Mamouna

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Je m’appelle Andrée !

Mais je suis sa Mamouna pour ma fille Louise. Elle me surnomma ainsi très vite. Tout de suite je trouvais ça un peu bizarre, et en même temps plein de douceur. Et, à la naissance de ses enfants, je les ai laissé utiliser ce doux surnom.

Je trouve la journée d'aujourd’hui pénible, et au bout de quelques heures je m'installe enfin sur ma banquette, dans ma petite pièce que je nomme mon boudoir. Je feuillette ma revue préférée quand un article en gros titre pose une question. Me pose la question ! Je me l’approprie, c’est à moi que le magazine s’adresse !

"Que faites-vous en ce moment" ?

En découvrant ce titre en évidence en pleine page, j'ai le sentiment qu'il m'est destiné.


Oui qu’est-ce que je fais en ce moment ?


Je profite alors de ce moment de calme pour y réfléchir. Je répondrais d'emblée que je procrastine.

Non, en fait, c'est faux.
Je lâche prise avec le monde du travail ! quarante-six ans que je mis les pieds à l’étrier !
Je peux me poser un peu.
Je range, nettoie, trie, lave, dépoussière, comme si je m'imposais une détox à ma maison. Mon corps et mon mental en auraient bien besoin aussi.

Il m’arrive de tricoter, ou de regarder les oiseaux voler au-dessus de l’eau.
Je dresse un inventaire de choses à effectuer dans la semaine en cours et je m’y tiens sans m'infliger de contraintes ou un planning précis. L'ordre importe peu. Et le week-end, fière d'avoir accompli cette performance, et quelques fois plus, je me félicite.

Je peins les galets ramassés durant les vacances de l'été dernier, en Bretagne avec les enfants.

Je prends un grand plaisir à les chercher...Marcher dans l’eau devient mon activité préférée pendant mes congés.

Durant ce moment d'évasion, mon esprit parait tranquille, apaisé. Je me sens au bon endroit. Le simple fait de cueillir ces pierres érodées par la mer, et qui semblent venir à moi me procure un bien immense.

Je les regarde, les examine, les ausculte, les caresse, les polis, tous différents, plus beaux les uns que les autres, je ne vois qu’eux. Ils me donnent un sourire jusqu’aux oreilles en imaginant que je les reprendrais par la suite pour les façonner, les colorer, leur donner vie, les offrir ou les garder en décoration.

Je lis, ou du moins j’essaie, mais je n’y arrive plus depuis longtemps.

Quelle désillusion !

Nous jouissions de nos vingt ans, l’un et l’autre, et une vie ensemble s'offrait à nous !

J’ai été échaudée, on peut l'affirmer comme ça, et je me refuse de me retrouver dans la même situation qu’avec le père de Louise.

J’ai tant peiné à survivre, à tout surmonter, et il le fallait, pour Louise.

La douleur si forte, qu’il m’était difficile de l’expliquer, de m’en libérer, de la partager, surtout à mon amie Solange, partie depuis plusieurs mois déjà. Je n'arrivais pas à poser les mots, juste parce que je lui en voulais de m'avoir abandonnée.

Je dû trouver en moi des ressources insoupçonnées. Aujourd'hui j’ai le sentiment d’avoir traversé une tempête, un tsunami. Et ce lit qui fut une rivière d’amour et de tendresse se transforma au fil des années en simulacre d'havre de paix. Puis s’en est suivi un assaut violent et cruel. Après cette agression, je pris la ferme résolution que plus jamais mon mari ne me brutaliserait.

Au petit matin de cette nuit là, ma décision fut prise de le quitter ! Je me devais d’être une femme forte et combative !

Dans ma tête, les abus, les agressions sexuelles, se passaient dans la rue, par des inconnus.

Pas chez moi. Pas dans mon couple.

Pas dans mon lit.

Impossible de sortir indemne de telles violences physiques, morales, humiliantes, rabaissantes. Je vis avec la sensation d'être une vieille serpillère grise malmenée et très usagée.

Même si je réussi à le quitter, les dégâts toujours présents, énormes, me pesent.

Je reste droit dans mes bottes, je l’ai aimé jusqu’à ce que ma dignité me conseille d’arrêter…

Après tout, il faut bien que je me mette dans le crâne que la responsabilité de cet échec n'incombe pas à moi seule. Je voulais tant l’aider, voire le guérir, avec amour, bienveillance, respect. Et moi, j'attendais de la paix, de la sérénité et surtout être aimée.

Comme toutes les petites filles, enfant je rêvais d’un prince charmant, un peu identique à mon père. Normal, non ! Mais pas d’une bataille perpétuelle pour maintenir la tête hors de l’eau de ce faux seigneur. Il fallut, au contraire, soigner ses démons que je ne réussis jamais à identifiés d’ailleurs, mais en réfléchissant bien les connaissait-il lui-même ?

Cette relation toxique m'épuisait, mais comment arrêter ce calvaire,, comment partir, que penseront les amis, les voisins. Et Louise, de quelle manière réagira-t-elle ? Elle assista à tant de disputes, de violences. Mieux vaut quitter ou rester ? Ce débat infernal au quotidien dans ma tête m'empêchait de trouver une issue .

Et puis, comme une évidence, ce fut maintenant !

je pus compter sur mes parents, présents à mes côtés. Je me réfugiais chez eux, dans un premier temps. Ils ne posèrent pas de questions. Et mes yeux ne pleuraient plus. Mon père trimait encore à la malterie, et ma mère effectuait des ménages dans un garage. Le matin, elle emmenait la petite à l’école, sur son chemin, et le mercredi, elle la déposait à la nourrice, proche de son boulot.

Et moi j’exerçais le métier d’ouvrière en confection pour une marque renommée. J’œuvrai l'ensemble ma carrière, pour un salaire de misère. Je connaissais tous les rudiments de toutes machines, chaque étape d’un vêtement, poste par poste. Je ne trouvais jamais la force nécessaire pour évoluer ou changer d’activité.

Le week-end, quand le temps le permettait, nous partions tous les quatre dans leur jardin, loin de leur maison et nous y passions une bonne partie de la journée. Au calme, à l’air libre, nous nous réconfortions, ma petite et moi. Je pansais mes douleurs, mes maux, de cette façon, en les enfouissant dans ma poche, mon mouchoir par-dessus.

Un jour, peu de temps après notre départ, très énervé, le père de Louise vint sonner à la porte, chez mes parents, une carabine vingt-deux long rifle à la main. Maman prit rapidement la petite dans les bras et elles restèrent ensemble cachées dans la chambre.

Lui, criait, me hurlait de revenir à la raison, que je me rendais bien compte que je ne pouvais pas vivre sans lui.

Je restais calme dans un premier temps, en lui demandant de partir. Il me lança un regard noir, et me balança :

« -t’as vu comment tu te fagotes, ma pauv’e fille ? Tu ressembles à rien » !

Et d’enchainer, sans me laisser le temps de répondre :

« -Pour qui tu te prends, de quitter ton mari ? c’est pas toi qui décide » !

Et de continuer ses calomnies déferlant sur mon père qui n’en croyait pas ses oreilles et restait muet devant de tels propos injurieux.

Ni une ni deux, Je le regardais bien en face, et le menaçais de porter plainte à la gendarmerie, d’aller voir son patron pour raconter ce qu’il m’avait fait subir.

Je l’attrapais par la manche, et le poussais vers sa voiture !

« -Tu perds rien pour attendre » ! m’a-t-il vociféré à la figure. D’instinct, je mécartais

rapidement de son chemin, son démarrage en trombe, m’aurait écrasée sans scrupule.

Je n’en menais pas bien large, mais je l’affrontais, et il ne revint jamais . En rentrant, je tremblais comme une feuille.

Il ne donna plus signe de vie, sauf un courrier d’insultes qu’il m’envoya à plusieurs reprises, où il reniait toutes les années passées ensemble et surtout il utilisa le vouvoiement. Cette forme de mépris m’anéantie. Je sais que c’était le but recherché, mais quelle horreur cette lettre, j’en vomis une bonne partie de la nuit . Au petit matin, je pris la décision de ne pas répondre.

Il en envoya tout de même trois autres. Je les brûlais dans le poêle à charbon de mes parents. Une histoire d’amour salit, comme s’il crachait dessus, partie en fumée.

Nous divorcâmes cinq ans après. Il retarda au maximum, ne paya pas de pension pour Louise, et ne réclama pas non plus sa garde, à mon grand soulagement. Je n’aurais pas été tranquille.

Je souhaite que ce ne soit qu’une pause, une parenthèse. L’être humain se réalise à deux. Partager, échanger, aimer…, se lover dans l’épaule d’un homme et souffler, se détendre, être aimée.

Tout au fond de moi, je voudrais avoir droit avec un amoureux à ces instants de tendresse, comme pour effacer ce vécu si lourd.

Je reste persuadée que seules les femmes entretiennent la flamme, et que les hommes se laissent vivre…Je me surprends à imaginer que dans une autre vie je me laisserai aimer par la gente féminine pour y puiser tout l’amour dont on a besoin pour avancer au quotidien sur le chemin de son destin.

Voilà bien longtemps, très longtemps, étant jeune, j’étais une femme solaire. Au fil des agressions verbales, psychiques de mon mari, je me suis éteinte petit à petit, je m’en rends bien compte.

Peut-être ne me faudrait-il pas grand-chose ! De l’attention, de la tendresse pour rallumer la flamme de cette femme que j’étais, ranimer la vie en moi.

Oh la la ! Mais qu’est-ce que je raconte ! Depuis quelque temps, je ne me sens pas bien, bizarre pour tout dire. Je peine à réfléchir, à me concentrer. Mon esprit vagabonde à vitesse grand V. Je me surprends même à fredonner ! Et pour couronner le tout, des papillons virvoltent dans mon ventre, et je plane ! Quel drôle de sensation, j'éprouve de la honte à l'avouer.

Je me souviens avoir pensé à cette période là : Fontaine, je boirais plus de ton eau….mais que m'arrive-t-il ?

Je ne pensais pas que cela pouvait m'arriver de nouveau !

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