Je suis l'amie Solange

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Moi je me prénomme Solange ! L'amie de longue date d'Andrée.

Elle a toujours été là pour moi, et sait tout de moi.

Nous nous connaissons depuis l'enfance, à la primaire. Notre entrée au collège s'effectua ensemble. Cette grande école, qui nous terrorrisait, nous l'affrontâmes main dans la main. Nous nous sentions plus fortes. Assises l'une à côté de l'autre en cours, faisant bien attention de ne pas trop bavarder pour ne pas être collées. Nous rentrions et révisions nos leçons toutes les deux. J'aimais les maths et sa préférence de loin, allait vers le français.

Nous formions un drôle de duo, deux inséparables, et confidentes, à l'envi. Andrée, la belle et grande jeune fille aux cheveux châtains clairs, qui voulait croquer la vie, et moi, la petite brune, un peu boulotte, de nature réservée, qui n'osait rein entreprendre.

Nous nous complétions. Rien ne pouvait nous séparer.

Notre amitié semblait indestructible.

Ados, nous partîmes en vacances ensemble, dans ma famille, en Touraine.

Les parents de mon amie mirent beaucoup de réticence à accepter de la laisser partir avec moi. J'allais souvent chez eux, pour jouer ou pour les devoirs. De mes yeux d'enfants, ils représentaient tout comme mon père et ma mère, un couple soudé, aimant, et très protecteur. Trop me semblait-il, envers leur fille, leur petite dernière. Ils discutèrent avec mes propres parents, et après avoir compris qu'ils pouvaient accorder leur confiance, finirent par donner leur aval.

Ma tante et mon oncle possédaient une grande ferme, et une main-d’œuvre supplémentaires en ces périodes estivales les aidaient. La vie leur refusa un enfant, à leur profond désespoir. Ils en souffraient, l'un et l'autre, mais s'abstenaient d'en parler.

Tantine Ernestine, tenait l’exploitation d’une main de maître. Je l'admirais, au fond de moi, cette femme forte, avec autant de caractère, que d'embonpoint. Concernant Céleste, nul besoin de gratter beaucoup sa carapace de bougon qu'il s'imposait, pour découvrir la gentillesse de ce petit homme doux et jovial, aux cheveux grisonnants. Toujours aux petits soins pour mon amie Andrée et pour moi.

Notre jeunesse reveillait cette grande bâtisse, et leur procurait beaucoup de bien. Ils n’osaient pas l’avouer tout haut, mais quelquefois nous percevions derrière une réprimande, leurs sourires de connivences.

Nous aimions nos tâches quotidiennes, et nous supportions très bien les différentes odeurs de la ferme. Notre courage, à l’une et l’autre se valait. Nous nous mettions au défi de traire le plus de vaches, de remplir le plus de seaux de lait, en prenant grand soin d'être adoites et de n'en renverser aucun.

Nos après-midi à garder les moutons étaient nos moments préférés. Nous gambadions comme des folles. Nous nous sentions libres, heureuses.

Un jour, l’oncle nous glissa à l'oreille la tenue d’un bal au village, le samedi suivant. Nous sautions de joie à cette annonce, et voulions nous y rendre mais la tante Ernestine nous accabla de recommandations à propos de possible et d'imaginable pour des jeunes filles comme nous, innocentes et fofolles.

Je me souviens, comme si c'était hier, de notre énorme déception en voyant Tantine quitter son grand tablier blanc, mettre son vieux chapeau du dimanche, bref, se préparer pour nous accompagner tel l’indispensable chaperon. Le pauvre oncle Céleste subit la colère de sa femme pour nous avoir informé de cette distraction. Nous nous regardâmes, Andrée et moi, en fronçant les sourcils. A cause de notre caractère un peu "soupe au lait" de l'époque, nous manquâmes de rester ici, par pur contrariété.

Et cette rencontre avec ce beau jeune homme qui deviendra mon époux, quelques années plus tard, ne se serait pas produite.

Il réussit tout de même à m'inviter pour une unique valse, notre escorte étant allée discuter avec une amie. Quand elle se retourna et vu sa nièce danser, elle m'attrapa par le bras et s'empressa de rentrer à la ferme illico presto.

Bernard, un bel homme aux cheveux chatains bouclés et la silhouette musclée, travaillait à la ferme voisine, et nous aperçût, quelques jours plus tôt, gardant le troupeau. Le lendemain, il jeta un coup d'oeil aux alentours pour voir s'il pouvait se risquer à avancer. D'un pas léger, un bouquet de bleuets et coquelicots à la main, d'un air timide, me le tendit.

Nous discutâmes un peu, juste le temps de lui apprendre que nos vacances se terminaient dans deux semaines. Le surlendemain, il me retrouva au même endroit avec une gourde rempli de limonade. Cette fois-ci, j'osais l’interroger sur lui, son travail, ses parents. Notre manège dura quelques jours, et puis, un après-midi, aucune nouvelle.

Andrée voyait bien, que moi, sa grande copine je m' inquiétais, en faisant les cent pas. Je finis par découvrir un petit mot caché sous un gros caillou près du lieu où nous prîmes l’habitude de nous asseoir.

— « Je dois partir quelques temps à Angers, pour aider ma mère, puis je rentre à l’école Normale pour devenir instituteur. J’espère que nous nous reverrons bientôt. »

Nous nous retrouvâmes l’été suivant, puis encore celui d'après. Beaucoup de discussions avec les moutons comme témoins. Plusieurs bals champêtres, des billets doux cachés avec soin sous cette pierre qui porte désormais nos initiales. Entre ces étés de retrouvailles, nous échangions des courriers qui nous apprirent la patience, et creusaient ce manque l’un de l’autre.

Un après-midi, Bernard sonna à la porte de mes parents. Salua mon père, offrit à ma mère une belle composition de fleurs exotiques et il leur demanda l’autorisation de me fréquenter. Ses bonnes manières les séduirent et les impressionnèrent.

Cette année-là, mon adorable prétendant partit au service militaire. Notre correspondance épistolaire s’avèra prolifique. Sauf que les missives que recevait Bernard ne provenaient pas de mon esprit romantique mais de celui de mon amie Andrée. Je lui consignais en deux mots mes ressentis et elle traduisait mes sentiments un peu bruts sur un brouillon, en une version douce et chaleureuse, sentimentale, que je m'appliquais à recopier, impressionnée par les tournures.

Nous nous mariâmes au printemps suivant. Ma précieuse amie, comme témoin de cette belle idylle, prometteuse d’une longue vie ensemble. Ernestine et Céleste fîrent le déplacement pour les noces de leur nièce chérie.

Tout se déroulait comme sur un petit nuage pour ce beau couple que nous formions. Egalement, dans le cadre professionnel car Bernard obtint une mutation dans les Iles, en Martinique, "à la pointe du Diamant".

Je sais, que le cœur d'Andrée, connut un énorme déchirement, une peine immense. Elle se refusa à m'en parler, de peur que je me sente retenue. Mais moi aussi, mon chagrin s'avera des plus profonds. Je partais vers des horizons complétement inconnus, ainsi qu'une vie à deux, même si je suivais de plein gré mon cher mari.

Nous correspondîmes quelques temps, je lui relatais mes longues journées à attendre mon tendre époux. La chaleur m'incommodait de plus en plus. Je m'occupais en prenant des cours de cuisine antillaise. Les lettres à l'époque, pour mon fiancé, écrites par Andrée, de quelle manière aurais-je pu décrire mieux mon quotidien à mon amie ? Puis mes courriers se fîrent discrets, et se transformèrent en une unique carte de nouvel an, formulant le vœu de se retrouver bientôt.

Et un jour, Je lui annoncais la bonne nouvelle ! Notre retour pour la prochaine rentrée. Enfin, de nouveau réunies.

***

J'ai toujours été là pour elle, je crois, j’espère !

Je lui servais d'alibi quand elle avait rendez-vous au centre d'accueil des immigrés, avec celui qui deviendra le père de sa fille.

Et plus tard, et de manière naturelle, je suis devenue la marraine de Louise.

Je me souviens du jour où Andrée rencontra son futur mari, un beau matin de février. Elle sortait d'un magasin d'alimentation dans le centre ville, et d'un coup une voix masculine l'interpella et lui proposa de lui porter ses courses. Elle leva ses yeux clairs qui plongèrent dans les siens, presque noirs. Un grand et bel homme brun lui prit ses paquets, et l' accompagna jusque chez ses parents, à quatre rues de là.

Mon amie préféra reprendre ses achats bien avant sa maison, par peur d'être vue, puis le remercia et ils en sont restés là.

Quelques temps plus tard, elle le reconnut devant ce même magasin, à croire qu'il l'y attendait chaque jour. C'est aussi ce qu'il lui confirma. De nouveau, il porta galamment ses courses. Ils bavardèrent sur le chemin. Andrée lui raconta son dur labeur à l'usine de confection où nous travaillions toutes les deux, lui parla de notre amitié, et ses parents très strictes.

Le surlendemain, elle aperçut cet homme faisant les cent pas à la sortie de l'usine, tirant nerveusement sur sa cigarette. Elle se dirigea vers lui, un sourire aux lèvres, espérant que ce soit elle qu'il attendait. Ils marchèrent une bonne heure, sans trop savoir où ils allaient. Il lui proposa un rendez-vous le samedi suivant, au bal de la fête de Bel-air. Bien sûr, ma copine répondit oui, flattée, et surtout parce qu'elle aimait bien danser. Sans réfléchir une seconde à la façon dont elle allait présenter la chose à ses parents.

En fait, Andrée me prit, moi sa fidèle amie comme alibi, certifiant que je voulais aller au cinéma, voir un film dont toutes les copines parlaient, mon frère se proposant de nous accompagner. Ils finirent par accepter, après les maintes demandes suppliantes de sa part.

Elle s'amusa au bal. Il dansait avec beaucoup d'aisance son beau brun affublé du même prénom qu'elle, au masculin. Je voyais bien qu'elle profitait du moment, ne pensant qu'à se distraire. C'était agréable. Il la raccompagna jusqu'à la porte de sa maison, avant l'heure imposée par sa mère. Andrée rayonnait sur son petit nuage.

Ils se revirent les jours suivants, mais elle se rendit bien vite compte qu'il parlait jamais de lui. Andrée savait peu de choses. Il travaillait dans une usine de métallurgie, à la sortie de la ville. Il allait passer contremaître d'ici quelques semaines. Il était aussi l'ainé d'une fratrie onze frères et soeurs, dont quatre jumeaux. Elle remarqua sa belle allure et son air typé.

Au fil des jours, des semaines, ils s'appréciaient beaucoup, elle aimait cette frivolité, je crois. Il la charmait avec l'aide de son harmonica.

Ils allaient au cinéma, et dansaient autant que possible, toujours sous le couvert de sa meilleure amie, Moi.

Un jour, il y eut une petite fête au Château de Frapesle. Nos amoureux s'y rendirent, bras dessus bras dessous. Andrée m'avoua qu'elle n'éprouvait aucune fièreté à avoir cédé à ses avances des plus pressantes. Elle se figurait une autre idée de sa première fois. Pas ça comme ça ! elle fantasmait de prendre le temps, un moment rempli de tendresse, d'amour aussi bien sûr.

Elle ne s'aperçut pas de suite de sa grossesse, à mille lieues de s'imaginer enceinte. Sa mère qui la scrutait depuis quelques temps, ne se rendit compte de rien et moi non plus d'ailleurs. Rien ne pouvait l'alerter, son cycle menstruel toujours présent, si ce n'est qu'elle semblait très patraque, mal fichue, et tout aliment refusait de rester dans son estomac. Sur mes conseils, elle prit rendez-vous avec le médecin.

Le toubib lui fît une échographie, et lui confirma qu'elle attendait un bébé et qu'un autre laissât sa trace, qu'elle pouvait être contente qu'il ne se développât pas. Andrée sortit de cette visite pâle comme un linge, les jambes chancelantes, anéantie, et par l'annonce de cette grossesse qu'elle rejetait, et par cette fausse couche passée inaperçue.

Un vrai bouleversement s'opérait dans son corps et dans sa tête.

La situation semblait ambigüe, paradoxale. Triste d'avoir perdu cet embryon et à la fois en colère contre elle, pour lui avoir cédé et aussi un courroux contre lui, pour l'avoir mise enceinte.

Pas maintenant !

Elle voulait s'amuser encore, voyager aussi ! Le plus loin où elle se rendit fût en Touraine avec moi. Elle hurlait de rage, me criait qu'elle rêvait de grands espaces, de découvrir les grandes villes de France, et même aller au delà de nos frontières. Elle envisageait de fonder une famille beaucoup plus tard.

Prendre le temps.

Andrée avait vingt ans, et tout s'écroulait ! Fini la frivolité, les rêves, et l’insouciance de la jeunesse.

Penaude, elle devait en informer ses parents qui se demandaient pourquoi leur fille dépérissait.

Mon Dieu ! De quelle manière leur annoncer ça ?

— "Tu n'imagines même pas, Solange, l'enguelade que je me pris", me dit-elle.

"Mais ma petite fille, c'est immoral. Les gens vont cancaner, et ce garçon, comment se nomme-t-il ? D'où vient-il ? A-t-il un bon travail?"

La situation atteignit son paroxysme lorsqu'elle leur annonca d'une voix tremblante qu'il demeurait pour l'instant au centre d'immigrés, arrivant de Tunisie avec sa mère et ses frères et soeurs.

Andrée constata leur forte déception. Ses parents lui répétaient que ce n'était pas quelqu'un pour elle, pas ce qu'ils voulaient pour leur enfant, non pas par racisme, mais tout de même.

  • Il présente bien, il paraît travailleur, mais es-tu certaine qu'il n'est pas juste un "coureur" ?

André, informé juste après, grimaça et referma son beau visage, à l'idée d'être père. Les noces s'imposaient.

Ils devaient régulariser la situation au plus vite, avant que son ventre ne s'arrondisse trop. Pour son mariage, elle se vêtit d'un tailleur jupe blanc à 8 mois de grossesse, et les photos en témoignent, on ne devine même pas qu'elle allait accoucher dans quatre semaines.

J'essayai de lui remonter le moral autant que possible, de l'apaiser. Elle me prit comme témoin à son mariage, en novembre et Louise pointa son petit nez par un matin étoilée de décembre, et tout naturellement le rôle de marraine m'incomba.

***

Je pris conscience que mon absence, cette distance au moment, où elle devait en avoir le plus besoin, lors de sa séparation d’avec le père de Louise, toucha vivement Andrée.

Tous ces évènements qu'elle affronta seule ! Quelques temps après sa douloureuse séparation, la mort de son père l’affecta plus encore au plus profond de son coeur. Elle devait tant avoir besoin d'une amie à ses côtés.

Je m'en veux.

Mais je reviens vers la métropole, tant mieux. Nous partagerons à nouveau nos univers. Moi, mes voyages, cette belle île et ses merveilles où je vécus plusieurs années, mon amour toujours aussi fort pour mon mari, malgré les embûches de la vie.

Et Louise très jeune, lors de mon départ, me manqua pronfondement. Cela me rend si heureuse de la retrouver, toutes ces années après, elle et sa famille.

Elle aussi, à tant à me raconter, et je me réjouis à l'idée de rencontrer Gilles.

Andrée va pouvoir me relater en détails toutes ses douleurs, ses combats, et surtout, me parler de ce coeur qui s'affole encore, et de ces papillons qui vibrent en elle.

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