La Renaissance
Louise pose son pinceau, recule de trois pas pour contempler le tableau qu’elle vient de terminer. Une vague de bien-être l’envahit. Plus que ça même, la satisfaction du travail accompli. Elle pourrait rester des heures à regarder la toile, pour s’imprégner de cette douceur vive.
Dans la solitude de son atelier, elle admire l'énorme rayon de soleil qui illumine la pièce et la rassur e. Elle ne sait pas peindre sans lumière, aucune inspiration ne jaillit de son âme, de sa tête, de ses doigts.
Tenace et persévérante, elle essaya à plusieurs reprises, mais sans l'éclat du jour, son tableau reste despérément vide. Ses yeux ne voient l’hiver qu'en couleur sépia. Elle ne cerne pas, et ne peut traduire cette saison avec ses pinceaux.
Aujourd’hui elle reçoit ce cadeau de la nature, un présent de la vie. Louise sait le reconnaitre. La luminosité dans toute son ampleur envahi son lieu ressource.
Une renaissance à chaque fin de l’hiver, ou au début de printemps. Une énergie la submerge comme si elle sortait d’une profonde hibernation créative.
D’autant que son séjour aux urgences, quelques jours auparavant, la perturbe encore. Toutes ses pensées vont vers cette pauvre femme, agressée par son mari violent, avec qui elle partagea une nuit.
Ce matin, réveillée à l’aube, Louise ressent, en s’étirant, cette vitalité traverser la plante de ses pieds pour envahir chaque atome de son corps.
En conscience, elle perçoit ses chakras se réveiller en elle. Louise maitrise les couleurs associées à ces roues d’énergie et ses centres de lumière au nombre de sept, dont elle découvre les secrets à force de méditation. Ses pieds, ses mains, fourmillent comme un appel, auquel elle sait qu'elle doit répondre.
Sans bruit, elle se lève, enfila sa blouse déjà maculée des résidus de couleurs de l’an passé.
Son chakra de la connaissance la picote, elle visualise son tableau final, très coloré. L’inspiration nait de cette énergie douce, et nourrissante. Elle la reconnait. Elle apprend au fil du temps à ressentir ses émotions. Elles se manifestent de différentes manières. Librement exprimée, un moment apaisant, de pleine conscience reliant son âme à son cœur ou vice versa.
Louise ne s'explique pas cette sensation.
Elle installe et ajuste son casque sur ses oreilles, recherche dans sa playlist une musique de China Moses-Crazy Blues- Mais ce pourrait être Michel Petrucciani ou Ray Charles, et pose son chevalet devant la grande baie vitrée.
« Non, deux pas sur le côté droit, là ! voilà l'endroit idéal » pense-t-elle.
Elle sait que personne ne la dérangera. Gilles, son mari depuis quelques années déjà, gérera les enfants. Il lui dédia cette belle véranda quand ils achetèrent la maison. Lui s'appropria un petit bureau à l’étage où il écrit dans la soirée. Ils respectent chacun leur temps d’isolement, de créativité pour mieux se retrouver plus tard, et parler de leurs passions.
Pour commencer, elle regarde la toile, pour s’en imprégner. Elle ne remarque pas tout de suite que la couleur parme, pour ne pas évoquer le rose pastel, la recouvre en totalité, tel un monochrome. Sa surprise passée, elle décide de la garder, et accorde sa confiance à son intuition première.
Louise prépare sa palette de couleurs, ses outils, comme si le décor extérieur reflétait son imaginaire, elle se livre dans des jetés de nuances. Elle lance son pinceau, ses brosses, tour à tour, maculés de gouaches, telle une virgule, telle une apostrophe, avec vivacité.
Le geste souple, fluide dessine des arabesques semblable à la baguette d'une cheffe d’orchestre. Un chant harmonieux se glisse dans sa tête créant des vibrations qui inspirent son pinceau.
Louise pense à ses inspiratrices.
Elle s'identifie à l’école de Nicki de Saint Phalle, et surtout de Yayoi Kasuma, avant-gardistes, pop. Mais en aucun cas elle ne les copierait. Au bout de son bras, de ses doigts, elle dépose un arc en ciel de ponctuations colorées qui éclate dans son décor tout rose, et se retrouve sur son chevalet.
Sa couleur fétiche remplie ses yeux. Dans toutes ses nuances et déclinaisons. On va oublier de suite l’unique et infime trace de ce vert bouteille qui lui déplait fortement pour observer ce vert amande si doux à son œil ainsi que ce vert pomme déposé avec grâce ou même ce vert émeraude rappelant le cadeau fou de son amoureux doublée de l’aventurine qui la caractérise, et obtenu aussi.
Elle explose de joie, et accueille sa renaissance comme à chaque fin d’hiver.
Louise se sent… vivante, si vivante, heureuse.
Soudain, elle entend la porte vitrée coulisser.
Gilles, s’engouffre dans la véranda suivi de leurs trois petits monstres, et lançe un sifflement
d’admiration.
Sifflement qui vaut autant pour Louise que pour sa toile qui illumine la pièce.
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