Chapitre 7
Deux mois passèrent. J’étais à présent un membre à part entière de la communauté, et je sentais que tout le monde m’appréciait, sauf Alex. Celui-ci multipliait les attaques verbales, sans que l’on sache s’il le pensait vraiment ou pas.
Pendant ces deux mois, Claude nous avait désigné une nouvelle cible. C’était une banque, située dans les alentours de Londres. Je fus envoyé plusieurs fois sur le terrain avec Lionel pour observer la cible.
L’attaque était prévue pour la semaine prochaine, car notre plan était déjà prêt. J’avais demandé à Claude si je pouvais utiliser les Arbres pour aller faire des courses. En vérité, je voulais aller revoir la maison de mon enfance.
Mais Claude n’en savait rien. Deux mois passés en compagnie d'Alex m’avaient appris à bien mentir. Comme Claude n’avait plus rien à ne me faire faire, il m’autorisa à y aller.
- Tu as toute la journée, précisa-t-il. A ce sujet, j’ai oublié de te dire l’une des règles de notre communauté. Tu as le droit à douze jours de vacances. Tu es sur le point d’en utiliser un.
- Je ne vois pas ce que je pourrai faire pendant ces jours de congé, dis-je en haussant les épaules.
- Tu sais où sortir ?
- J’ai bien étudié tous les emplacements des Arbres, et donc oui, je sais où aller.
- Parfait. Je te laisse partir. Tu comptes revenir vers quelle heure ?
- 17h. Donc, une sortie de six heures.
- Ne fais pas de bêtises !
- Qu’est que je pourrais faire comme bêtises ? Je n’ai aucune arme, et de toute façon, je n’en ai pas la moindre intention.
- Je pensais que tu allais me dire que tu étais assez grand pour te gérer tout seul.
- Il ne faut pas toujours utiliser les classiques ! Un peu de variété, bon sang.
Claude haussa les épaules avec un sourire moqueur, puis me regarda entrer dans l’Arbre. J’avais quand même pris ma carte des principaux Arbres, dont celui qui m’intéressait. Au bout d’une heure de marche, il me sembla que j’étais arrivé.
J’utilisais l’exercice que Lionel m’avait appris, celui qui consistait à regarder l’extérieur depuis l’intérieur de l’Arbre. Je reconnus la forêt dans laquelle j’avais randonné durant toute mon enfance.
Je sortis de l’entre-monde, et me dirigeai vers ma maison. Le portail était grand ouvert, et la maison semblait abandonnée. Tous les jeux qui composaient le jardin avait disparu. Lorsque je tentai d’actionner la poignée de la porte, elle ne s’ouvrit pas.
J’eus soudain un mauvais pressentiment, comme si j’avais le sentiment que mon départ avait causé la suicide mon père. Je me rappelai avoir pris un double de la clé, et ouvris la porte grâce à celle-ci.
L’entrée dans la maison me fit un choc. Il n’y avait plus rien. Il restait seulement quelques meubles un peu trop lourds. Je m’effondrai sur une chaise, calmant les battements de mon cœur. Mon mauvais pressentiment continuait de m’obséder.
Je me mis à respirer pesamment, puis, une fois un peu calmé, je fis le tour de la maison, m’attardant un peu plus longtemps sur ce qui restait de ma chambre, avant de retourner dans le salon, plus vide que jamais.
Je remarquai soudain un papier accroché au beau milieu de la table. Je reconnus le mot que je lui avait adressé pour mon départ. Je le retournai, et au dos, je reconnus l’écriture soignée de mon père :
- Mon fils. Je doute que nous nous revoyions un jour, car je suis parti pour Londres. J’avais depuis longtemps cette idée de quitter cette maison, même si nous y avons vécu des années heureuses, avec ou sans ta mère. J’attendais que tu aies reçu les résultats de ton diplôme, dont je suis fier de toi pour l’avoir obtenu, pour t’en parler.
J’interrompis ma lecture, les sourcils froncés. Comment pouvait-il savoir que j’avais obtenu mon diplôme ? Puis je me souvins que les résultats étaient aussi envoyés aux parents des élèves. Je repris ma lecture :
- Je suis donc heureux que tu aies pris les devants en partant de ton propre chef. J’ai attendu encore un mois dans cette maison, que je n’ai malheureusement pas réussi à vendre. Elle est encore à vendre, mais je doute qu’elle soit achetée un jour. On m’a proposé heureusement un peu d’argent en échange de la maison, même si elle n’appartient plus à personne maintenant. Si tu lis cette lettre, je te lègue cette maison de bon cœur. Je voudrais dire encore tant de choses sur ce petit bout de papier, mais les mots me manquent, moi qui suis pourtant si avare de lecture et d’écriture. Sache que je suis moi aussi très fier de toi, et que tu sois déjà autonome à cet âge est exceptionnel. Tu ne m’as jamais déçu. Ton père, Nicolas Hilpark.
Bien que je sois rassuré par le fait qu’il soit toujours en vie, je lui reprochai malgré tout qu’il ne m’ait jamais parlé de ce projet.
- Edward ? Ça va ?
Je me retournai brusquement, et découvris Lionel et Alex. Le premier me regardait, inquiet, tandis que le second me dédaignait, et préférait contempler la salle vide. Lionel continua :
- Claude m’avait envoyé te surveiller. Je ne sais pas si c’est parce qu’il ne te faisait pas confiance, ou juste parce qu’il s’inquiétait pour toi.
- Je choisirai la première réponse, dit Alex, sarcastique. Bon, tu m’excuses, je vais visiter.
Il me bouscula en passant, mais je ne réagis pas, toujours plongé dans mes pensées. Lionel demanda :
- Edward ? Tu es toujours avec nous ?
- Oui, oui.., répondis-je évasivement.
Voyant qu’il n’obtiendrait rien de moi, Lionel s’avança et me prit la lettre des mains. Je tentai de la lui reprendre, mais des bras me saisirent par l’arrière, et m’entraînèrent loin de Lionel. La voix d’Alex résonna dans mes oreilles :
- Tu veux bien me faire une visite guidée ? J’ai peur de me perdre, ajouta-t-il.
Je me débattis de toutes mes forces, mais Alex me maintenait fermement, sans que je puisse lui échapper. Il me maintint ainsi jusqu’à ce que Lionel ait fini de lire la lettre. Il s’écria :
- Eh Frérot ! Tu sais que son père s’appelle comme notre bon Nicolas ?
Alex le fusilla du regard, tandis que je criai :
- Quoi ? Vous êtes frères ?
- Personne n’était sensé le savoir ! grommela Alex. Et cet imbécile le crie comme ça !
- Mais, mais...
- Tu vas sans doute me dire que l’on ne se ressemble pas du tout, c’est ça ?
- Claude le sait ?
- Oui et non, dit Lionel. On croit qu’il le sait, mais en tout cas, il ne nous l’a jamais fait savoir.
- Mais pourquoi en avez vous honte ? demandai-je.
- Parce que nous nous détestons mutuellement, dit Alex.
- Pour ne pas montrer que nous nous apprécions, et ne pas avoir d’affection l’un pour l’autre, et ainsi si l’un de nous deux se fait tuer, l’autre ne ressentira aucune émotion, le contredit Lionel. Enfin, je crois.
- On dirait que vous avez été éduqués par les Spartiates ! dis-je en fronçant les sourcils. Mais...
- Nous ne sommes pas là pour ça, m’interrompit Alex. Pourquoi as-tu menti à Claude en lui disant que tu allais acheter des choses ?
- C’est ce que j’allais faire ! protestai-je. J’ai juste fait un détour en passant par mon ancienne maison.
- Et si ton père avait été là ? Tu lui aurais dit quoi ?
- Déjà, mon père ne serait jamais ici en milieu de journée. Sinon, dans ma lettre d’adieu...
- J’étais sûr que tu en avais fait une, soupira Lionel.
- Je lui disais que j’avais trouvé un petit travail et une colocation. Je lui aurais juste dit que je passais pour le voir, et on aurait discuté un peu !
- Je ne suis pas convaincu, dit Alex. Qu’est-ce qui nous prouve que tu ne voulais pas rester avec lui, nous abandonner !
- Dans ma vie factice, je serais étudiant. Je n’abandonnerais pas mes études juste pour le rejoindre !
- Non, mais tu pourrais faire l’aller et retour entre ton école et ta maison, répliqua Lionel.
- Mais de toute façon je ne suis pas étudiant ! martelai-je. Je suis d’accord qu’au besoin, j’aurais pu faire l’aller et retour chaque soir comme Claude et Nicolas, mais je ne vous aurais jamais abandonné !
- Il a raison, dit d’un coup Alex. On pourrait reprocher à Claude de vouloir nous abandonner chaque soir, on ne peut pas accuser Edward pour la même raison.
- Tu me défends ? m’étonnai-je.
Alex fronça les sourcils, comme s’il prenait à présent conscience de ce qu’il venait de dire. Il poursuivit néanmoins :
- Non, j’approuve seulement ce que tu as dit.
- C’est quand même exceptionnel venant de toi, observai-je.
- C’est moi ou tu as un art pour détourner la conversation ?
- Dit celui qui m'interrompt tout le temps ! répliquai-je.
- Bon, on fait quoi de lui ? demanda Lionel.
- On fait comme si rien ne s’était passé, répondis-je, et je pars faire des courses, et surtout, vous cessez de le suivre !
- Ça, tu n’en sauras rien. On peut te laisser partir et te suivre quand même, sans que tu le saches, observa Alex.
- Revenons à ta proposition, dit Lionel. Si tu as dit ça, c’est que tu as un moyen de nous faire chanter ?
- Oui, dis-je.
Je fis une courte pause, croyant inutilement que ça ferait un effet de suspense, puis déclarai d’un ton grandiloquent :
- Si vous dites quelque chose à Claude, je lui dirais que vous êtes frères.
- C’est nul, comme menace, dit Alex. De une, on n’en a rien à faire, de deux, il le sait sûrement déjà, et de trois, tu as dit toi-même que de toute façon tu ne vas pas nous quitter, donc tu ne devrais pas avoir honte !
- Si Claude l’apprend plus tard, là tu vas te faire défoncer !
- Après tout, comme vous voulez, dis-je après un moment de réflexion. Bon, maintenant, vous me laissez partir, et vous ne me suivez pas !
J’enlevai la lettre de mon père des mains de Lionel, avant de sortir et de courir dans les bois. J’entrai vite dans l’Arbre, et allai au suivant. Je savais que celui-ci se trouvait en bordure d’une ville, et je pensais avoir été assez vite pour semer les deux frères.
Néanmoins, j’attendis cinq minutes avant d’aller dans la ville, puis je me souviens de la capacité des deux frères à regarder de l’intérieur de l’Arbre. De la force de mon esprit, et en prenant garde que personne ne me voit, j’enfonçai ma tête dans l’Arbre.
Alex et Lionel n’étant pas présents, j’en conclus que soit ils avaient accepté ma volonté, soit ils n’avaient pas retrouvé ma trace. Je sortis ma tête de l’Arbre, avant de partir dans la ville.
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