Chapitre 3
Tous les ans, je retournai dans la forêt, pour rencontrer Claude et Lionel. Ils me voyaient grandir, me posaient des questions, auxquelles je répondais l’année suivante. Le lendemain de mes 15 ans, je leur déclarai :
- Je pense être prêt pour que vous me révéliez votre secret.
- Est-ce vraiment le cas ? demanda Lionel. Tu sembles trop sûr de toi à mon goût.
- Il a 15 ans, dit Claude en haussant les épaules. Dans certaines civilisations, à cet âge-là, il serait déjà considéré comme adulte.
- Monsieur se documente, à ce que je vois, ironisa Lionel.
- Ça se pourrait, en effet. Peu de personnes connaissent notre identité, et notre condition, donc il m’arrive d’aller à la bibliothèque pour emprunter des livres.
- Comment ça votre condition ? demandai-je.
- Nous en reviendrons plus tard. Ta mère te fait assez confiance pour te laisser seul dans la forêt ?
- Elle est morte il y a onze mois, répondis-je sèchement. Un accident de voiture. Elle n’a pas souffert.
- Au moins, ça te donne une certaine liberté, répondit Lionel, sans aucune trace d’émotion dans la voix. Et ton père ?
- Il est au travail la moitié de la journée. Il me laisse littéralement quartier libre. Du coup, je suis totalement autonome, et je n’ai aucune limite. Nous avons jusqu’à 19 heures pour discuter.
- C’est une marge suffisante, commenta Lionel.
- Juste, une question qui n’a aucun rapport : Il fait quoi comme travail ton père ? demanda Claude.
- Il est journaliste, mais durant son temps libre, il est écrivain. Il a déjà publié 8 livres qui se vendent assez bien. Pouvons-nous revenir au sujet d’origine ?
- Je te préviens, tu n’apprendras que certaines choses, me prévint Lionel. Le reste, tu ne le sauras quand tu seras entièrement libre, c’est à dire lorsque tu auras 18 ans.
- Pour commencer, dit Claude, il faut savoir que l’on distingue deux types d’arbres :..
- Les conifères et les feuillus, je sais, soupirai-je.
- Non, pas dans ce sens là, répliqua Claude. Les arbres normaux, avec une espérance de vie de deux cents ans en moyenne, et les arbres millénaires, c’est à dire des arbres qui sont là depuis des centaines de milliers d’années, et qui ne sont pas près de disparaître.
- C’est impossible ! Les plus vieux arbres sont les séquoias, et le plus vieux a cinq mille ans.
- Tais-toi, et écoute-nous, dit Lionel sèchement.
- C’est cette deuxième catégorie qui nous intéresse. Vois-tu, ces arbres ne sont pas restés là pour rien. Ils ont... un pouvoir, en quelque sorte. Et ce pouvoir, c’est de communiquer entre eux.
- Ils peuvent parler ? demandai-je, incrédule.
- Non, pas dans ce sens. Je veux dire que tu passer d’un des ces arbres à un autre sans problème.
- Si tu entres dans un arbre, tu peux te téléporter dans le prochain, dit Lionel.
- Je ne comprends vraiment rien, dis-je, les sourcils froncés.
- Ok. Tu vois la carte du Royaume-Uni ? Et bien, imagine une ligne qui la traverse de l’Écosse jusqu’à la Manche.
- Sur cette ligne, il y a des petits points. Ces petits points, ce sont les arbres millénaires, compléta Claude. On les appelle les Arbres - avec un grand A.
- Attendez. Cette ligne, ce n’est pas le long tunnel que j’ai vu lorsque je suis entré dans l’arbre ?
- Exactement. Et au dessus de toi, il y avait des petits tunnels blancs qui montaient vers le ciel, dit Lionel.
- Oui. Ces tunnels, ce sont les arbres ?
- C’est ça, mais attention. Le problème, c’est que la distance sur Terre et dans ce tunnel ne sont pas les mêmes. Tu avais l’impression que les arbres étaient rapprochés, c’est ça ?
- Oui, mais ce n’est pas logique, parce que...
- Il y avait quoi ? Cent mètres entre chaque arbre. Alors qu’en réalité, il y a environ dix kilomètres.
- Effectivement, ce n’est pas du tout la même chose.
- Et ce long tunnel, tu peux l’utiliser pour parcourir des distances en très peu de temps.
- Seulement, tu dois bien savoir où tu veux aller, compléta Claude. Tu dois bien calculer les distances, pour arriver à un endroit, soit celui que tu veux, soit suffisamment près de celui où tu veux aller.
- On a une carte avec tous les repères, précisa Lionel.
- Mais est-ce qu’il y a une forêt qui parcourt tous le pays ? demandai-je. Je ne crois pas.
- C’est ça, le problème. Certains arbres ont été coupés, mais on ne le sait pas. Du coup, on se retrouve au milieu d’une maison, d’une route ou d’un jardin.
- Je pense qu’on a tout listé, mais il faut toujours faire attention, compléta Lionel.
- Mais du coup, tout le monde y a accès ! C’est une téléportation, en fait !
- Non. Ce pouvoir n’est pas accessible à tous. Il faut soit avoir des conditions extrêmement particulières, ce qui est très rare, soit il faut apprendre, ce qui prend trois mois au minimum, pour les plus forts.
- Mais alors, je...
- Toi, tu appartiens à la première catégorie. Tu es né dans une forêt, et en plus tu sors en forêt à peu près tous les jours.
- Et vous ?
- Nous, on l’a appris, répondit Lionel. À ma connaissance, personne à part toi appartient à la première catégorie.
- Et est-ce qu’il existe des tunnels pareils dans les autres pays ? demandai-je.
- On n’a jamais essayé, on a assez de boulot dans ce pays.
Claude fronça les sourcils en entendant la phrase de Lionel, mais je ne m’en préoccupai pas :
- Quand est-ce que je pourrais vous rejoindre ?
- Oh, ne sois pas pressé de nous rejoindre, parce que tu as oublié de nous poser une question : qu’est ce que nous pouvons faire avec ça ?
- Et la réponse ?
- Justement, c’est la part d’information que tu n’auras que lorsque tu auras 18 ans, dit Lionel.
- Mais pourquoi ?
- il
- Tais toi ! dit sèchement Claude. Il n’a pas à le savoir. Sur ce, je te salue, Edward, puisque nous avons... du travail.
- Mais j’ai encore plein de questions à vous poser !
- Et bien tu devras malheureusement attendre trois ans.
- Quoi ? protestai-je.
- Nous ne nous reverrons plus avant ton dix-huitième anniversaire. Là, tu nous poseras tes questions restantes, et tu apprendras la vérité.
Sans me laisser le temps de protester, Lionel me tendit sa main, que je dus serrer. Puis il s’enfonça dans l’arbre. Claude resta un moment pour me dire :
- Reste en vie, gamin. En un sens, tu es exceptionnel.
Puis il me serra la main, avant de partir à la suite de Lionel. Je restai un long moment à réfléchir, avant de rentrer faire mes devoirs. Le soir, mon père me demanda :
- Il y a un problème, Edward ?
- Non, j’ai une évaluation demain, et ça m’inquiète, répondis-je évasivement.
Un autre problème me taraudait. Sur le journal de mon père, on avait annoncé que le jour précédent, cinq hommes avaient braqué une banque, avant de disparaître mystérieusement dans un arbre...
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