Mon cœur bat la chamade. La pièce est plongée dans l’obscurité. Les quelques rayons qui s’échappent d’en dessous de la porte me permettent de distinguer mes congénères. Elles et ils sont là, autour de moi, tous blancs, tous identiques. Alors je suppose que je suis pareille qu’eux.
Nous sommes en hauteur, perchés sur une étagère, il me semble.
Tout le monde s’agite. Je n’ai pas l’habitude d’être ici, c’est mon premier jour. J’aimerais tant passer sous la porte, pour rejoindre le rai de lumière qui passe par-dessous.
Je crois que je n’ai que quelques pas à faire. Je n’aperçois aucun obstacle qui m’en empêche. En fait, il faudrait que je saute assez fort pour atteindre la petite table dans le coin de la pièce. Elle me servirait d'étape avant de rejoindre le sol. Je n’ai pas envie de m’écraser par terre ; je sais qu'une chute me serait fatale. J’aime la vie, même si elle n’a pas commencé depuis longtemps.
Je me positionne loin du rebord, je prends de l’élan, commence à courir et… heurte violemment une paroi que je ne vois pas. Intriguée, je recommence l’exercice. Pourquoi donc ne puis-je pas atteindre la table ?
Un deuxième choc s’opère entre mon crâne et cette force invisible. Puis un troisième. Et je perds connaissance.
Quand je m’éveille, la lumière est revenue. J’ai toujours mal à la tête, mais aujourd’hui, je comprends pourquoi : il y a du verre partout autour de moi. Je suis enfermée dans une cage en verre ! Pourquoi m’avoir privée de liberté ? Je claque mes incisives pour montrer mon mécontentement, et je gratte les parois de ma prison.
Un humain habillé en blanc s’est assis à la table. Dans sa main, il tient une de mes copines, qu’il a posée dans un petit bac à l’intérieur duquel se trouve un gros bouton. Quand ma copine appuie sur le bouton, de la nourriture sort d’un gros tube et un bip prononcé se fait entendre. Ma copine mange la boulette de nourriture et rappuie sur le bouton. De la nourriture, accompagnée du petit son, vient. Une autre copine observe la scène depuis une autre cage. La première copine réitère l’opération plusieurs fois, et, à chaque fois, de la nourriture apparaît.
L’humain enlève alors ma première copine et échange sa place avec ma deuxième copine. Ma deuxième copine a faim. Elle se précipite sur le bouton. Comme prévu, le son et la nourriture arrivent. Alors elle rappuie, mais la deuxième fois, on n’entend que le son. Une fois elle obtient de la nourriture, la fois d'après elle n’en a plus. Il n’y a aucune logique, mais elle appuie toujours avec le même enthousiasme.
L’humain note les réactions de mes deux copines dans un petit calepin. Puis, il les remet dans leur cage.
Sa grosse tête barbue s’approche des petites prisons de verre dans lesquelles mes copains, mes copines et moi sommes enfermés. Il nous observe, tous, tandis que je me mêle à la foule de mes congénères identiques. Egoïstement, je ne veux pas qu’il me choisisse.
Malheureusement, le barbu ouvre la boîte dans laquelle je me trouve. Sa grande main me saisit, directement, comme s’il savait depuis le début que c’était moi qu’il voulait.
J’essaie de mordre sa main, mais il me tient par le cou, alors tout ce que je peux faire, c’est lui donner des coups de patte qu’il ne sent même pas.
L’humain me dépose dans un endroit sombre. De grands murs se dressent partout autour de moi. Je ne peux pas les escalader. Il appuie sur le bouton d’un engin auquel il parle.
Le barbu allume la lumière de ma prison aux nombreux murs. Je comprends vite que je dois sortir d’ici. Je parviens à quitter ce que l’humain appelle un "labyrinthe" après un moment terriblement long. Au bout, je trouve une toute petite boulette de nourriture. Tout ça pour cette si maigre récompense ? Ma copine qui se contentait de presser un bouton était plus gâtée que moi !
L’humain barbu n’en a pas fini avec moi. Il me sort de son fichu labyrinthe et me dépose dans une petite boîte remplie de copines et de copains séparés de moi par des vitres. Ceux-là ne sont pas tous blancs. Ils ont de petites taches noires parsemées sur le corps. Quand je vais vers eux, ils se rapprochent tous en même temps de moi. Ils bougent comme moi. D’ailleurs, je suis intriguée. Je me rapproche de l’une des copines, et je lui donne de petits coups de patte. Sa patte parvient toujours à taper la mienne, même lorsque j’essaie d’être rapide. Aucune copine avant elle n’avait été aussi rapide. Quand je penche la tête, elle penche la tête. Elle fait tout comme moi au point que c’est impossible qu’elle soit une vraie copine.
La main de l’humain se rapproche de moi, énorme. Elle tient une petite gommette rose. J’essaie de m’enfuir, mais la main m’appuie sur la tête. Puis elle s’éloigne, et la gommette a disparu. Où est-elle ? Quand je regarde la copine en face de moi, je m’aperçois qu’elle l’a sur la tête ! Et puis mon regard tombe sur les autres… Toutes ont la gommette. Alors moi aussi ? Mais… Et si toutes ces copines n’étaient qu’une autre image de moi ? Pour le vérifier, je touche ma tête avec mes pattes et arrache la gommette. Quand je relève les yeux, les copines ne l’ont plus. Toutes ces copines... C'est moi ?
Alors je ne suis pas identique aux copines et copains de ma cage ? Je ne suis pas toute blanche ? C’est donc pour ça que l’humain barbu m’a reconnue parmi les autres ?
Alors que je m’amuse avec mon reflet, que je découvre pour la première fois, l’humain parle encore à son objet étrange, qu'il appelle un "dictaphone". Je ne l’écoute pas. Je remue mon corps, m’amuse à observer les parties que je ne peux pas voir avec mes yeux, comme le haut de ma queue rose.
Puis sa main m’ôte à toutes mes jumelles. L’humain me repose dans la cage avec les autres copains et copines. Je m’empresse de leur faire partager l’expérience de ma première journée de souris de laboratoire.