Espoir
Nous sortons de la mairie et nous apprêtons à monter sur le vélo de ma camarade de classe, lorsque je me rends compte d'une chose :
- Attends. À cause des travaux, l'accès à la forêt est interdit au public. Ils ne nous laisseront pas passer.
- Il faut pourtant qu'on entre dans les bois afin de retrouver Katharina.
- Je sais, mais on ne pourra pas passer comme ça. Il faudrait trouver un moyen de les distraire. . .
- Je peux les distraire, si vous voulez, déclare une petite voix aiguë.
Nous nous retournons pour faire face à la petite soeur d'Angela, qui poursuit :
- J'ai tout entendu et je ne veux pas non plus qu'ils détruisent la forêt de l'elfe. Je peux distraire les messieurs qui travaillent là-bas, si vous voulez.
Je me tourne vers l'adolescente aux yeux noisette. C'est elle, la grande soeur. C'est donc à elle de décider de cela. Elle sourit à sa cadette et lui dit :
- C'est entendu. Merci, frangine !
- De rien ! Je le fais pour remercier Katharina de m'avoir sauvée, l'hiver dernier.
- Montez ! nous enjoint-elle en s'installant en selle.
Je m'assieds sur le porte-bagage et pose Alissa sur mes genoux. Son aînée commence à pédaler, tandis que mon fidèle compagnon nous suit sur ses pattes.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant la forêt. Nous descendons tous du véhicule et Angela le cache derrière des buissons, puis dit à sa soeur :
- À toi de jouer ! On compte sur toi.
La petite fille acquiesce et se précipite en direction des bois en riant afin d'attirer l'attention des travailleurs. Cela fonctionne, car, aussitôt, les ouvriers courent pour la rattraper en lui criant :
- Hé ! Attends, petite ! Tu n'as pas le droit d'entrer dans la forêt !
Nous profitons du fait qu'ils soient tous focalisés sur l'enfant aux tresses brunes afin de nous faufiler entre les arbres. Nous continuons de courir jusqu'à atteindre le lac et nous arrêtons net en découvrant une elfe à la longue chevelure blonde et aux yeux rouges, vêtue d'une robe dorée sans manches lui tombant jusqu'aux genoux, recroquevillée dans l'herbe. Elle est entourée de quelques animaux, qui se blotissent contre elle en gémissant, visiblement touchés par sa douleur. Ils sont rejoints par Danke, qui vient poser sa tête sur les genoux de la gardienne de la forêt, tout en lui léchouillant la main, comme il le fait avec moi lorsque je me sens mal. Je comprends aussitôt que la destruction de la forêt, bien que venant tout juste de commencer, l'impacte déjà négativement. Il faut agir au plus vite, sans quoi nous la perdrons définitivement ! Je m'agenouille devant elle et pose une main sur son épaule en l'appelant, inquiet :
- Katharina !
Elle plonge son regard dans le mien et murmure :
- Ludwig. . .
- Je suis là, dis-je en posant mon autre main sur la sienne. Et je ne suis pas seul. Angela et Danke sont venus avec moi.
Elle m'adresse un sourire crispé. Ma camarade de classe s'approche à son tour et lui demande :
- Est-ce que tu as mal ?
- Oui. À chaque fois qu'un arbre tombe, je ressens une vive douleur dans tout mon corps. Pourquoi les coupent-ils ?
Je me fige un instant, puis prononce difficilement :
- Ils veulent. . .
- Ils veulent détruire la forêt ! reprend la brune. Il faut absolument qu'on les en empêche, mais on ne sait pas comment s'y prendre. Nous avons déjà demandé au maire de faire cesser ces travaux, mais il n'a pas voulu nous écouter. Nous pensions que tu avais peut-être une solution. . .
- Hélas, tout ce que je peux faire est me servir de mes pouvoirs pour les ralentir, mais je ne pourrai pas tenir longtemps : plus ils abattent d'arbres, plus je m'affaiblis.
Je serre les dents et fronce les sourcils. Je me sens si impuissant ! Katharina a tant fait pour moi depuis mon arrivée dans ce village et au moment où elle a besoin de nous, nous ne pouvons rien faire pour l'aider ! C'est si injuste !
Au même instant, un animal au pelage sombre sort de l'eau et court se réfugier dans les bras de l'elfe. Elle le serre contre elle en lui murmurant des paroles de réconfort.
- Tiens, je ne savais pas qu'il y avait des loutres danc cette forêt, dis-je.
- Il y en a, mais ceci n'en n'est pas une. Il s'agit d'un vison d'Europe, me rectifie Katharina.
En entendant le nom de la créature, mes yeux verts s'écarquillent et je demande à ma camarade de classe :
- Angela ? Est-ce que tu te souviens du cours qu'on nous a donné sur les espèces en voie d'extinction, à l'école ?
- Oui, mais. . .
- Le vison d'Europe en faisait bien partie, non ?
- Oui, confirme-t-elle, tandis qu'un sourire se dessine sur son visage, indiquant qu'elle a compris où je voulais en venir.
- En apprenant qu'une espèce en voie d'extinction vit dans cette forêt, ton père acceptera sûrement d'épargner cet endroit !
- Il n'aura pas vraiment le choix : la loi est de notre côté, cette fois.
Je hoche la tête et tends mes bras en direction de l'elfe en lui disant :
- Confie-moi le vison. On le montrera au maire pour lui prouver la véracité de nos propos.
- D'accord, accepte-t-elle en l'y déposant. Pendant ce temps, je me servirai de mes pouvoirs pour ralentir nos envahisseurs. Ils ont déjà fait assez de mal à cette forêt et à ses habitants.
Sur ces mots, elle se relève, non sans peine, et nous courons tous en direction du village, pleins d'espoir. Katharina s'arrête un peu avant d'atteindre la sortie des bois et nous lance :
- Allez-y ! Je m'occupe d'eux.
Elle tend ensuite sa main en direction de l'une des abatteuses et, aussitôt, des ronces viennent entourer la machine, l'immobilisant. Le conducteur pousse un cri de surprise, attirant l'attention de ses collègues, qui se précipitent pour l'aider.
Nous en profitons pour reprendre notre course, mais nous avons à peine le temps de sortir de la forêt que nous tombons nez à nez avec un homme de grande taille, à la chevelure blonde et vêtu d'un élégant costume. Il nous demande, sur un ton de reproche :
- Que faites-vous là ? Vous ne voyez pas que nous sommes en plein travaux ? Vous ne savez pas lire ? ajoute-t-il en nous désignant la pancarte.
- Qui êtes-vous ? lui demande Angela.
- Je m'appelle Hofman. Je suis le propriétaire du parc d'attractions qui se tiendra bientôt ici.
- Il n'y aura pas de parc d'attractions, rétorqué-je. Cette forêt abrite une espèce en voie d'extinction, lui expliqué-je en lui montrant l'animal que je tiens dans mes bras. Vous n'avez donc pas le droit de la détruire.
- Écoute-moi bien, petit : sais-tu combien d'argent me rapportera la concrétisation de ce projet ? Bien plus que tu ne pourras en gagner tout au long de ta vie. Alors il est hors de question que j'abandonne tout juste pour une petite bête insignifiante.
- Sa vie a bien plus de valeur à nos yeux que vous et votre maudit projet ! s'emporte la brune.
- Qui s'en soucie ? Vous n'êtes que des enfants. Votre avis ne compte pas aux yeux de la société. C'est pourquoi vous me ferez le plaisir de me donner cet animal et de rentrer bien gentiment chez vous.
En disant ces mots, il tend sa main vers moi. Mon berger allemand s'interpose immédiatement entre nous en grognant en direction de l'homme, tandis que je recule pour éviter tout contact avec ce dernier. J'attrape ensuite ma camarade de classe, qui s'apprêtait à rétorquer encore une fois, par la manche en lui disant :
- Viens. Je sais ce qu'on peut faire.
Nous retournons en courant dans les bois, suivis par mon cher animal de compagnie.
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