Chapitre 1

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Même des années plus tard, je me souviens très bien de ce jour, que j’appelle aujourd’hui le jour de la Découverte. Remontons donc il y a 11 ans. J’avais neuf ans à l’époque.

Comme tout gamin, j’étais toujours surexcité, tellement je ne pouvais rester un instant sans rien faire, et je l’étais particulièrement, si bien qu’on avait dit que j’étais un hyperactif (bien que tous les gamins soient hyperactifs). Mes parents se relayaient donc pour me surveiller.

L’ennui était pour moi un ennemi mortel, phrase que j’avais entendu de mon médecin, et que je m’amusais à répéter à tout bout de champ, même si je n’en comprenais pas vraiment le sens.

Je me faisais même des films, avec un grand méchant appelé Ennui. Nous étions en 1970, donc il n’y avait ni consoles, ni ordinateurs sur lesquels jouer. Et comme je n’étais pas assez patient pour lire des livres, il me fallait autre chose.

Ma chambre était remplie de jouets en tout genre, allant de jouets en bois à des jeux éducatifs, en passant par des figurines. Mais mon autre grande occupation était les promenades.

En effet, nous habitions un peu reclus des villes et villages, si bien que la plus proche école était à un quart d’heure de route. Nous vivions au beau milieu d’une forêt, et je ne pouvais pas passer un heure sans courir dans la forêt. Ce jour-là, vers 14h, ma mère me dit :

  • Viens, Edward, on va se promener.

Comme toujours, je sortis de ma chambre en poussant des cris de joie, abandonnant le jeu dans lequel j’étais plongé une minute auparavant. En trente secondes, j’avais enfilé mon blouson et mes bottes, et j’attendais ma mère en sautillant.

  • Attends-moi, Edward ! cria ma mère d’un ton amusé en fermant la porte de la maison.

Je continuai de trépigner en poussant de petits cris. Lorsque ma mère me rejoint enfin, je partis en courant dans la forêt. Au bout d’un moment, je la rejoignis de nouveau et lui demandai :

  • S’il te plaît, on peut jouer à cache-cache ?
  • Edward, tu sais bien que nous sommes en forêt et que tu ne peux pas trop t’éloigner, et...
  • S’il te plaît s’il te plaît s’il te plaît !
  • Je ne veux pas que tu te perdes ou que tu te fasses mal, ou...
  • S’il te plaît s’il te plaît s’il te plaît !
  • Bon d’accord, mais ne pars pas trop loin !
  • Youpi ! C’est toi qui comptes !

Et je partis dans la forêt en détalant. J’entendis ma mère soupirer, puis commencer à compter. Je ne savais pas à ce moment que j’étais sur le point de faire la découverte la plus importante de toute mon existence. J’étais insouciant, et heureux de la vie que je menais. Respectant la volonté de ma mère, je courus un peu dans la forêt, puis me cachai derrière un arbre.

  • 45, 44, 43...

Ce jeu était très difficile pour moi, puisque comme j’étais hyperactif, je ne pouvais m’empêcher de bouger, et je n’étais donc pas fort à ce jeu à l’école. C’est pourquoi je voulais y jouer, et pourquoi ma mère acceptait d’y jouer.

  • 33, 32, 31...

Je changeai de place et allai me cacher un peu plus loin. Ma mère me disait que 15 secondes sans bouger, c’était déjà bien. Mais quand elle comptait, c’était facile. C’était durant le temps de recherche que mon hyper-activité devenait un problème.

  • 18, 17, 16...

Je changeai à nouveau de place, et m’éloignai encore plus de l’endroit où était ma mère. Je l’entendais à peine égrener les dernières secondes :

  • 6, 5, 4...

Je changeai une dernière fois de place, puis me rappelant les conseils de ma mère, je me rapprochai et m’accroupis au pied d’un arbre. Je me mis en boule et serrai les bras autour de mon corps, pour m’empêcher de bouger.

  • J’arrive ! cria ma mère.

Inconsciemment, je me mis à trembler des jambes. C’est ce que je faisais en classe, puisque je passais la moitié des journées sur une chaise. D’ailleurs à l’école, je me proposais toujours pour faire quelque chose, aller au tableau par exemple, rien que pour bouger.

Mais malgré ça, je ne réussis pas à rester immobile, et me levai pour me cacher derrière le plus gros arbre que je pus trouver. Cependant lorsque je m’appuyai contre le tronc de l’arbre, je ne rencontrai aucune résistance et tombai en arrière. Je me retrouvai sur un long chemin noir.

Deux murs encadraient cette route, si bien qu’on avait d’autres choix que de suivre le chemin. Sur le moment, en tant que gamin, je pensai :

  • Chouette ! J’ai trouvé une super cachette !

Pour passer le temps, je regardai au dessus de moi, et découvris un tunnel blanc partant vers le haut. Il y en avait un pareil tous les cent mètres. Je m’amusai à courir de tunnel en tunnel jusqu’à être épuisé. J’entendis alors ma mère crier :

  • Edward ! Montre-toi ! Je ne veux plus jouer !

Croyant que c’était un piège, je ne dis rien, et ne bougeai pas. Mais plus le temps passait, et plus les cris de ma mère devenaient inquiets. Décidant de sortir de la cachette et de finir le jeu, je criai :

  • D’accord maman ! J’arrive !

Mais ma mère ne sembla ne pas m’entendre. Elle continuait de m’appeler. Ne sachant pas comment retourner dans la forêt, je me mis à sauter, pour tenter d’aller dans le tunnel blanc. Mais rien ne se passait.

En tout bon enfant de 9 ans, je fis alors ce que tous les autres gamins auraient fait : je me mis à pleurer. Qu’aurais-je pu faire d’autre ? J’étais coincé dans un endroit dont je ne pouvais pas sortir, et à priori, personne ne pouvait m’entendre.

J’appris que je me trompais sur ce dernier point lorsque j’entendis une voix dans mon oreille :

  • Qu’est-ce que tu fais là, gamin ?
  • Ma mère m’attend dehors ! pleurnichai-je.
  • Je te repose ma question : qu’est-ce que tu fais ici ?
  • Je jouais à cache-cache quand je suis tombé ici.
  • Est-ce que tu étais près d’un gros arbre ?
  • Oui, je me suis accroupi, et quand j’ai voulu m’appuyer la tête contre le tronc, je suis tombé.

Même si je ne voyais pas le visage de l’inconnu, je pouvais sentir sa perplexité. Il me demanda :

  • Tu es sûr de ça ?

J’entendis alors une autre voix lui répondre :

  • Voyons Claude, tu sais bien qu’il dit la vérité ! Il n’y a pas d’autre moyen d’entrer ici.
  • Mais c’est impossible ! Il doit avoir été formé pour ça !
  • Tu ne vas pas le laisser ici ! Tu entends aussi bien que moi sa mère qui l’appelle.

Le dénommé Claude se pencha alors vers moi et me chuchota :

  • Bon petit, je vais t’aider à sortir d’ici. Mais en échange, tu me promets de retourner ici tous les ans, d’accord ?
  • Pour mon anniversaire ? reniflai-je.
  • Voilà, exactement. Dis-moi juste ta date de naissance et ton nom.
  • Je m’appelle Edward Hilpark, et je suis né le 27 février 1971.
  • Parfait, maintenant, je vais t’aider à sortir. Il suffit de sauter le plus haut possible, en pensant : je veux sortir.
  • Je veux sortir ?
  • Exactement. Allez, je compte jusqu’à trois, d’accord ? 1, 2, 3 !

Je m’étais plié en deux, et je sautai de toutes mes forces en pensant très fort : je veux sortir. Et je me retrouvai devant le gros arbre. Une voix me chuchota :

  • N’oublie pas, pour ton anniversaire !

Je ne répondis pas, et partis en courant vers la voix de ma mère, qui continuait de crier. Je criai à mon tour :

  • Maman !

Ma mère m’aperçut enfin, et se précipita vers moi pour m’entourer de ses bras protecteurs. Elle me gronda :

  • Où étais-tu ? J’étais folle d’inquiétude ! Pourquoi ne m’as-tu pas répondu ? Tu ne t’es pas fait mal au moins ?
  • Mais...
  • Je t’ai appelé pendant dix minutes ! Qu’est-ce que tu faisais ?
  • En fait...
  • Tu ne me refais plus jamais un coup pareil, d’accord ?
  • Oui mais laisse-moi t’expliquer ! Je me suis accroupi près d’un arbre, et tout d’un coup je suis arrivé sur un long chemin tout noir, entre deux murs.
  • Edward, ce n’est pas possible !
  • Mais je te jure que c’est ce qui m’est arrivé !
  • Bon, continue, dit ma mère d’un ton sceptique.
  • Au début, je pensais avoir trouvé une bonne cachette, mais j’ai compris à tes cris que je devais sortir. Mais là, je n’y suis pas arrivé. Mais euh, crois-moi ! insistai-je en voyant ma mère froncer les sourcils.
  • Et après ?
  • Il y a un gentil monsieur qui m’a aidé à sortir.
  • Il était comment ?
  • Je ne sais pas, il était dans l’obscurité, vu que le tunnel était tout noir.
  • Qu’est-ce qu’il t’a demandé ?

A ce moment, j’hésitais. Même à 9 ans, je compris que je ne devais pas dire ce que le dénommé Claude m’avait demandé en échange de son aide.

  • Il m’a juste demandé comment j’étais arrivé là. Puis il m’a dit qu’il suffisait de sauter en pensant : je veux sortir, pour retourner dans la forêt.
  • Et c’est là que tu m’as retrouvée.
  • Oui.
  • Écoute, tu sais quoi ? Je crois que tu as inventé tout ça pour je ne sais quelle raison, parce que tu es un enfant, et qu’il se passe beaucoup de choses dans ta petite tête - elle me toucha la tête affectueusement. Je ne sais pas si c’est un bien ou un mal, mais là, c’est allé trop loin. Donc, à partir de ce jour, nous ne jouerons plus à cache-cache.
  • Mais...

Elle m’interrompit d’un geste :

  • Je sais que tu vas sûrement me dire que ce jeu t’entraîne à "anesthésier" ton hyper-activité, mais tu m’as fait trop peur.
  • Mais pourquoi est-ce que tu ne me crois pas ! Tu crois vraiment que j’ai pu inventer tout ça ?
  • Oui. C’est très facile pour toi d’inventer des choses, surtout à ton âge. Tu sembles oublier le nombre d’histoires que tu m’as racontée, et qui se sont révélées être fausses. Tu as dû t'ennuyer, et ton cerveau a compensé ce manque d’activité.
  • C’est faux !
  • Pas la peine de râler, ma décision est prise. Tu ne pourras pas me faire changer d’avis, à moins que tu me prouves que tu as évolué niveau maturité.

Je ne répondis pas, croisant les bras en signe de protestation silencieuse.

  • Ne boude pas, ça n’y changera rien d’accord ?

J’eus soudain une idée :

  • Et si je te prouvais que je suis vraiment passé à travers l’arbre, tu me croirais ?
  • Oui, mais je ne vois pas comment tu me...

Sans l’écouter, je fonçais vers l’arbre, et demandai :

  • Tu es prête ?

Et j’avançai mon bras vers l’arbre. Je me cognai brusquement contre le tronc. Ma mère soupira :

  • Je te l’avais dit ! Mais comment peux-tu être sûr que ce soit cet arbre ?
  • Donc, tu me crois ?
  • Je n’ai jamais dit ça ! Réponds à ma question !

Je sentis à cet instant que ma mère commençait doucement à s’énerver, et n’insistai pas :

  • Tu vois, cet arbre est plus gros que les autres. Je pense que c’est ça qui fait sa particularité.
  • Mais quelle particularité ? Tu t’inventes vraiment plein de choses... Allez viens, on rentre.
  • Nan ! criai-je. Je ne partirai pas sans t’avoir prouvé que j’ai raison !
  • Bon Edward, tu vas arrêter tes caprices ! Je te dis qu’il n’y a rien ! On discutera de ça avec ton père ce soir !

Mais je ne l’écoutai pas, et fonçai sur l’arbre en courant le plus vite possible. Heureusement, ma mère me retint juste à temps, sinon je me serais littéralement encastré dans l’arbre. Mais je ne comprenais pas encore de quoi ma mère m’avait sauvé.

Celle-ci me traîna jusqu’à la maison, moi hurlant et me débattant, elle menaçant et soupirant. Au final, elle m’enferma dans ma chambre, et c’est tout juste si je ne sautai pas par la fenêtre pour rejoindre la forêt.

Mais je me calmai et tout redevint normal. Le soir, j’entendis mes parents discuter :

  • Le petit a fait un de ses caprices ce matin ! déplorait ma mère. Il était persuadé d’avoir traversé un arbre et être allé dans un mystérieux endroit.

Un silence, puis :

  • Qu’est-ce que tu en penses ? Tu crois qu’il a tout inventé, que c’était juste un caprice, ou qu’il a vraiment vécu ça ?
  • Il était à ça de me convaincre, mais il a retenté l’expérience, et ça a raté. Je ne sais pas si c’est un problème ou pas...
  • De quoi ? demanda mon père.
  • Son imagination débordante.
  • Ça pourrait lui servir, plus tard. Il y a beaucoup de métiers où il faut avoir de l’imagination. Écrivain, comme moi, par exemple.
  • Mais toi, ton imagination, tu sais la contrôler, Nicolas, répliqua ma mère. Lui pas.
  • Pas encore, ça viendra. Il est jeune. Il a tout mon soutien.
  • Comme tu veux. Mais s’il refait un coup comme ça, tu en prendras l’entière responsabilité.
  • Je lui fais confiance. Il a tout mon soutien, répéta mon père.

Je compris alors que mes parents ne me croiraient jamais. Le seul moyen qui me restait, c’était d’aller au gros arbre le jour de mon anniversaire, et de voir s’il y avait quelqu’un qui m’attendait. Je me promis intérieurement de ne plus jamais parler de ce jour devant mes parents.

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