3. En attendant Paul aux Roches Rouges
Atlande gardait les yeux fermés. Elle enroula ses jambes dans les draps chauds comme une caresse sur la peau nue et roula son buste en position foetale. Les rayons du soleil de juillet perçaient les stores et éclairaient de fines rayures de poussières sur le parquet blond de la chambre.
Elle se dit que la chambre n’était ni nuptiale ni parentale. Les idées s’embrouillaient dans le cerveau qui refusait d’implémenter une information. Problème d’encodage. Le bug avait-il surgi la veille au soir sur la terrasse lors du dîner dégustation ? Atlande remontait chronologiquement dans un effort important le fil des informations. L’éclat de la Méditerranée ? La moto qu’elle conduisit pour revenir aux Roches Rouges ? L’absence de regard de Paul ? Mince. Elle glissa sa main dans le lit à plusieurs reprises. Celle-ci ne rencontra que l’espace de fraîcheur créé par l’absence du corps endormi. C’était bien cela. Paul était parti. Atlande ouvrit les yeux éblouis par le blanc du mur à la chaux en face comme une claque. Pas même une aquarelle pour adoucir la banquise du mur. Son regard erra à la recherche d’un focus sur un point de fuite. Et la douleur pointa son stylet dans les tempes.
Une migraine. Ce n’était pas le moment. Elle devait appeler Karl. Son portable vibra. Elle avait reçu plusieurs appels en absence. Aucun de Paul. Cela attendrait. Quel jour était-on ? Sa cafetière programmée Jura lui manqua dans l’instant. Un café, voilà ce qui chasserait migraine et mélancolie. Peut-être même que les souvenirs contrariants ressurgiraient avec la caféine. Elle se leva nue drapée dans le drap blanc telle une toge. Dans la salle de bains, elle tourna le robinet de la douche italienne et laissa couler l’eau tiède en pluie fine sur sa tête renversée, sa poitrine, ses épaules et la cambrure de ses reins. L’eau pure, l’eau lave, l’eau chasse. Chasseuse, c’est elle qui était chasseuse. Ce moment de doute avait creusé un sentiment de contrariété qui semblait bien vouloir s’évaporer avec les vapeurs d’eau.
Les idées plus claires, Atlande saisit son portable et ses écouteurs AirPods. Elle pouvait ainsi engager une conversation avec Karl tout en enchaînant quelques mouvements avec ses petites altères qu’elle emportait partout avec elle. Réveiller les muscles pour sentir le contrôle infuser et triompher dans les chairs musclées. Le jour pouvait se lever.
Lorsqu’elle raccrocha d’avec Karl après lui avoir mis la pression pour le montage des clips vidéos des huiles solaires qui devaient être prêts à son retour ce soir à Paris, elle regarda enfin l’heure affichée sur le portable. 13H. Quelque chose ne tournait pas rond dans la banquise fondue de la chambre.
Elle jeta ses affaires dans la petite valise cabine. Observa la trousse de toilette de Paul ouverte sur le rebord de l’évier. Aucun appel de sa part. Qu’était-il allé explorer comme recoin rocailleux ? Un besoin de marcher ? Les derniers mois depuis le décès de sa mère avaient installé une chappe de plomb qui aspirait à l’intérieur du couple toute communication ou conversation badine, légère, futile, voire même fonctionnelle, tu me sers un café, serré ? Les nuits étaient agitées. Paul se réveillait souvent. Elle l’entendait arpenter l’appartement parisien, s’écraser en boule dans le canapé, quand il ne laissait pas tomber par maladresse la boite métallique du café. Elle s’était habituée aux escapades nocturnes soit disant pour la laisser dormir. Soit, mais là il était 13h. Il fallait confier la moto au transporteur qui la remonterait en camion, tandis qu’ils prendraient le train de 17h40. Quelque chose clochait. Atlande se dit qu’elle trouverait Paul sur la terrasse probablement mi taciturne mi boudeur. Il n’avait pas aimé les artichauts violets au repas.
Un haut le cœur la saisit. Combien de coupes de champagne rosé avaient glissé les artichauts violets dans le gosier ? Quelle idée avait-elle eue de boire ainsi. Le champagne était bon, sec, frais, sur le plat de la langue et le pétillant éclatait au palais. Atlande ne buvait pas d’alcool d’ordinaire. Ce weekend sur les côtes de l’Estérel n’était pas ordinaire.
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