patinons ensemble !
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