Née sur des silences ?
Je m'appelle Louise !
Et je suis née déracinée.
Depuis toujours, J'ai ce sentiment en moi d'être déracinée. Mon identité se base sur des silences, des non-dits ou des vérités dissimulées. Mon cœur et mon âme, sont déséquilibrés.
j'ai l'impression tenace de venir d’ailleurs. Ma peau est claire, mes cheveux ni crépus ni frisés mais mon sang est bien celui d'une métisse.
Je puise ma nature dans mes racines berrichonnes et bretonnes par mes grands-parents maternels. Par contre celles du côté de mon père s'avèrent très floues.
Mon paternel n'évoquait jamais son pays, au grand jamais. Je sais seulement qu'il venait de Tunisie, où il naquit, vingt ans plus tôt. Mais de quelle manière est-il arrivé en cette terre promise, nul ne le sait. Mon imagination fertile envisage une traversée sur le radeau de la méduse, ou à bord d'un zodiaque surchargé affrontant les caprices de la mer, ainsi que ceux des passeurs malhonnêtes, et combien non pas survécus à cette épopée.
Sans doute, a-t-il tout fait, volontairement, pour effacer les traces de sa propre identité, créant ainsi un secret de famille lourd à porter pour une petite fille et bien davantage encore, une fois devenue femme.
Peut-être par peur du racisme, et du rejet. Il porta même son deuxième prénom, André, car le premier Amédée ne lui convenait guère, encore moins celui d'Ulysse imposé en troisième position.
Ne rien dire, ne pas faire de vague. Je ne l'entendit jamais s'exprimer dans une autre langue que le français, pourtant je sais qu'il comprenait l'arabe. Etait-ce un exil, une volonté de sa famille de venir vivre en France ? Il semblait si difficile à décoder. Il parlait peu, en homme dur. Bel prestance, mais sévère.
Cette part de moi-même recèle une énigme, disparue à son décès.
J'ai de rares souvenirs de sa famille. Ma grand-mère paternelle, dont le prénom s'égara au fil des années, cuisinait beaucoup de desserts du maghreb comme les cornes de gazelles, les nids d'oiseaux, baklavas ou autres loukoums. Josepha remonte à la surface de ma mémoire à ce moment.
J'adorais toutes ses pâtisseries, trop sucrées à mon goût. Je me régalais en dégustant ses plats de couscous ou de tajines toujours bien dosés en épices. J'eu l'occasion depuis, lors de visites de marchés, de salons ou même foires-expositions de repérer les stands de ces aromates par leurs odeurs qui venaient me chatouiller les narines.
Cette grand-mère s’enduisait les cheveux et les mains de henné. Lorsqu'elle s'appliquait, je trouvais le résultat joli. Mais il faut avouer que ce n’était pas toujours le cas.
Je suis donc née amputée d'une partie de mes racines, pourtant bien présentes, mais j'en ignore la provenance. Je ressemble à ces plantes dont les souches poussent hors de leur terre. Je me sens la fille illégitime d'ancêtres nomades, comme les Touareg, d'afrique du Nord et d'Afrique du sud, ou d'Inde avec Gandhi. Egalement des Amériques ou plus précisement ce lien avec les amérindiens et toutes les tribus chassées de leurs territoires. Peut-être un peu geishas, aussi.
Ce métissage, même caché et inavoué fit de moi quelqu'un d'ouvert, curieuse de bien des cultures.
Je me perçois pareillement à une personne de couleur. Je réagis aux odeurs de cuisine, de tanin, de cuir, aussi. Je bouge, je vibre lorsque j'entends ces musiques aux sonorités de l’Orient, portées par les voix des femmes, ou les trompettes comme celle d’Ibrahim Maalouf. Elles résonnent en moi. Je les ressens au plus profond de moi et me voilà alors transportée vers ces horizons où un lien, indéniable, viscéral demeure.
Je peine à arrimer mon identité à un seul port d’attache, alors, je trouvais ce terme de beurette salée, pour me définir.
- Je suis une beurrette salée ! "
Je surnomme ma maman Mamouna, par connotation orientale, elle aime bien, je le sais, selon elle donc, elle connu mon père vivant dans un camp de réfugiés, où il arriva depuis quelques semaines auparavant.
Un jour, elle céda à ses avances, et devant la pression des parents, ils durent se marier. La cérémonie eut lieu en novembre et moi, petite Louise, je pointai mon nez un mois après. Mamouna avait du faire un déni de grossesse, car rien ne laissait présumer la présence d’un petit être sous son joli tailleur jupe de couleur blanc.
Que dire de mon père qui me revienne à présent. il arborait une attitude machiste, et anti féministe, cela va de soi. Il ne se prêtait à aucune tâche ménagère, regardant cela du haut de sa superbe, cela eut été pour lui, dégradant et humiliant. Et quand il s'agissait de s'occuper de sa fille, il n'était que reproche, à son égard maniant plus que de raisons les coups de règles sur le bout des doigts.
Il se comportait violemment également avec Mamouna. Je garde en mémoire des bribes de disputes, des scènes de ménage, et d’objets balancés avec force dans sa direction.
Je me rappelle un soir, fort tard, réveillée par leurs disputes et les cris de ma mère. Je me levais et me cachais derrière la porte de ma chambre. Je l'entendit rugir qu'il finirait par la dresser. Je tus en moi longtemps cette souffrance.
Je suis née avec cette fragilité, ou était-ce une sensibilité. J'en pris conscience voici quelques temps. Je travaille sur ces ressentis au quotidien et j'y puise ma force. Je confiais toutes mes peines, sans exception, à Gilles, mon amoureux, mon mari, mon confident.
Il m'a écoutée, entendue, prise dans ses bras.
***
Les douleurs se transforment en joie et d'autant plus quand je les partage.
Nos routes se croisèrent, et nous sûmes de suite que nous étions faits l'un pour l'autre, comme une évidence. Deux âmes soeurs qui se retrouvaient enfin.
Nous étions déjà en couple l'un et l'autre, chacun de notre côté, et donc pas libre. De plus Gilles était papa d'un petit garçon. Notre histoire évolua, avança avec toute la patience possible, pour ne pas trop déchirer nos conjoints respectifs.
La création, que j'exprime par le dessin, voire la peinture quelque fois, ressemble pour moi à une thérapie, sur mon chemin de vie. Une réconciliation avec moi et le monde, et même ceux qui me blessèrent d'une manière ou d'une autre. Surtout ça me permet d’explorer ma fragilité, ma sensibilité, de la maitriser. De transformer toutes ces sources de violence, et de les convertir en une paix intérieure. Je m'affranchis aujourd'hui de ce manque. Le puzzle de mes ancêtres restera incomplet, et j'assume, davantage les difficultés que cela représente.
Je n’ai jamais senti le besoin de retranscrire mon arbre généalogique. Je savais pertinemment que les branches paternelles et maternelles resteraient scellées. C’est ainsi, ce n'est pas grave ! J'appris à avancer sur mon chemin, avec les miens. Je me sens d’ici. Etre née quelque part, d'ici et d’ailleurs à la fois. Et cela m'apporte une grande ouverture d'esprit, il me semble.
Mon amoureux lui, donne libre cours à l'écriture, à la musique, sous plusieurs formes. Un jour peut-être arrivera-t-il à écrire sur toutes mes déchirures, mes failles, ou mettre en scène ou en chanson tous ces morceaux de vies.
Loin de moi l'idée de juger mes parents. Je compris que c’était leur propre histoire.
Avec le recul, je constate que ma mère fut réellement amoureuse de l'homme qui partagea sa vie, mais que lui, en retour n'a peut-être jamais compris pas la signification du mot Amour.
Il y a peu de temps, Gilles, partit en mission, pour son travail, en Tunisie, à Sfax.
Il me raconta, me montra des photos, et en un sens, la boucle se referma. A travers lui, j'ai trouvé mon ancrage. Mon amoureux est mon arbre, et sans doute, moi le sien, je peux m’appuyer sur lui, tout contre lui.
Moi, je suis l'érable chargé de feuilles aux cinq doigts, tout comme notre petite famille.
Et il me promet que nous irions en vacances tous les cinq. Découvrir la mer à Sfax, ainsi qu'à Djerba, si le temps nous le permet. Admirer toutes ces maisons blanches, aux grandes portes bleues, typiques de l'architecture mauresque, recouvertes de laurier rose de part et d'autre. Traverser les rues aux senteurs de jasmin. Et une randonnée dans le désert, à l'entrée du Sahara serait-ce possible ? Un peu comme "la nuit de feu", ce récit que je relis régulièrement et qui me touche au plus profond de mon être.
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