Prologue

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Quand Adam a quitté le jardin divin, la dernière chose qu’il a vu était le soleil rayonnant du Paradis. Ses longs bras jaunes caressant la terre, sa chaleur nourissant la vie. Il a entendu le souffle des grains de blés lui reprocher son imperfection, le vent siffler son erreur, encore et encore, le pousser au-delà des portes du Paradis, va-t-en, va-t-en de ce lieu indigne de ta nature. Oui, Adam a regardé derrière son épaule l’Eden lui sourire d’un air mauvais et le cracher comme s’il n’était qu’un désagrément dans sa perfection. Il voyait les feuillages de l’arbre danser au loin, ses brefs éclats gardés de toute saleté humaine. Le ciel blanc le recouvrait telle une mère protégeant son enfants. Et tout, dans ce paysage, lui hurlait “SORS”. Tu es notre erreur, Adam. Tu es notre erreur, Eve. Le divin ne peut accepter l’âme corrupte de vos êtres.

Alors Adam se détourna. Ses lèvres s’imprégnèrent d’un goût amer. Les muscles de ses doigts se tendirent, s’étirèrent, se gonflèrent de colère. Il ne sentait plus son coeur battre. Le Paradis l’avait tué. Des lames de poignard glissées sous sa chair, contemplant le sang écarlate couler le long de son torse. Des gouttes rouges s’écraser sur le sol. Un voile noir recouvrit ses pupilles. Le deuil, la rage, le dégoût, la méprise saisirent son âme et la noircirent. Il n’existait plus aucun souvenir de l'allégresse des temps passés sous l’ombre des arbres, sujet du bon vouloir de la nature. Plus de sourires éclairés par la lumière jaune d’un soleil réchauffant. Plus de plaisirs, plus de joies, rien que de la haine à l’état brute, ressurgissant d’entre ses entrailles imparfaites. Dieu le lui avait pris. Dieu était mauvais. Dieu méritait le pire.

Adam s’est mis à marcher entre les herbes sèches. Elles craquaient sous ses pieds nues, lui souhaitant la bienvenu dans un monde mort. Eve se trouvait au bord d’un précipice. Sa figure nue se tournait vers le vide abyssal. Des mèches dorées caressaient sa délicate chaire, déjà abîmée par l’air toxique de leur nouvel habitat. Sa respiration se manifestait par des légers soupirs perdus dans l’immensité grise. Elle se tourna alors vers Adam. Ses lèvres roses et ses joues douces étaient tout ce qui lui restait du Paradis. Elle était la création parfaite que Dieu avait oublié de lui arracher. Il entoura sa taille et la serra étroitement contre lui. Elle enfonça ses ongles dans son dos, entremêla ses bras et ses jambes à son corps. L’être rejeté ne faisait qu’un. Eve fut traversée d’une vague écrasante d’émotions destructrices. Ils mirent feu à son innocence, à toute la bonté qui avait autrefois modelé son âme. Adam regardait le monde devant lui, cette promesse brisée que la divinité lui offrait en riant de moquerie. Mais Eve, elle, avait le regard tourné vers le Paradis qu’ils venaient de quitter. Ses portes fermées à jamais. Son odeur délicieuse et fleuri qui s’estompait, comme les dernières effervescences d’un rêve parfait.

Alors elle pivota légèrement son menton vers l’oreille d’Adam. Et, d’une voix douce, elle dit :

  • Si Dieu existe éternellement, que le regret soit son cercueil et le remords son linceul. Que les larmes soient son seul réconfort face au spectacle que ses créations s’apprêtent à lui offrir. Créons notre bonheur dans ce monde malheureux, et laissons-le souffrir dans son Paradis.

La colère et le ressentiment se rencontrèrent dans un baiser froid, dévoreur de toute lumière. Un regard sur le passé, un autre sur le futur, tous deux voilés à la fois de haine et de dédain. Dieu avait créé Adam et Eve. Mais Adam et Eve venaient de créer le genre humain. Corruptible, influençable, doté d’un coeur noir recouvert de honte, caché de tout regard mais qui existerait, encore et toujours, se reproduirait dans chaque poitrine, entre chaque poumons, empoisonnant la vie. Trompés par milles promesses, brisés par le rejet, ils deviendraient les monstres que le divin avait créés. Et chaque fois qu’Adam lèverait le menton au ciel, chaque fois que ses yeux plongeraient dans les nuages blancs, ils diraient “toi, oui toi, regarde-nous détruire ce que tu as mis tant de temps à construire” et jusqu’à la fin, jusqu’à ce que le dernier souffle quitte sa carapace humaine, il dirait : “toi, monstre, oui toi, regarde ce que tu as fait de nous, et regarde ce que nous avons fait de toi, par ta faute, tout est ta faute.”

Nous ne sommes pas mauvais. Le monde nous a rendus ainsi, cet espace grisâtre et malsain qui gonfle nos êtres d’émotions dévastatrices, et ceux qui autrefois nous rejetâmes, ce sont eux les mauvais. Nous ne sommes que les victimes. Des enfants qui, après avoir reçu un coup de couteau, sortirent l’arme de leur corps et le pointèrent vers leur meurtrier.

Et ce mensonge fut ce que l’homme répéta jour après jour, siècle après siècle, brûlant des terres, violant des femmes, tuant des compagnons. Les mêmes mots. Les mêmes repentirs. Le monstre est ce que l’on combat. Il est le feu. Il est le ciel. Il est la souffrance, il est l’amour, il est la mort.

Mais jamais, au grand jamais, il ne sera soi-même.

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