Chapitre 5

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Après quatre mois d’une intense révision, je réussis assez bien à mon dîplome, et reçus une mention bien, avec 14 de moyenne. J’appelai Claude, pour lui signaler que je les rejoindrai le lendemain matin.

Profitant de l’absence de mon père, je réunis le maximum d’affaires que je pus prendre : un sac de couchage, de l’argent, des livres, des vêtements, un sac de toilette et toutes sortes d’affaires moins utiles.

Me souvenant des dires de Lionel, je pris une feuille, et notai un mot d’adieu à mon père :

  • Papa. Je t’écris cette lettre pour te dire que je pars. Je tiens à rappeler que je t’ai toujours aimé, même lorsque Maman est partie et que l’on s’est retrouvés tous les deux. Je sais que tu as été très pris par ton travail, et que tu m’as parfois abandonné. Sache que je ne t’en veux pas. Malheureusement, je ne peux pas vivre plus longtemps ici. J’ai trouvé un petit travail...

Je m’interrompis à ce moment, hésitant à mentir à mon père. Mais je ne changeai rien, me disant que je ne mentais pas vraiment.

  • ...et une colocation avec des amis. J’ai pris assez d’affaires pour survivre. Je t’ai aussi emprunté de la nourriture. Sois fier de moi. J’espère que tu ne seras pas trop triste, et que tu ne m’en voudras pas. Je t’aime. J’espère qu’on se reverra un jour. Au revoir.

Je relus la lettre, puis, la trouvant satisfaisante, n’y touchai plus. Je pris une punaise et l’accrochai à la porte d’entrée, de façon à la mettre bien en vue, pour que mon père ne puisse la rater à son retour du travail.

Puis, après avoir vérifié que j’avais bien tout (même si je savais que j’allai oublier quelque chose), je sortis de la maison, fermai à double tour, et gardai un double de la clé, au cas où j’en aurais besoin pour une quelconque autre raison.

Lentement, je me dirigeai vers l’Arbre, et voyant Lionel qui m’attendait, je lui donnai ma valise qui m’encombrait. Il me demanda :

  • Tu es au courant qu’on ne peut pas emmener des affaires dans l’entre-monde ?

Voyant mon air déconfit, il ajouta :

  • Mais non, je rigole ! Bien sûr que tu peux.

Devant mon air devenu assassin, il s’empressa de prendre ma valise et d’entrer dans l’entre-monde. Soupirant, je m'y engageai moi aussi, rejoignant Lionel. Il me conduisit à travers le long tunnel de l’entre monde. Nous marchâmes longtemps, au point que je perdis la notion du temps. Je demandai à Lionel :

  • On va continuer longtemps comme ça ?
  • Je ne sais pas, répondit simplement Lionel.
  • Vous voulez dire que vous ne savez pas où l’on va ?
  • Peut-être.
  • Vous et vos réponses énigmatiques ! Depuis combien de temps est-ce qu’on marche ?
  • Je ne sais pas, répondit encore Lionel. La notion du temps est difficile à percevoir ici.
  • Donc vous ne savez pas à combien de temps est votre base ? soupirai-je.
  • Oui et non. Je sais où elle est, mais le temps est différent ici. Par exemple, il m’est déjà arrivé de faire le trajet à pied de Londres jusqu’à la base, ça m’a pris deux jours, en comptant les pauses. J’ai fait exactement le même trajet à pied dans l’entre-monde, ça m’a pris une heure, environ.
  • Le temps est-il plus rapide ici que dans le vrai monde ?
  • Oui. On a déjà essayé de faire des calculs...
  • Et ?
  • Je pense qu’on arrive bientôt, dit Lionel. Oui, on a estimé qu’une heure dans la réalité est égale à trente-sept minutes, ici. Va savoir pourquoi. Mais ce n’est pas précis. Si tu veux faire des calculs, vas-y,
  • Vous avez fait comment ?
  • Quelqu’un attendait une heure près d’un Arbre, et au bout de cette heure, ce quelqu’un a appelé une autre personne dans l’entre-monde. Ils avaient tous les deux des chronomètres, et celui du deuxième affichait trente-sept minutes. Maintenant tais-toi.
  • Qu’est-ce qui te fais dire qu’on est arrivé ? Je ne vois rien de différent...

Ma phrase s’acheva brusquement lorsque j’entrai dans un grand portail blanc et que nous pénétrâmes dans une sorte de grotte. Une vingtaine de personnes nous regardèrent entrer. Claude nous accueillit :

  • Ah ! Voilà notre nouvelle recrue !

Je ne répondis pas, ébahi par ce que je voyais. Il y avait dans la salle cinq ordinateurs gros comme une étagère, mais des ordinateurs quand même. Trois hommes et deux femmes y étaient attablés.

Je compris que c’était les personnes responsables de l’organisation des plans et de la surveillance des lieux d’attaque. La salle principale était remplie par ces ordinateurs.

On pouvait apercevoir quatre portes. Une pour la salle de bain, une pour un grand dortoir, une qui donnait sur un grand placard rempli d’armes, et un dernier... attaché par un cadenas, et je ne sus pas tout de suite ce qui se cachait derrière.

  • Je vous présente Edward Hilpark ! cria Claude.

Plusieurs personnes applaudirent poliment, dont Lionel, mais les autres me considéraient avec scepticisme.

  • Vous êtes sûr que c’est lui ? demanda un premier, un homme d’une vingtaine d’années. Celui dont vous nous avez narré les fantastiques pouvoirs depuis une demi-douzaine d’années ?
  • Il n’est pas un peu jeune ? renchérit un second.
  • A-t-il déjà eu un enseignement concernant les Arbres ?
  • Avez-vous confiance en lui ? reprit le premier.
  • Stop, stop, stop, dit Claude en levant les mains. Stop. Oui, je suis sûr que c’est lui, à part si un clone a pris contrôle de son être. Il est vrai que je vous ai peut-être un peu exagéré ses pouvoirs, mais il est quand même exceptionnel !
  • Ah bon ?
  • Il a reçu le pouvoir directement ! Sans entraînement !
  • Excusez-moi, intervins-je. Vous parlez de pouvoir, mais c’est plutôt une aptitude puisque tout le monde peut y avoir accès.
  • Monsieur fait de la rhétorique, à ce que je vois, railla le premier. Vous nous avez ramené un philosophe ?
  • Tais-toi, Alex ! Poursuivons. Oui, il est un peu jeune, il a dix-huit ans, et oui, il aura un entraînement, même s’il sait déjà manier le pouvoir des Arbres parfaitement. Et oui, je le côtoie depuis neuf ans, donc je lui fais confiance.

Lionel m’attira sur le côté et me dit :

  • Fais attention à Alex. S’il commence à détester quelqu’un, il le fait savoir.
  • C’est celui qui m’a fait des reproches en premier ?

Comme Lionel acquiesçait, je poursuivis en haussant les épaules :

  • Ce ne sera pas le premier ennemi que je me fais. En quoi consiste mon entraînement ?
  • Tu vas faire une sorte de "stage" dans chaque "métier" de ce "groupe".
  • Et il y a combien de "métiers" ?
  • Il y en a quatre en tout. Le premier, le poste informatique, dirigé par Nicolas, le grand gaillard que tu vois planté devant son ordinateur. Le deuxième, la surveillance, dirigé par moi-même. Le troisième, l’achat du matériel et de la nourriture, dirigé par Alex - malheureusement. Et le quatrième, le groupe d’attaque, dirigé par Claude.

Claude, qui nous avait discrètement écouté, prit la parole :

  • Le premier et le deuxième groupe travaillent en étroite collaboration.
  • Justement, je ne comprends pas la différence entre les deux.
  • Tu l’apprendras en faisant ces stages, dit Lionel.
  • Mon groupe, le quatrième, ne sert pas à grand chose lorsqu’il n’y a pas de projet, mais on fait souvent des entraînements dans la forêt tout près, précisa Claude.
  • Justement, où sommes-nous, exactement ?
  • Nous sommes sur un lieu inaccessible, sauf par hélicoptère. Tu te représentes la carte de l’Angleterre ? Et bien, tout au bout de la ligne, il y a un Arbre sur un petit piton rocheux.
  • Nous nous trouvons actuellement sur ce piton rocheux, poursuivit Lionel. Il est composé essentiellement d’une grande forêt, où se trouve un Arbre.
  • Nous sommes donc à l’écart du monde. Comme je l’ai dit, le seul moyen de transport est l’hélicoptère.
  • Nous nous sommes installés ici lorsque cette terre a été décrétée intouchable.
  • Intouchable ? Ça existe, ça ?
  • Oui, mais selon moi, ça ne tient jamais longtemps, dit Claude. Je te parie que dans dix ans, ça sera rasé.
  • Non, je ne pense pas, parce qu’on ne pourrait rien en faire. Vu que c’est inaccessible, personne ne pourrait y arriver.
  • Quoiqu’il en soit, une fois par semaine, Alex et son équipe vont dans différents villages pour acheter... ou voler ce dont on a besoin, finit Lionel.
  • Pour en revenir au sujet d’origine, après ce mois passé dans les différents "métiers", tu choisiras celui qui te plaira le plus. Tout en sachant que tu peux encore changer plus tard.
  • Ok... je sais déjà que je ne choisirai pas celui d'Alex, fis-je en remarquant le regard de dégoût que posait sur moi Alex. Il ne m’aime pas du tout.
  • Ne t’inquiète pas. On l’a déjà forcé à accepter un membre dans son groupe. Lionel est quelqu’un de très persuasif.
  • Pour arriver jusqu’ici, comment as-tu fait pour savoir où l’on se trouvait ?
  • C’est simple. Au dessus de nous, c’est le dernier Arbre du sud. Tu ne peux pas continuer plus loin. Si tu veux continuer, tu arrives ici. La technique, c’est de continuer jusqu’à ce que tu entres ici.
  • Donc j’ai juste à marcher jusqu’au bout du tunnel ?

En voyant que Lionel acquiesçait, je demandai encore :

  • Pourtant, tu savais que nous allions arriver. Comment ?
  • Le précédent Arbre est juste sur la côte. Comme on entend un peu à travers chaque Arbre, j’ai entendu la mer.
  • C’est bon ? Tu n’as plus de questions ? demanda Claude.
  • Si j’en ai, je vous les poserai plus tard, de toute façon.
  • On va te laisser ranger tes affaires, puis tu iras dans le premier groupe, celui de Nicolas.
  • Ça me va.
  • Tu n’as pas le choix, rétorqua Claude. Allez, dépêche-toi.

Pendant une heure, je rangeai toutes mes affaires. Le dortoir était composé d’une douzaine de sacs de couchage. Lorsque je demandai à Claude pourquoi il n’y en avait pas plus, il me répondit que certains n’habitaient pas trop loin.

Chaque soir, ils rentraient chez eux. C’était le cas de Claude. Celui-ci m’avait dit :

  • Tu sais, j’ai une famille, moi ! J’ai une femme qui m’attend !
  • Vous leur dites quoi à votre famille, concernant votre "métier" ? avais-je demandé.
  • Je lui dis que je suis garde forestier, avait dit Claude. Ça explique en partie le temps que je passe dans la forêt. Et c’est à moitié vrai, puisque normalement je suis vraiment garde forestier, sauf que personne ne peut me surveiller.
  • Malin, avais-je fait. Il faudrait que je fasse la même chose.
  • Tu n’as pas intérêt à me copier, m’avait prévenu Claude.

Vers 17h, Claude m’emmena à l’extérieur. Pour sortir, il suffisait de se placer devant la porte où Lionel et moi étions arrivés, et de penser, comme pour les autres Arbres : je veux sortir. A peine était-ce fait que nous étions au beau milieu d’une forêt.

L’endroit était assez petit, à peine cinq cents mètres sur cinq cents mètres. Nous pouvions faire le tour de la petite île en une demi-heure. L’Arbre se trouvait au beau milieu de l’île.

Nous nous trouvions à dix mètres de hauteur, donc l’endroit était bien inaccessible par bateau. Puis Claude dut rentrer pour être à l’heure dans sa maison. Lionel me montra où je pouvais dormir, dans un petit coin du dortoir.

Puis, chacun se présenta. Alex m’annonça publiquement avec antipathie qu’il me détestait. Il reçut pour ça une baffe de la plupart des membres du groupe présents.

J’eus le droit de le faire aussi, pour mon plus grand plaisir. Le soir, alors que nous nous couchions, Lionel me murmura :

  • Ne fais pas attention à Alex. Il fait son intéressant, mais il dit souvent n’importe quoi.
  • Une fois tu me dis que je dois faire attention, et l'autre fois non ! Il faut savoir ! Mais il m’avait l’air sincère.
  • C’est pourquoi on l’a engagé. Il peut faire apparaître sur son visage une expression qui est totalement différente de ce qu’il pense.
  • Dans ce cas, il est très fort, parce que je ne connais personne qui a ce don.
  • Un don ? rigola Lionel. Non, non, juste une aptitude. Ça peut marcher aussi dans l’autre sens. C’est à dire qu’il peut dire qu’il t’adore, alors qu’en fait il te déteste. C’est pourquoi on ne sait jamais si ce qu’il dit est la vérité ou un mensonge.
  • Ah ! Mais à quoi est-ce que son don pourrait servir ?
  • Lors d’un interrogatoire de police. Souvent, il fait presque exprès de se faire capturer, pour qu’il raconte n’importe quoi. Ça embrouille la police, et du coup, ça fait plusieurs fois qu’il fait croire que nous sommes les gentils.
  • Mais c’est un bon gars, en fait ?
  • Exactement. Sauf qu’il déteste qu’on dise qu’il est super sympa et serviable. Il fait tout le contraire.
  • Complexe, le gars. C’est quoi le programme, demain ?
  • Tu demanderas à Nicolas. Moi, je gère mon groupe, pas celui des autres. Bonne nuit.
  • Bonne nuit ! criai-je.

Personne ne me répondit. Je haussai les épaules, et me mis sur le dos. Je regardai le plafond en pensant à ma nouvelle vie. Et dire qu’hier, je recevais les résultats du baccalauréat, et qu’aujourd’hui, j’étais dans un repaire mystérieux de bandits.

Ça voulait aussi dire qu’à présent, je passais dans le camp des méchants. J’aurais pu les dénoncer si je le voulais, mais je me sentais trop attaché à Claude et à Lionel.

J’aurais bien dénoncé Alex, mais vu sa capacité à mentir, il m’aurait dénoncé lui-même.

  • À quoi est-ce que tu penses, pour avoir l’air aussi concentré ? murmura Lionel.

Je ne répondis pas, faisant semblant d’être endormi. Lionel poursuivit :

  • Tu sais, tu n’arriveras pas à me faire croire que tu dors. Souvent, dans ces moments-là, tu te dis : Comment est-ce que j’en suis arrivé là ! Hier, j’étais quelqu’un de normal, et aujourd’hui, je fais partie d’une bande de voleurs !
  • Tu n’as jamais été aussi proche de la réalité, dis-je. Sauf qu’à priori, je n’ai jamais été quelqu’un de normal.
  • Bonne nuit, Edward, me dit Lionel après un long silence.

Je ne répondis pas, mais cette fois pour une bonne raison : je dormais enfin.

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