Chapitre 4

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Trois ans passèrent. Me revoilà aujourd’hui le jour de mes 18 ans, seul dans ma chambre, allongé sur mon lit. Mon père était absent, comme toujours, occupé par son travail.

Nous étions au beau milieu des vacances, mais son boulot l’empêchait d’en avoir. Je me levai, sortis de la maison. Je retournai dans la forêt, comme tous les jours, et m’exercai à entrer et sortir du tunnel des arbres.

Ce jour-là, mon entraîneur, Lionel, n’était pas là. Après notre dernière rencontre, le jour de mes quinze ans, il était venu de son plein gré une demi-heure pour m'apprendre à utiliser le tunnel. Tandis que j’entrais dans l’entre-monde, comme il l’appelait, il restait à l’extérieur. Je devais m’entraîner à aller à l’Arbre suivant, puis à l’Arbre précédent.

Après un certain temps, comme je me perdais, il m’appelait, et je savais où je devais aller. Je réussissais de mieux en mieux à le faire tout seul, mais Lionel insistait pour me contrôler.

J’avais de toute façon, durant mon temps libre, mémorisé la carte des repères que m’avait apporté Lionel à un de ses cours. Le 27 février 1989, donc, je ne retrouvai non pas Lionel, mais Claude devant l’Arbre. Il me demanda d’un ton agressif :

  • Qu’est-ce que tu fais là ?
  • Hé là, quel accueil ! La retraite ne vous réussit vraiment pas.
  • Je ne suis pas si vieux que ça, dit Claude, vexé. Je répète ma question : qu’est-ce que tu fais là ?
  • Je n’ai plus le droit de me promener, maintenant ? Sous prétexte qu’il y a un Arbre sacré ?
  • Je sais que Lionel t’a appris à t’entraîner à entrer et sortir des Arbres.
  • Oui, et alors ? répondis-je dédaigneusement.
  • Nous ne devions plus nous revoir avant demain ! ragea Claude.
  • Qu’est-ce que nous sommes en train de faire, alors ?

Lionel sortit de l’Arbre à ce moment. Il me regarda d’un air surpris, puis fit de même avec Claude.

  • Nous n’étions pas censés nous voir, aujourd’hui, dit Claude d’un ton glacial.
  • Ce n’est pas toi que je venais voir, dit Lionel. C’est Edward, pour son entraînement quotidien.
  • Puisque nous sommes tous réunis, pourquoi ne pas me dire le reste maintenant, suggérai-je.
  • Il n’en est pas question ! Je voulais faire un tour discret de ta maison, pour voir si tu étais toujours vivant, et là, on se retrouve à trois !
  • Je ne vois pas où est le problème, dis-je en haussant les épaules. On ne dirait pas que vous êtes le chef d’une bande de voleurs qui sillonnent le pays depuis 15 ans.
  • Quoi ? s’exclamèrent Lionel et Claude en même temps.
  • Oups ! Qu’est-ce que j’ai dit ? Ça m’a échappé.
  • D’où est-ce que tu sais ça ? Et depuis quand ?
  • Une semaine après mon quinzième anniversaire. Il y avait un article de journal qui disait que des bandits s’étaient échappés après être entrés dans un arbre... Je n’ai pas eu de mal à faire le rapprochement entre votre pouvoir et le fait que vous ne vouliez pas me révéler votre métier, enfin, si on peut appeler ça comme ça.
  • Tu vois ! s’exclama Lionel. On aurait rien dû lui dire de plus. On lui aurait juste donné rendez-vous pour son dix-huitième anniversaire, et là tout lui raconter.
  • Pour m’assommer d’un bloc ? Non merci, dis-je. C’est très bien comme ça. Mais je vous en prie, expliquez-moi plus en profondeur...
  • Comme tu veux, dit Claude. Donc, l’usage que l’on fait de ce pouvoir, c’est de braquer des banques et toutes sortes de bâtiments ou de transports ayant un minimum d’argent.
  • Moi, lorsque j´ai commencé mon entraînement, ils venaient juste d’en avoir l’idée, dit Lionel.
  • C’est moi qui ai fondé cette bande, et c’est moi qui ai eu cette idée. Ça me paraissait un parfait moyen de fuir si jamais la police était au courant. Par exemple, la police nous poursuit dans la forêt, et là, bam ! On disparaît dans un Arbre.
  • C’est quand même extrêmement chanceux que personne n’ait fait d’enquête sur ça, observai-je.
  • Parce que tout ceux qui ont assisté à ça ont été persuadés d’avoir été victimes d’une illusion, explique Claude. On a souvent observé les recherches qui ont été faites près des Arbres.
  • Quoi ? Vous pouvez voir ce qui se passe à l’extérieur de l’Arbre, de l’intérieur de l’entre-monde ? demandai-je.
  • Oui, acquiesça Claude. C’est comme pour sortir du tunnel. Il faut avoir la volonté de le faire.
  • Pourquoi tu ne me l’as jamais dit ? reprochai-je à Lionel.
  • Ce n’est pas quelque chose que je considère comme essentiel, dit celui-ci en haussant les épaules.
  • Reprenons, dit Claude. Donc, ça fait douze coups qu’on fait ça comme ça, et ça n’a pour l’instant jamais raté.
  • Pour l’instant. Il se pourrait que je sois accompagné d’une dizaine de policiers, là pour vous arrêter, parce que vous êtes des dangereux assassins.
  • Voleurs, rectifia Lionel. Je ne pense pas avoir déjà tué quelqu’un.
  • De dangereux voleurs, donc.
  • Si tu as fait ça, tu n’as plus que dix secondes à vivre, m’avertit Claude. Parce qu’après un tel coup de traître, je te tuerai volontiers !
  • Je ne l’ai pas fait, parce que je vous donne une chance de vous expliquer, dis-je.
  • D’expliquer quoi ? Je ne regrette pas ce que j’ai fait.
  • Qu’est-ce que vous faites avec tout cet argent ?
  • On mène une vie meilleure, dit Claude.
  • En gros, vous n’avez aucune bonne raison ?
  • Non, reconnut Lionel. Et alors ?
  • C’est parfait ! Je viens avec vous.
  • Quoi ?
  • Si vous m’aviez donné une réponse complètement bidon, genre : on le donne à une association caritative, et bien là, je n’aurais pas hésité à vous balancer à la police. Mais bon, vous m’avez dit la vérité, vous êtes honnêtes, tant mieux.
  • Mais si ça trouve, on t’a complètement menti ! dit Claude en fronçant les sourcils. Ton raisonnement n’est pas du tout logique !
  • Tais-toi ! dit Lionel. Donc, tu veux nous rejoindre ?
  • Oui. Seulement, il va falloir attendre que je passe mon dîplome.
  • Si tu rejoins notre bande, c’est pour la vie, me prévint Claude.
  • Tu ne peux pas nous abandonner au bout d’un an, en disant : en fait, ça me ne plaît pas. Non, tu...
  • S’il y a un problème, et que toute la bande se retrouve en prison, et bien au moins, j’aurai une chance de m’engager dans un autre métier ! Alors que si je vous rejoins maintenant, et bien je devrais tout recommencer depuis la seconde.
  • Après tout, pourquoi pas ? fit Claude. On a juste à attendre quatre mois.
  • Et ton père ? demanda Lionel.
  • Comme je vous l’ai dit la dernière fois, je suis complètement autonome. Je pourrais partir de la maison pendant un an, c’est à peine si mon père me remarquerait. Il est très pris par son travail.
  • Je suppose que tu devras lui faire une lettre d’adieu, un truc comme ça ? dit Lionel en levant les yeux au ciel.
  • Oui, je pense, dis-je, hésitant. Ça dépend si je suis d’une humeur plutôt mélancolique ou pas.
  • C’est d’accord, alors, dit Claude. Nous nous retrouverons dans quatre mois.
  • Cinq, en fait. Je vous préviendrai lorsque j’aurai mes résultats.
  • Et tu nous préviendras comment ?
  • Je ne sais pas, vous avez un téléphone chez vous, non ? Vous me donnez juste votre numéro de téléphone, et je vous appellerai le moment venu.
  • Effectivement, ce n’est pas une mauvaise idée, dit Lionel. Au revoir donc.

Il me tendit sa main, et je la serrai, comme d’habitude. Claude me demanda :

  • Juste pour information, tu es plutôt scientifique ou littéraire ?
  • Ni l’un ni l’autre. Je pense faire une école de commerce.
  • Très bien ! Tu seras expert-comptable. Tu compteras nos sous, d’accord ? ironisa-t-il.
  • Ça me va, dis-je.

Il me nota sur un petit bout de papier son numéro de téléphone. Je lui serrai à mon tour la main, puis je les regardai entrer dans l’Arbre, avant d’aller rejoindre ma maison et mes cours, pour réviser le bac blanc qui arrivait bientôt.

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