Chapitre 10
Je me réveillai avec un mal de tête épouvantable. Je sortis de mon sac de couchage, avant d’examiner ce qui se trouvait autour de moi. Puis je me souvins de tout : le braquage, la mort de Claude, ma poursuite à travers les bois.
Puis la tête de Lionel vint brusquement brouiller ma vision. Il demanda d’une voix douce, mais qui parut raisonner cent fois plus fort dans ma tête :
- Edward ? Ça va ?
- J’ai l’impression que le monde entier crie dans ma tête, donc je dirais que non, ça ne va pas très bien.
- Je te comprends. J’ai déjà eu cette sensation, après avoir vidé une bouteille entière d’alcool.
Je voyais bien qu’il essayait de détendre l’atmosphère, mais devant mon air triste, il s’interrompît. Je grognai :
- Vous avez des nouvelles d’Alex ?
- Sa technique a encore réussi. C’est à se demander comment il a fait. En tout cas, on t’attendait pour faire un résumé de ce qu’il s’est passé hier.
Tout en douceur, je me levai, et mon regard tomba sur ma jambe. Elle était complètement enrubannée de pansements.
- Tu t’es évanoui hier. J’ai dû te soigner. Avec ton éraflure au genou et ta balle dans la jambe...
- Je me suis pris une balle dans la jambe ? l’interrompis-je.
Ça expliquait en partie ma soudaine faiblesse alors que je courais dans la forêt. Sans brusques mouvements, je réussis à aligner quelques pas jusqu’à rejoindre la salle principale, où toute la bande me regarda entrer, assis sur des tabourets.
Lionel réussit à m’asseoir sur l’un d’entre eux, avant de s’asseoir sur celui d’à côté. Un long silence s’en suivit, qu’Alex brisa en disant :
- Bon, qui commence ? Edward ?
D’un signe de la main, je lui fis signe qu’il pouvait y aller.
- Tout se passait bien, commença Alex directement, quand Edward, dans son bon rôle d’observateur, nous avertit que trois voitures de polices arrivent dans la rue.
- Le banquier nous a dit que sa banque est équipée de dispositifs qui avertissent la police en cas d’attaque, enchaînai-je. Je ne sais pas exactement comment il a fait, mais bon, il a réussi à avertir la police.
- Je l’ai tué, dit Alex.
Toute la salle applaudit à ce moment, en soutien à l’acte d’Alex. Je compris que tout le monde aurait fait pareil. Je continuai :
- Alex, appliquant la procédure normale, sort pour se rendre à la police.
- Je vous raconterai après cet épisode très drôle, précisa Alex.
- Après son intervention, pendant que nous réfléchissions, une fusillade a commencé.
- Le chef de la police m’a demandé s’il y avait d’autres civils dans la pièce. Je lui ai dit que oui, mais que le banquier était devenu fou, et j’ai commencé à lui raconter n’importe quoi. Il a dû croire que j’étais atteint du syndrome de Stockholm. Du coup, il ne m’a pas cru, et ordonné que les policiers tirent à travers la porte.
- On a eu le temps de se réfugier dans la salle arrière, avec Claude blessé. On a aussi eu le temps de lancer les sacs d’argent par la fenêtre et de sortir de la banque par l’arrière.
- Je les ai retenu suffisamment longtemps pour que les policiers ne rentrent pas tout de suite.
- Claude saignait de plus en plus. Il a insisté pour que j’y aille, en prétextant qu’il ne réussirait pas à sortir. Mais plus j’insistai, plus le temps défilait. Au final, il a fait une diversion pour que je puisse sortir à mon tour.
- J’ai tout vu, dit Alex. Il a foncé sur les policiers comme un dément. Il a réussi à en tuer un et à en blesser un autre avant de se faire abattre. Les policiers ont traîné son corps jusqu’à une de leur voiture, puis ils ont embarqué le corps. Ils m’ont gardé une nuit le temps que je fasse ma déposition, puis ils m’ont relâché.
- Comment est-ce que nous pourrions vous croire ? demanda soudain Nicolas d’un ton hargneux.
- Je n’ai pas fini, dis-je sèchement. Je suis donc sorti par la fenêtre, mais un policier m’a vu sortir. Il m’a averti trois fois, selon les règles, puis il a commencé à tirer. Avec deux autres policiers, ils ont failli m’attraper, mais Lionel m’a sauvé à temps. Je me suis pris une balle dans la jambe, mais je ne m’en souviens pas.
- Et où sont les autres qui étaient avec toi ?
- Ils sont partis avec l’argent, je suppose, dis-je.
- Qu’est-ce qui nous prouve que tu n’as pas caché l’argent et que tu vas le récupérer ce soir ? demanda Nicolas.
- Pour en faire quoi ?
- Je ne sais pas, nous quitter, et t’acheter une belle maison pendant que nous on crève de faim ? Puisqu’on n’a pas le code de la quatrième porte ?
En arrivant la toute première fois dans le lieu où je me trouvai maintenant, j’avais remarqué quatre portes. L’une pour les dortoirs, la deuxième pour la salle de bains et la troisième pour la réserve de nourriture et d’armes.
Plus tard, Claude m’avait révélé ce qui se cachait derrière la dernière porte. C’était tout l’argent accumulé des dix dernières attaques. Cependant, la porte était verrouillée par un gros cadenas, ce qui empêchait que l’on vole l’argent comme ça.
Claude seul avait la clé. Mais c’était un cadenas à code, et Claude, une fois sûr que j’étais de leur côté, m’avais confié le code. Il m’avait certifié que tout le monde le savait. Mais j’avais depuis longtemps compris que seul lui et moi le savions.
En effet, c’était tout le temps Claude qui ouvrait la porte. Je me gardai bien de contredire Nicolas sur ce point. Lionel dit :
- On n’a pas le choix. Il faut les retrouver.
- Ce n’est pas le sujet ! dit Nicolas en se levant. Qui nous dit que Edward ne nous a pas trahi pour nous livrer à la police ? Il a pu facilement le faire avant-hier soir, ou même hier matin !
- Pourquoi vous aurais-je trahi ? Je gagnerai bien plus d’argent en participant au braquage qu’en vous livrant à la police ! Ça n’a aucun sens.
- Claude l’avait bien dit, il a participé à une dizaine d’attaques ! Pourquoi aurait-il raté celle-ci ? Qu’est-ce qui a changé entre avant et hier ? Toi.
Je sentis les yeux de toute l’assemblée posés sur moi. Lionel s’était levé, mais, à présent hésitant, il continua d’écouter Nicolas dire, tel un acteur tragique :
- Qui es-tu vraiment, Edward Hilpark ? Un traître, ou juste quelqu’un qui n’a pas eu de chance ?
Sa question me blessa plus que je n’en laissai paraître. J’éclatai d’un grand éclat de rire, et me levai à mon tour :
- Qui je suis ? Mais je suis moi-même ! Vous pensez vraiment que je suis quelqu’un d’autre qui aurait l’apparence du vrai Edward Hilpark ! Mais on nage en plein délire, là ! Écoutez, si vous voulez que je parte et que vous ne vouliez plus jamais me voir, je vous comprendrais. Mais je suis totalement innocent ! S’il y a un coupable pour le meurtre de Claude, c’est la police ! Pas moi !
Nicolas m’empoigna alors par le col de mon pull et gronda :
- Tu nous as trahi ! Tu as tué, certes indirectement, Claude ! Tu vas recevoir la sentence suprême pour ça !
- Tu veux me tuer, c’est ça ? dis-je d’une voix mal assurée.
- Exactement !
- Et bien sache...
Je balançai brusquement mon genou dans son entrejambe avant de courir vers l’entre-monde en criant la fin de ma phrase d’un ton moqueur :
- Que je ne vais pas me laisser faire !
J’entrai dans l’entre-monde, puis m’arrêtai brusquement. Où aller ? Ce petit temps d’hésitation causa ma perte. Rugissant comme un démon, Nicolas arriva à son tour. Il me planqua au sol avant de me mettre le plus gros coup de poing de ma vie.
- C’est pas gentil, ça, bredouillai-je, dans les vapes.
- Et le coup que tu m’as donné, il était gentil ? Tu sais quoi ?
Comprenant que répondre n’amènerait que du suspens, je le laissai parler tout en réfléchissant. Que faisaient les autres ? Étaient-ils d’accord avec Nicolas, ou étaient-ils juste passifs ?
- J’ai trouvé un nouveau moyen de mise à mort !
Lionel et Alex surgirent alors du portail, et nous regardèrent, effarés. De toutes ses forces, Nicolas prit de l’élan dans l’étroit tunnel, puis me jeta contre l’un des deux murs. J’avais dit que le tunnel était bordé par deux murs.
Mais comme on ne m’avait jamais rien dit à ce sujet, je ne m’y étais pas intéressé plus que ça. Qu’est-ce que ça aurait changé ? Sous la force de Nicolas, le mur se cassa, et sans que les deux frères puissent intervenir, je tombai dans le néant.
Je vis le sourire maléfique de Nicolas me regardant tomber, et les visages aux yeux écarquillés de Lionel et d’Alex. Je poussai un cri, qui résonna longtemps, longtemps, très longtemps, et continua à l’infini pendant que je tombai, tombai, tombai...
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