Contexte historique : Paix Rompue (2/2)

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  Cependant, une section formée au sein des ismeïi, la classe des nobles, finit par obtenir des résultats significatifs. Le Rouge Ciel du Jusant du Printemps (6.5.4-306) de cette même année, les principaux groupes dissidents, gangrenant déjà les deux villes majeures, furent finalement identifiés et promptement neutralisés.

  La véracité de leur existence, et surtout celle de l’ampleur de leur réseau, accéléra d’autant le plan du Naïsmineï. Car non seulement les Samarins avaient prouvé leur perversion, mais ils avaient aussi entraîné dans leur infamie des citoyens fineïi, devenus leurs complices ! Une preuve flagrante, s’il en fallait au souverain, que son plan était une nécessité.

  L’étape suivante en fut donc avancée, et du jour au lendemain ses propres sujets durent eux-mêmes posséder un sauf-conduit pour quitter le territoire. En parallèle, les échanges entre les deux peuples furent pour la première fois soumis à la supervision de classes supérieures à celle des lemi.

  Dans le même temps, le roi instaura ce qui aurait été une hérésie pour ses prédécesseurs : des gardes-frontières le long de l’Onitariakt, le grand fleuve séparant les deux nations. Non armés, leur seule fonction était de relayer les informations sur d’éventuels contrevenants, en plus de montrer au monde que le nouveau pouvoir ne prenait pas à la légère l’application de ses édits.

  La manœuvre sembla porter ses fruits, car jusqu’à l’année suivante la frontière samarine demeura hermétique à toute fraude d’envergure. Néanmoins, le roi déchanta lors du relevé annuel suivant (3.1.1-307). Les chiffres n’y mentaient pas : la contrebande avait repris de plus belle ! Une seconde enquête de grande ampleur fut menée, qui aboutit à un résultat troublant : si le fleuve restait bel et bien sécurisé, une seconde vague de contrebandiers avait trouvé son chemin au travers des inextricables forêts béonides ! Une conclusion qui avait tout de même pris plusieurs saisons pour émerger, étant donné l’éloignement de ces nouvelles voies secrètes par rapport aux routes usuelles.

  Mais cette difficulté ne pouvait en rien arrêter le pouvoir central, et le Petit repos du Levant de l’Été Naissant (5.1.6-307) les ennemis du peuple furent de nouveau débusqués et traités comme de juste.

  Après cette seconde émergence du mal, d’aucuns auraient pu penser que les conflits internes des deux années passées, ainsi que leurs résolutions fatales, marquaient un affaiblissement de la main du roi. Mais que du contraire. La dernière victoire contre les “pervertis” poussa encore plus avant les plans du souverain, qui ne se gêna pas pour positionner, le Chaud Ciel de la neuvaine suivante (4.2.6-307), des gardes-frontières également à sa frontière ouest. Et d’en profiter pour imposer, à leur tour, des sauf-conduits aux Béonides.

  Ces derniers virent cette contrainte comme un camouflet, car il ne faisait aucun doute — tant pour eux que pour le Naïsmineï d’ailleurs — qu’aucun de leurs ressortissants n’avait pris part à ce jeu d’échange interdit. Et ce, pour la simple raison que leur culture ne pouvait en tirer un quelconque profit. Cependant, peu intéressés par toutes ces considérations commerciales et politiques — après tout, la présence des gardes fineïi à leur frontière n’avait comme seul impact, pour eux, que de dessiner celle-ci entre les arbres —, ils finirent eux aussi par s’accoutumer. Ainsi, ils en revinrent très vite à leur vie paisible, se contentant de poursuivre les rapports de bon voisinage qui les avaient toujours caractérisés.

  Les saisons suivantes, les Samarins ne semblèrent plus trouver de moyens viables pour esquiver les interdictions fineïi. Les pistes béonides, dorénavant gardées, avaient déjà été fort peu rentables en regard des risques encourus, leur itinéraire forçant les contrevenants à pénétrer le territoire aride des terribles guerriers teltarnans. Et maintenant, pour ajouter au danger que représentait cet ennemi héréditaire, plus moyen de contourner le non moins terrible Pernarnatar pour accéder à Atbar’xen.

  Quant au passage du sud-est, quand bien même ce détour n’aurait pas rallongé le parcours de plusieurs neuvaines, il se heurtait au massif Auloth d’où l’Onitariakt prenait sa source. Des monts qui n’auraient pas ébranlé la détermination samarine s’ils n’étaient infestés de maraudeurs visiarnans, d’autres farouches combattants sévissant à l’est de la Mer Désolée.

  Aussi, à court d’options, ils se rabattirent vers une contrebande plus éparse et plus lente. Les intermédiaires furent doublés afin de brouiller les pistes, et les routes publiques furent de nouveau favorisées pour y faire circuler des volumes plus modestes.

  Une méthode qui afficha vite un double avantage : les marchandises importées se raréfiant, elles grimpèrent aussi en valeur ; et celles saisies, de par leur faible quantité, ne généraient jamais d’énormes manques à gagner. De plus, les échanges ayant fortement diminué, ils tendirent à disparaître même des relevés annuels fineïi. Une judicieuse adaptation qui résultat en une forme d’équilibre suffisamment stable pour se maintenir deux années durant.

  Mais s’y sentir en sécurité eût été faire fi de l’intellect royal ! Le Naïsmineï, fort de sa vision globale du territoire, avait bien conscience que le mal n’avait pas été éradiqué et qu’il avait pris une apparence beaucoup plus insidieuse. Cela, pourtant, ne le gênait guère. Car de nouveau, sans s’en rendre compte, les Samarins jouaient son jeu.

  Il attendait, simplement. Il attendait que les tensions se tassassent, que l’habitude prît le pas sur la prudence. Afin que, le moment venu, il pût donner à son peuple l’illusion de manquer de choix pour contrecarrer la gangrène extérieure.

  Ainsi, le Bleu Ciel du Labeur de l’Hiver 309 (3.2.2-309), il reprit finalement les choses en main en édictant un nouveau décret qui ferait date : à partir de ce jour, les gardes-frontières seraient armés et auraient ordre d’employer la force pour préserver la souveraineté du territoire ! Cela, en soi, n’interféra que fort peu avec la contrebande rampante, mais une nouvelle étape du plan royal avait été franchie : ses frontières se solidifiaient, et ce, sans que le peuple ne s’en offusquât.

  La situation eût alors pu se stabiliser, mais c’était sans compter sur la propension Pensante à profiter du pouvoir acquis : si l’emploi des armes fut d’abord pris pour une nécessité, il eut tôt fait de virer en zèle pervers. Les neuvaines qui suivirent virent s’amonceler les morts aux frontières, dont beaucoup n’avaient de toute évidence aucun lien avec les contrebandiers. La raison officielle en fut le principe de précaution, élevé au rang de vertu, forçant même les plus honnêtes des commerçants à redoubler de prudence lors de leurs voyages extraterritoriaux. Les plus nantis préféraient d’ailleurs user de soudoiement pour garantir leur commerce. Ce qui, en retour, poussa invariablement les gardes-frontières à augmenter les vérifications pointilleuses des bourses closes.

  C’est alors que survint le drame. Suite au passage en force de fuyards à un barrage frontalier entre la Tibaleï et la Tiwalnaï, une division de gardes-frontières décida de traquer ces derniers jusque dans les terres béonides. À bout de force, les malheureux eurent la mauvaise idée de se réfugier dans un petit village sans histoire à une dizaine de lieues de la bordure fineï. Et ce qui devait arriver arriva. Le sang coula à flots, sans discernement, et ce jour du Grand repos du Jusant de l’Hiver (9.5.2-309), la neige prit la teinte de la forêt des agresseurs. Le village fut rayé de la carte, ne laissant de vivant que des gardes-frontières triomphants.

  Loin de s’émouvoir de la tragédie, le roi mit en place ses dispositions finales pour que tout mal ne pût plus échapper à son courroux. Quatre jours plus tard (4.1.3-309), il fut décidé que les gardes-frontières n’étaient pas suffisamment formés pour gérer les dangers externes toujours croissants. Ils furent donc remplacés par une caste plus professionnelle.

  Et la frontière Fineï se militarisa.

  Mais la pression royale ne s’arrêta pas là. Sous couvert de possibles implications béonides — l’un de leurs villages n’avait-il pas hébergé des fuyards ? —, le souverain s’en prit ouvertement à eux. Se basant sur la probabilité que leur légendaire cordialité — si pas naïveté — eût pu leur faire attraper la malignité samarine, il annonça à son peuple une épidémie de mal sévissant désormais sur tout le pourtour de la bordure fineï. Par mal, il entendait bien évidemment tout sang étranger, mais que cette distinction fût réellement comprise des siens ou pas n’avait aucune importance : des Fineïi étaient morts à cause de Samarins, vraisemblablement aidés de Béonides, portant de facto l’anathème sur ces deux noms !

  Et aux yeux des petites gens, qui pour la plupart ne connaissaient des aléas frontaliers que les échos du bouche-à-oreille déformé, l’armée, par son seul déploiement aux frontières, validait la clairvoyance de leur Naïsmineï ! Vive le roi !

  Le monde hors du territoire était donc clairement devenu une menace, et le peuple avait appris à en prendre conscience. De ce simple fait, il fournissait à son souverain, et sans réserve, le droit d’appliquer la dernière partie de son plan. Le Froid Ciel des Semailles de L’Hiver Dormant (1.3.3-309), soit moins de deux neuvaines plus tard, tous les sauf-conduits émis furent suspendus et le commerce extérieur stoppa net. Seuls les documents de quelques hauts dignitaires samarins demeurèrent valides afin de maintenir un semblant de diplomatie avec cette puissance elle aussi armée.

  Cependant, le but recherché par Minktal’malith était enfin atteint : son peuple s’était replié sur ses propres valeurs, et ses frontières closes empêchaient désormais toute intrusion. Un exploit réalisé en moins de quatre années de règne et avec l’assentiment de la population.

  Depuis lors, seule la frontière nord subit encore quelques tensions. Car les Samarins, prenant peur de la démonstration de force de leur ancien partenaire commercial à leurs portes, y dépêchèrent des contingents de leur propre milice intérieure. Heureusement, aucun des deux peuples n’ayant de vue territoriale sur l’autre, les armées se contentèrent de s’observer sans que rien de plus ne fût tenté que des volées de regards cauteleux et autres injures distantes.

  Bien que les Samarins perdissent énormément dans le cloisonnement fineï, ce furent, a contrario, les Béonides qui eurent le plus à en souffrir. Car, de par leur culture assez proche de celles des Fineïi, des unions entre les deux populations avaient fleuri avec les décennies, les premiers s’accoutumant fort bien du confort de vie des seconds. Pas au point de parler d’émigration, même de petite envergure, mais les villes et villages fineïi comptaient leur lot de couples mixtes à tous niveaux de la société. Aussi, sans surprise, les sauf-conduits obtenus par les Béonides l’avaient été en majeure partie pour raisons familiales.

  Or, si la perte de partenaires commerciaux peut pousser à la reconversion, celle d’un contact aimé relève d’un chagrin qu’on ne peut occulter. Ainsi, trois saisons passèrent avant que la tristesse à l’ouest ne devînt colère, et que les chefs tribaux (dont certains avaient eux-mêmes été coupés des leurs) décidassent de prendre le problème à bras-le-corps. Le Vacant Point du Labeur de l’Été (2.2.6-309), des pourparlers furent demandés par l’intermédiaire de l’armée frontalière fineï. La requête fut relayée à la bureaucratie, qui depuis la fermeture des frontières jugeait les remarques extérieures avec indolence, sinon dédain.

  Les neuvaines, puis les saisons s’égrenèrent sans qu’aucune réponse ne parvînt aux plaignants. Dépités, mais surtout frustrés par ce manque d’égards à une cause qu’ils considéraient fondamentalement juste, ils en vinrent à user de la seule arme à leur disposition : en cette fin d’année 309, plusieurs familles souffrant de cette séparation forcée se regroupèrent côté béonide pour manifester pacifiquement face aux hommes armés.

  Mais le sort voulut que, malgré la réticence du ministère fineï de l’extérieur à remonter cette information sans importance, elle arrivât tout de même aux oreilles du Naïsmineï. Celui-ci, bien que ne cachant plus sa xénophobie, jugea qu’il devait — une fois n’était pas coutume — se montrer concilient afin d’éviter tout courant de soutien aux béonides déjà intégrés. Aussi accepta-t-il une entrevue extraordinaire avec une délégation béonide, qui se tiendrait à Atbar’xen le Bleu Ciel du Labeur de l’Hiver Rampant de l’année suivante (3.2.1-310).

  Ce fut lors de ce premier déplacement officiel béonide, lors de cette première entrevue avec tous les chefs des grandes tribus réunis autour d’une même cause, que les engrenages d’un destin dépassant les frontières connues se mirent en mouvement. L’histoire commença pourtant tout simplement : par la rencontre d’une famille fineï anodine et d’une improbable étrangère venue aiguiller le futur des peuples.

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