Première racine
L’hiver passa, et la petite flamme continua de se consumer et de me réchauffer pendant des mois. Puis, imperceptiblement, la température changea. La terre ramollit. Les lombrics qui avaient déserté mes environs pour des couches de sol plus profondes firent leur retour, fouissant et creusant avec délice autour de moi. Je me sentais poussé d’une énergie nouvelle. C’était le moment. J’avais rassemblé assez de forces.
Mon premier contact tactile avec le monde fut précédé d’une légère douleur et d’un « crac ! ». Ma coque protectrice venait de céder. Ma première racine pointait le bout de son nez. Cela faisait des mois que j’y consacrais toutes mes ressources. Je la fis glisser à l’extérieur.
Il est impossible de décrire avec exactitude ce que je ressentis à travers ce radicule. Il me fit parvenir les sensations brutes de ses explorations, me donna une image tout en goût et en toucher de l’espace alentour, sans le filtre épais de ma coque protectrice. Patte frémissante, bras aventureux, bouche curieuse, il était tout cela à la fois. Grâce à lui, j’ingérai mes premiers nutriments et goûtai à l’eau, nectar salvateur, contenue dans le sol.
Ma racine progressa lentement vers les couches inférieures. Elle avançait à l’aveugle, seulement guidée par ses cils détecteurs et sa langue. Plusieurs fois, elle se cogna contre des cailloux ou des créatures du sous-sol. Alimentée par les nutriments qu’elle puisait dans la terre, elle grossissait et s’étendait. Elle finit par se retrouver solidement ancrée dans le sol, arrimée à la terre mère comme un cordon ombilical végétalisé. Ma graine était toujours là, pulsante de vie, réchauffée par sa petite flamme. Il était temps d’aller voir à la surface.
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