Chapitre 3

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CHAPITRE TROIS

2 FÉVRIER 2017

Si je devais décrire la sensation procurée par la machine à remonter le temps, je dirais que la totalité de mon corps se volatilisa. Je ne sentais plus rien et je ne respirais plus. Pendant plusieurs secondes, je pensais que cela n’avait pas marché et que ma conscience serait la seule partie de moi qui subsisterait et que j’étais condamnée à rester dans ce néant pour l’éternité.

Mais peu à peu, je récupérais les sensations de mon corps. Cela commença avec des picotements aux extrémités avant qu’ils ne se transforment en douleurs. J’avais l’impression que l’on essorait chacun de mes muscles pour en extraire leur jus. Je criais de douleur.

Après le toucher, le deuxième sens qui se réveilla fut l’ouïe. J’entendais des bruissements de feuilles comme celles qu’on entendait dans les musiques relaxantes. La douleur se calma et je pus sentir la caresse douce du vent sur ma peau. Quelques exclamations de voix, lointaines au début, m’atteignirent, avant de se transformer en une discussion qui semblait sensée. J’étais incapable de les comprendre, et encore moins de répondre mais je devinais qu’elles appartenaient à trois hommes différents et une femme.

Après un temps, je pus sentir une odeur que je ne connaissais pas. C’était doux et agréable, un peu comme le parfum « forêt orientale » que ma mère mettait dans le salon lorsque nous recevions des invités. Cette odeur me fit sourire doucement.

— Elle se réveille ! fit remarquer l’une des voix.

Je commençais enfin à les comprendre. Étais-je arrivé à la bonne époque ? Au bon endroit ? Je tentais de parler mais n’y arrivait pas. Mais au moins je semblais capable de réfléchir.

— N’essayez pas de parler, vous devez encore avoir de l’eau dans les poumons.

Lorsqu’il me le dit, je me rendis compte qu’effectivement, mes poumons me brûlaient. Je compris également que j’avais froid parce que mon corps était mouillé.

— Essayez d’ouvrir les yeux, me conseilla la femme.

Lorsque j’entrouvris les paupières, le soleil me brula la rétine. Je gémis de douleur, mais j’essayais une nouvelle fois, laissant à mes yeux le temps de s’habituer. Je voulu passer mon bras au-dessus de ma tête pour contrer les rayons du soleil, mais je n’étais même pas capable de lever le petit doigt.

Dès que je pus enfin entrouvrir les paupières, j’observais les personnes qui m’entouraient. Le premier garçon était de haute taille, carré des épaules et blond. Le second, plus petit et plus menu, avait de petites boucles rousses qui encadraient son visage. Quant au dernier, ce qui me marqua le plus fut la longue cicatrice qui barrait sa joue, du dessous de son œil jusqu’à la commissure de ses lèvres. Il était d’un brun presque noir avec des yeux bleu nuit. La fille, quant à elle, était également brune et avait définitivement un lien de parenté avec le garçon balafré.

Ils avaient tous l’air inquiet mais souriaient de me voir reprendre conscience. Ils ne devaient pas avoir plus de vingt ans.

Le roux m’aida à m’asseoir et je me rendis compte que j’étais totalement nue sous un manteau d’homme.

— Salut, me fit le blond avec un geste de la main.

— Bonjour, répondis-je avec une voix enrouée, me lançant douloureusement dans la poitrine. Que s’est-il passé ?

— On t’a retrouvé dans la rivière juste là, me dit le brun en me montrant du doigt l’endroit où ils m’avaient repêché. Tu étais inconsciente et complètement nue.

Bien joué, Yann, me téléporter dans une rivière ! Tu ne pouvais pas faire mieux ! Bon, je devais déjà m’estimer heureuse d’être arrivée en vie.

— Tu sais comment tu as atterri là ? demanda la fille.

— Non, pas du tout, menti-je.

— C’est probablement de l’amnésie. Tu sais comment tu t’appelles ?

Je ne pouvais pas vraiment leur donner mon vrai prénom : Éléa était un prénom à la mode du 25ème siècle. Si j’étais arrivée comme prévu, je me trouvais au 21ème siècle. Une période particulièrement connue pour ses débuts dans la cause environnementale. Quels étaient les prénoms de cette période ? Vite, quelqu’un de célèbre mais pas trop…

— C’est plus grave que ce que l’on imaginait si elle ne se souvient plus de son nom.

— Il faut l’emmener voir un médecin.

— J’appelle le SAMU.

Il sortit de sa poche ce que je devinais être un téléphone. Je me souvenais les avoir étudiés. À l’époque, ils étaient comme des petits ordinateurs et servaient à communiquer.

— Non ! m’écriai-je presque. Je vais bien.

Je n’avais pas besoin de me faire embarquer par les secours. S’ils découvraient que je venais du futur, c’en serait finit de moi. Et s’ils découvraient que je n’étais pas française, mes chances de rester dans le pays étaient trop insuffisantes.

— Je me souviens : je m’appelle Emma, affirmai-je. Vous ne pouvez pas appeler les secours. Personne ne doit savoir que je suis là…

Je devais reprendre le plan de Yann.

— Pourquoi ça ? demanda le blond.

— Je suis une immigrée…

— Je vois, dit le roux. Illégalement, j’imagine.

— Oui… dis-je d’une toute petite voix.

Ils semblèrent croire à mon mensonge et hochèrent la tête d’un même mouvement.

— Tu viens d’où ? Non, ne dis rien, laisse-moi deviner ! Espagne ?

— Aucun immigré ne peut venir d’Espagne, soupira son ami.

— Mais elle a la peau mate comme les espagnoles !

Ah oui, j’avais oublié que les français de cette époque n’avaient pas encore subit les effets du réchauffement climatique. Comme je n’avais aucun moyen de me rappeler quels pays faisaient et ne faisait pas partie de l’union européenne à cette époque, je préférai ne pas répondre.

— Laisse-moi deviner, continua la fille, tu as réussi à venir en France illégalement mais quelqu’un t’a exploité en contrepartie de son silence et tu as essayé de le fuir et par manque de chance il t’a frappé et tu t’es évanouie. Ensuite il t’a jeté dans l’eau de la rivière.

C’était un peu tiré par les cheveux… Mais s’ils trouvaient ça crédibles…

— Presque, dis-je avec un sourire triste.

Je devrais être récompensée pour mon jeu d’actrice.

— Mais ne t’inquiète pas ! Nous on va t’aider, dit le brun en m’aidant à me relever.

Bon, j’avais au moins de la chance : ils n’allaient pas joindre une quelconque autorité pour me ramener dans un pays qui n’était pas le mien. Tant qu’ils me croyaient en tout cas.

— Tu vas venir vivre avec moi ! annonça la fille. Je suis dans un petit appart mais j’ai un canapé-lit que tu pourras utiliser le temps qu’il faudra. Par contre, si tu veux avoir des papiers officiels, ça va être difficile… Il faudrait que tu épouses un français, mais même là… la tâche risque d’être ardue.

Mais oui, évidemment ! Professeur Higgs, un éternel, nous avait rabâché qu’il était presque impossible d’avoir des papiers en France à cette époque quand on était étranger. Il avait lui-même essayé de vivre en France pendant plusieurs années. Peut-être que j’aurais l’occasion de le rencontrer dans cette vie.

— Tu devrais te marier avec Vincent ! s’écria le blond. Ce sera peut-être sa seule chance de se marier de toute sa vie.

Ils rirent ensemble et ce moquèrent de ce Vincent pendant une bonne minute.

— Mais dans mon pays, nous n’avons aucun titre d’identification alors je n’ai rien pour prouver quoique ce soit… pas même mon propre prénom.

— C’est quand même vachement français Emma non, pensa à voix haute le roux, sans qu’on l’écoute.

— Ah… malheureusement, tu n’es pas tombée sur une bande de mafieux qui auraient pu te donner une fausse identité, rit le blond.

Je n’avais aucune idée de ce qu’étaient des mafieux mais je fis mine de comprendre et ris avec lui.

— Je ne suis pas sûre qu’elle s’en serait mieux sortie avec des mafieux. Ils ont trop tendance à cogner et poser les questions après.

Elle se serait probablement fait violer.

— Mais je connais quelqu’un qui emploie des gens au noir. Je pourrais lui parler d’elle ! proposa le brun.

— Tu parles de Franc ? demanda la fille.

— Oui.

— Mais oui ! Il a toujours besoin de main-d’œuvre le soir et les week-ends ! En général il prend des étudiants mais je suis sûr qu’il va faire une exception !

Eh bien, les français étaient bien plus généreux au 21ème siècle. À mon époque, on vous aurait jeté en prison si vous n’aviez pas d’identité. Oui, bon, en même temps, tous les enfants depuis 2258 se voient injecté une puce d’identification sous la peau du bras. Si un enfant n’a pas de puce, ça veut dire que sa naissance est illégale. S’il est mineur, il peut se déclarer lui-même à la préfecture et dénoncer ses parents. Mais si c’est un adulte… alors il est responsable.

Personnellement, la coalition me l’a retiré lorsque je les ai rejoints, pour éviter qu’on puisse me trouver avec le traceur GPS qui y était indiqué.

— Je vous remercie sincèrement…

— Pas de problème ! On ne va quand même pas te laisser dans la merde !

Exact, les jeunes des années 2000 étaient vulgaires et mal élevés. Je m’en souvenais maintenant. Quelle belle époque…

— Au fait ! Moi c’est Juliette, là c’est mon frère Jonathan, et nos cousins Gaétan et Olivier.

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