V

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-Adèle… ce n’est pas un kyste. Tu, tu es enceinte… Me dit M.Toupet d’une voix grave et en même temps rassurée. ‘’Tiens c’est la photo de l’échographie, tu vois ? Là, c’est un bébé…’’Il avait tourné son ordinateur vers moi et on voyait une photo grise et noir sur laquelle on pouvait distinguer une forme humaine… je ne comprenais pas…mais il continua : ‘’Maintenant… tu es sûr de ne pas avoir eu de relations sexuelles ? Il n’est pas arrivé tout seul ce bébé… est-ce que, est-ce que tes scarifications ont un lien avec ça ?’’. Il les avait donc vues. Je baissais la tête, les larmes commençaient à monter.

- Adèle est-ce qu’on t’a fait du mal ? Est-ce… est-ce que tu t’es faite violée ? A ces mots, je n’ai pas pu les retenir, ces larmes roulaient sur mes joues. Je n'avais encore jamais entendu ce mots venant d'une autre personne que moi… Personne d'autre que moi n'a suspecté ce qu'il s'était passé. M.Toupet à fait resurgir toute cette douleur accumulée ces derniers mois, toute cette souffrance. Face à cette détresse, le médecin se précipita vers moi. Il me prit dans ses bras. Je pleurais à chaudes larmes…il tenta de me consoler… ‘’Là, là…’’ murmura-t-il. Il s’est assis sur la chaise à côté de moi.

-Adèle, tu es enceinte à un stade avancé. Tu as fait déni de grossesse. C’est-à-dire que ton subconscient a refusé cet enfant pour, en quelques sortes, te protéger… par conséquent, il s’est caché. C’est pour ça que tu n'as rien vu… j’imagine que tu ne veux pas parler de ce qui s’est passé... Il avait vu juste, il y avait beaucoup trop de choses à digérer et parler de ça avec lui…J'étais encore sous le choc et je n’y croyais pas encore vraiment. Pour moi, ce n'était qu'un mauvais rêve enchâssant un autre, je me réveillerais dans la salle d'attente et tout retournerait à sa place. Je n'y croyais pas. Le médecin reprit la parole.

-Je vais te diriger vers une amie obstétricienne très gentille. Elle ne te fera aucun mal, je te le promets… C’est mieux si tu la vois maintenant. Je ne suis pas spécialisé en la matière, par conséquent, je ne suis pas en mesure de te suivre. Elle peut te prendre dans dix minutes, tu veux bien y aller ? Je ne répondis pas. De toute façon, quoique je fasse, je n’avais plus les pieds sur terre mais en enfer. Je descendais aux plus profonds des ténèbres…Mon corps errait, j’étais encore assommée par cette nouvelle. M.Toupet m’aida à me relever tellement j’étais bouleversée. Il me ramena vers la salle d’attente. Ce bâtiment est divisé en plusieurs cabinets et par conséquent, je n’avais pas à marcher très longtemps pour aller voir cette dame… De toute manière, je n’avais plus la foi de marcher. M.Toupet m’a assise sur une des chaises de la salle et m’a promis qu’il ne dirait rien à mon père, que ça faisait partie du secret médical ou je ne sais plus quoi. Je ne l’écoutais plus vraiment. Tout ce que je sais, c’est qu’il est resté à mes côtés jusqu’à ce que la dame en question vienne me chercher. Là, il s’est levé et lui a chuchoté quelque chose à l’oreille. Après ça, elle m’a emmené dans son cabinet, m’a demandé de m’installer et, une fois installées, a commencé à me parler.

-Bonjour Adèle. Moi je m’appelle Laetitia et je suis obstétricienne, ça veut dire que je m’occupe des femmes enceintes comme toi. J’ai aussi fait des études en psychologie donc si tu veux parler, tu as tout à fait le droit. Je regardais mes chaussures. Voyant que j’étais un peu absente, elle continua. ‘’Ton médecin généraliste m’a un peu expliqué la situation. Je sais que tu comptes beaucoup pour lui, c’est pour ça qu’on va bien s’occuper de toi. D’abord, je vais te faire un examen complémentaire par rapport à ta grossesse et après on parlera. Ok ? Je hochais un vague oui de la tête, je n'étais pas là. Elle se leva, moi aussi et je m'allongea sur la chaise tel un robot, sans vie.

-Je peux ? Me demanda-t-elle en montrant mon pull. Je ne rechignez pas, elle pouvait faire ce qu’elle voulait, j’étais bien trop à l’ouest pour me révolter. Elle releva donc le pull puis mon haut et comme avec M. Toupet, elle me mit du gel. C’était à peine croyable que, que… enfin… qu’il y ait quelque chose là tellement mon ventre n’a pas changé, toujours aussi maigre. Cette fois, l’écran était tourné vers moi et on distinguait bel et bien un bébé. ‘’Le bébé va bien, il est légèrement plus petit que la moyenne mais il va bien. Tu es à 26 semaines, à peu près six mois et demi de grossesse. Elle sembla calculer des choses, puis reprit la parole. Tiens, tu peux t’essuyer, j'ai fini de t’embêter.’’. Je commençais à peine à prendre conscience de ce qui m’arrivait. Elle m’a invité à me rasseoir et m’a demandé quelque chose qui, pour moi, sonna comme quelque chose d’assez douloureux…

-J’ai besoin que tu me dises ce qui s’est passé. Voyant que je ne lui répondais pas, elle a insisté. Je refusais de lui parler. Je n’en ai parlé à personne, ce n'est sûrement pas à elle, une personne que je ne connais pas, que je vais me confier…cela me tourmente assez comme ça.

-Montre-moi tes avants bras. Après un court instant de réflexion, je les lui ai montrés. ‘’Pourquoi tu te fais ça?''. Je ne voulais pas parler. Je fis un non de la tête. Je n’en pouvais plus, j’avais juste envie de partir. ‘’Ok, pas de problème. Ça fait déjà beaucoup à encaisser, c’est pour ça que je te propose une séance la semaine prochaine, on parlera… vraiment… ok? J'incline un oui de la tête. ''Il va falloir que tu sois forte… Ton ventre va prendre la forme normale d’une femme enceinte dans quelques heures. Tu peux toujours m’appeler si ça ne va pas, ok ?''

-Hmm. Et elle me conduisit à l’accueil pour tenter de prendre un rendez-vous qu’on ne prendra finalement pas.

 C’est encore une autre Adèle qui sortie du cabinet, encore une autre. Une Adèle, enceinte. J’erre quelque temps dans les rues de ma ville, sac sur le dos et photo de l’échographie à la main. Les larmes coulent quand j’ose enfin la regarder. Il était là, caché. Trop occupé à me tourmenter… Je…je suis... Qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce que je vais dire ? Trop de questions inondent mon esprit. En regardant cette photo je n'ai pas pu m'empêcher de vomir. Cette idée qu'il y ait un enfant issu de ce viol me prend la gorge. Je vomis ma peur, mon angoisse, ma douleur. Ce n 'est pas possible. Je ne peux pas. J'ai enduré tant de souffrance ces six derniers mois, il faut encore que je souffre ? Pourquoi ? Les flashs de mon agression reviennent en trombe dans ma tête. J'ai un mal de crâne infernal. Je pensais déjà être au fond du trou, mais j'ai atteint l'enfer. Je pleure toutes les larmes de mon cœur. Je ne sais plus quoi faire. Un piège, je suis prise au piège. En moins de deux heures après que j’ai appris cette nouvelle, ce ventre s’est arrondi. La réalité me rattrape et ne me lâche pas : je vois ce ventre. Je ne suis pas prête à le voir aussi tôt. Il ne m’a pas laissé le temps... Il est là… C’est allé si vite, trop vite… J'en suis chamboulée. Le voir comme ça me traumatise. Je vomis une nouvelle fois à cette idée répugnante. Ce poids dans mon ventre me pèse tant, une sorte de boulet ambulant. Pourquoi moi ? Pourquoi m'a-t-il choisi pour être sa victime ? Qu'ai-je fait pour mériter ce sort abominable ? Pourquoi ? Les larmes montent mais je les sèche rapidement, je dois me préparer pour aller en cours. Je suis obligée d’y aller, je ne dois rien laisser paraître. En fait, je ne sais pas, je crois avoir eu ma dose de vie. Je suis dévastée. Un fantôme pour ne pas dire cadavre. La peur me tétanise. Je suis blanche de peur, le teint beige, rose que donne l’envi de vivre est partit depuis longtemps. La fébrile coquille que j'ai tenté de construire est percée au plus profond d’elle-même. La pire des choses qui puissent arriver m'arrive… Mon corps prend le dessus, c'est d'un pas machinale que je prends mon bus et m'assois au fond, à côté de la fenêtre. Toujours. Ces choses ne me laissent aucun répit… J’essaye de contenir mes larmes, ce que je ressens est indescriptible. Je dois retournée au lycée où mon père va remarquer mon absence. Arrivée là-bas, je me suis cachée, encore une fois, derrière le masque que j’ai inventé. Il est dix heures, j’ai raté deux heures de cours, j'ai français avec Mme. Laval. J'essaye tant bien que mal de ravaler mes larmes mais c'est si difficile. Je me retient, je ne peux pas m’exposer comme ça en public. Ce n’est pas possible.

 La sonnerie met fin à la pause de quinze minutes, tous se dirigent vers leurs salles de cours. Je fais partie de ses moutons qu’on élève pour intégrer la société. Toute ma classe attend la prof devant la porte fermée de la salle. Celle-ci est située à quelque pas de la salle de permanence. Un couloir les relient. Celui-ci inclut des salles de classes, l'administration et la salle des professeurs. De là sort Mme Laval, des pochettes à la main. Elle vient vers nous souriante. Je pense qu'elle aime son travail. Elle sort ses clés et ouvre la salle. Les élèves rentrent, elle est devant la porte. Je m'avance un peu, je suis dans les derniers à rentrer lorsque je vois sortir de la salle des professeurs M.Lecerf. Il se dirige vers nous, lève les yeux et son regard croise le mien. Je suis complètement paralysée. Son regard froid et menaçant me terrifie. Je reste paralysée à un mètre de ma professeur de français. Celle-ci ouvre la bouche pour me demander de rentrer mais le temps qu'elle finisse sa phrase, j'ai fuis. Profitant du tumulte des élèves qui se ruent, je me réfugie dans la cage d'escalier la plus proche, pétrifiée. Cette cage est au fond du couloir en face de la classe. C'est un escalier sans issue tout comme ma vie. Une dizaine de mètres nous séparent. Je me réfugie derrière ses portes battantes. Je suis terrifiée, son regard me glace le sang. Je pleure et hurle silencieusement de douleur. Mon souffle se coupe, je n'arrive plus à respirer, j'ouvre mon manteau et enlève mon écharpe, ils m'étouffent. Ça y est, je refais une crise.

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