Scène 9 : Jour 2 : Embrouilles et découvertes

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Je me rendis d’abord au domicile de madame Lambert. Elle habitait à Montreuil et avait signalé la disparition de son mari deux mois auparavant.

Les usines fonctionnaient à plein régime, leurs cheminées crachaient de lourdes fumées grasses dans le ciel. Des livreurs se disputaient la place sur la route, les marchandises entraient et sortaient des entrepôts dans un va-et-vient continu et enivrant.

Mon chemin m’entraîna sur les hauteurs de la ville où la campagne s’épuisait à nourrir la capitale. L’adresse se situait à la limite des habitations. Entre usine et champs,

Madame Lambert prenait l’air devant chez elle, entourée de trois marmots. L’un d’eux cria en me voyant et courut se réfugier en haut d’un arbre, le plus grand me toisa, insolent.

Je m’approchai de la maîtresse de maison.

— Madame Lambert, épouse de Jean-Yves Lambert ?

— Vous venez au sujet de mon mari ?

— Oui, j’aimerais vous causer de lui.

— J’ai tout dit aux gendarmes, l’ont pas ramené pour autant.

Sur ce, elle se tourna vers son garçon.

— Louis, va chercher l’oncle Albert.

— Je veux juste savoir ce qui lui est arrivé.

Le petit Louis s’était déjà éloigné. Je doutais que l’oncle Albert se montre amical.

— Qu’est-ce vous voulez ?

— Est-ce que votre mari était bizarre avant son départ ?

— Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?

— Deux de ses collègues ont disparu. Je cherche à comprendre pourquoi.

Elle éclata de rire, je crus qu’elle allait s’étouffer.

— Deux, non mais ! C’qui faut pas entendre ! Y’en a au moins sept à Montreuil qu’sont pas revenus.

— Sept ? Les gendarmes n’ont parlé que de votre mari.

— Quand on a vu que ces fainéants, y f’saient rien, on a arrêté d’aller les voir.

Derrière Madame Lambert, j’aperçus le petit Louis qui remontait le coteau. Il précédait un gaillard d’une cinquantaine d’années armé d’un manche de pioche.

Madame Lambert reprit.

— Maintenant, dès qu’ils tournent pas rond, on les garde avec nous. On laisse plus les jeunes embaucher là-bas.

La brute approchait.

— Quand vous dites, tourner pas rond, ça veut dire quoi ?

— Quand y d’vienne maboul, qui creusent partout et évitent le soleil.

L’oncle Albert arriva à dix mètres, ralentit en caressant son gourdin, le regard hostile. La dame se leva et alla vers lui.

— Vous formez un couple charmant, tous mes vœux de bonheur, leur lançai-je en poussant mon vélo dans la pente.

Je rentrais à tombeau ouvert, l’esprit préoccupé par la nouvelle. Julien n’était pas le premier. Lui et ses confrères semblaient passer par la case démence puis disparaissaient. Pour en avoir le cœur net, j’allais interroger la plaignante de Plantieu. Je ne nourrissais plus d’illusions. Comme d’autres travailleurs du chantier, Julien avait certainement succombé à une curieuse folie, avant de s’envoler.

J’arrivai devant un bel immeuble neuf avec vue sur les buttes Chaumont. Madame Barroche y tenait la loge de concierge. On y pénétrait par une double porte en bois. Sur le côté droit de l’entrée cochère, une petite fenêtre se découpait sur le couloir. J’y frappai doucement.

J’attendis quelques instants avant qu’un des battants ne s’ouvre et que la figure ronde d’une femme entre deux âges n’apparaisse. De ses yeux en forme de bille, elle me scruta de haut en bas.

— Vous désirez ?

— Madame Barroche ?

— Oui, répondit-elle, surprise.

— J’aimerais vous poser deux trois questions au sujet de votre mari.

— Est-ce le commissaire Plantieu qui vous envoie ?

Je ne savais pas si la bonne femme se trompait sur le grade de l’inspecteur ou si Plantieu s’était foutu d’elle. Quoi qu’il en soit, je changeai de plan d’approche.

— En effet, afin de mener à bien son enquête, le commissaire aurait besoin de quelques précisions.

— Entrez, je vous prie.

Elle me fit passer par la cour et pénétrer dans la loge. Un petit pupitre faisait face à la fenêtre, un casier disposé derrière un tabouret débordait de courrier. Une chaise en bois complétait le mobilier. Le réduit sentait l’encaustique et la transpiration, le parfum de la bonne concierge.

Madame Barroche portait une blouse de travail légèrement élimée, recouverte d’un grand tablier blanc. Son visage rond gardait les traces d’une beauté fanée par les soucis quotidiens et la peine récente. Ses yeux gris semblaient vidés de toute énergie.

— Asseyez-vous, je vous prie, proposa-t-elle en tendant une main obligeante vers la chaise.

Je pris place et sortis carnet et crayon. Elle attendit que je sois installé pour me poser la question qui lui brûlait les lèvres.

— Vous avez des nouvelles ?

— Peut-être, madame. Le commissaire Plantieu a exploré une nouvelle piste et souhaite vérifier des détails importants avec vous.

— Je vous écoute.

— Tout d’abord…

— Oui ?

— Avant sa disparition.

Je fus interrompu à nouveau par un sanglot que la brave dame eut bien du mal à retenir. J’attendis qu’elle se ressaisisse puis repris.

— Vous souvenez-vous si votre mari a soudainement changé ses habitudes ?

— Non… pas vraiment.

— Est-ce qu’il continuait à voir des amis, à boire de coups au troquet ?

— Il a jamais vraiment aimé la compagnie, il a toujours été taiseux, même avec nos gosses.

— Vous avez des enfants ?

— Deux, un gars, une fille, ils sont en pension à Vernon.

Je notai à tout hasard l’information avant de poser la question qui m’intéressait

— Est-ce que dans les derniers temps, votre mari s’isolait ?

— Il allait bricoler à la cave, il y passait tout son temps. Quand je lui demandais ce qu’il y fabriquait, il grognait que je verrais bien. Il a jamais aimé qu’on s’occupe de ce qu’il construit avant que ce soit fini.

— Est-ce que je pourrais voir son atelier ?

— La cave, je peux pas vous accompagner, il faut que je garde la loge.

— Peut-être pouvez-vous me confier les clefs et me dire le numéro de votre cave ?

Je descendais à la lueur d’une lampe pigeon que madame Barroche m’avait prêtée. Un sentiment étrange me saisit, il me semblait quitter la lumière pour le royaume des ombres. Les marches grossièrement taillées griffaient mes semelles, ma lanterne diluait son éclairage dans une obscurité dense et poisseuse. L’odeur de pétrole de lampe se mêlait à celle de la terre.

Les numéros tracés à la craie sur les portes de bois s’alignaient le long du couloir. Tout au fond, j’arrivai à la cave des Barroche.

Elle était close par un gros cadenas bien huilé. Une fois le battant poussé, je parcourus les murs du regard sans rien remarquer de notable. Par contre, au milieu d’amoncellement de gravats, une fosse fendait le sol. Je pouvais à peine en percevoir le fond à la faible lumière de ma lampe. Une échelle de bois s’y enfonçait.

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