Les préparatifs

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Andrée et François s’autorisent à s’évader quelques jours.

Ils demeurent assez loin l’un de l’autre et l'occasion ne se présenta pas d'échanger leur coordonées téléphonique. Sans le savoir ni le deviner, ils se retrouvèrent à une petite fête chez leurs enfants, ils papotèrent de la pluie et du beau temps au départ, puis enchainèrent sur le travail, les loisirs, la retraite. Ils semblaient intarissables et ne voyaient pas l’heure défiler. Au moment de se quitter, François osa poser la question de prendre de ses nouvelles, elle lui communiqua son numéro, et lui, renvoya le sien aussitôt.

Quelques jours après, François tint sa promesse et prit des nouvelles d’Andrée, de sa santé, et de ses activités du quotidien. Elle-même s’empressa de lui retourner les questions, puis ils raccrochèrent en se souhaitant en choeur " Bonne soirée, à bientôt".

Deux semaines passèrent et il lui vint une idée. Il contacta Andrée pour discuter de sa proposition. Mamouna hésita, mais sous la pression de François qui devait donner une réponse, elle finit par accepter, sans comprendre ce qu’il arrivait.

Une opportunité frappa à leur porte. Le Centre Social de la ville où demeure le sexagénaire organisait une sortie à Lyon sur le week-end, et il restait des places, sans aucune connaissance dans ce groupe d’une vingtaine de passagers. Au programme, visite d’un musée, de la célèbre basilique, de la cathédrale Saint-Jean, du parc de la Tête d’Or, repas dans une brasserie de renommée, temps libre, puis une nuit de repos et retour, avec d’autres surprises sur le trajet.

Andrée vit seule depuis qu’elle quitta le père de Louise. Elle ne sortit pas indemne de ces années de violences physiques, psychiques, d’emprise, et ne voulait pas s'engager dans une autre relation. Un collègue de travail tenta bien une approche en l’invitant au restaurant, à plusieurs fois. Il la relança, et, puisque sa fille participait à une excursion scolaire, elle accepta. Elle ne donna pas de suite à cette soirée. Pas de conversation intéressante, à part lui, et pas d’accroche surtout.

Ils se quittèrent en bons collègues, et n’en reparlèrent jamais.

Elle ne se sentait pas prête. Les souvenirs traumatisants remontèrent vite à la surface. Elle pensait gérer. Mais cette agression demeurait enfouie au fond de sa tête, de son cœur en mettant son mouchoir dessus, un peu comme on pousse les miettes et la poussière sous le paillasson, plutôt de que de les ramasser de suite. Elle voulait se protéger et s’enferma.

Mais pourquoi avoir consenti de partir avec François ? Quelle idée ! Et la voilà qui gamberge, se triture le cerveau.

Le temps d’un week-end, pour un moment propice aux confidences, entre amis, sans but, être bien à deux !

Est-ce encore possible ça ?

Elle forgea sa solitude comme une force, une alliée. Mais vivre seule avec soi-même comporte beaucoup de laisser-aller, de mauvaises habitudes.

À vrai dire, voilà longtemps qu’elle perdit ou oubliales codes de la séduction, car il s’agit bien de cela.

Elle compte sur Louise, sa fille, et ses copines, les "Georgette", pour la relooker et lui donner conseils et astuces.

De taille moyenne, Andrée mesure un petit mètre soixante-huit. Des cheveux châtains foncés mi longs très souvent attachés ou relevés et parés de fils argentés qu’elle ne dissimule même plus. Ses yeux marron clairs, parfois verts, camouflés sous ses lunettes en métal, semblent toujours fatigués. Son corps supporterait mieux quelques kilos en moins.

Ses jambes, pourtant pas si vilaines se cachent la plupart du temps dans des pantalons confortables. Ses pieds ne chaussèrent pas d’escarpins depuis longtemps et se contentent bien souvent de ballerines ou de sneakers. Ce bout de femme consacre sa vie à être transparente ou pour passer inaperçue. Elle se sent éteinte à l’intérieur.

Ce week-end ensemble d’accord ! On verra ensuite, laissons faire les choses ! se dit-elle sans trop de conviction !

Le jour J arrive. Elle ne ferma guère l’œil de la nuit, et vit les heures et les minutes s’égrainer sur son radio réveil. Agacée par ce manque de sommeil, elle cesse de lambiner et se lève dare-dare. Elle sent la présence de cette boule dans son ventre, présente à chaque évènement angoissant. Elle décide d'ignorer sa petite voix intérieure qui lui souffle de rester à la maison et de prétexter un vilain rhume, ou pourquoi pas, le covid.

Elle se dirige vers la cuisine, allume la radio, qui lui procure un semblant de présence dans la maison, appuie sur le bouton de la cafetière. Rien !

Elle vérifie si elle a bien tout préparé la veille, café et eau. Rien d’anormal, sauf que le voyant de la cafetière ne s’allume pas, pourtant le courant fonctionne puisque la pièce illumine même artificiellement. Elle enclenche de nouveau le bouton de l’objet récalcitrant, qui cette fois-ci accepte d'exercer son rôle. Dans le même temps, la bouilloire emet un sifflement. voilà l’explication, anxieuse, elle s’est juste trompée de machine !

Comment se déroulera le reste de la journée ? Soudain, elle entend au poste, qu’aujourd’hui vendredi 13 octobre, le temps s’annonce à l’orage. N’importe quoi ! allez oublions cela ! se dit-elle en fonçant sous la douche. Ses vêtements préparés de la veille, l'attendent, posés sur une chaise.

Tenue confort pour le trajet. Pantalon jogging anthracite avec une bande de gris pailleté pour une touche tendance, selon sa fille Louise, avec un sweat vert amande. Chaussures noires et brillantes, fermeture sur le côté et pour compléter l’ensemble un blouson marron en Nubuck dans lequel elle se sent bien. Elle ferme la petite trousse de toilette, après avoir rangé la brosse à dents de voyage qu’elle acheta à la pharmacie la veille sans oublier les échantillons de crème et d’eau de parfum offerts de bonne grâce par la vendeuse.

Elle déposa dans un petit sac de voyage une tenue dans le même genre que celle qu’elle porte aujourd’hui ainsi qu’un pyjama, sans oublier la lingerie de rechange. Au moment de boucler, elle recherche un gilet, choix judicieux. Elle appuie de toute ses forces sur le bagage pour que la fermeture Eclair veuille bien coulisser. Une petite prière à l’objet récalcitrant, une fois, deux fois elle l’implore de lui obéir et après, promis, il pourra prendre sa retraite, ou profiter d'une seconde vie…Oh miracle, ça marche, le tour est joué, opération réussie !

L’heure tourne, elle va finir par se mettre en retard. Le rendez-vous, chez François, se situe à près d'une centaine de kilomètres de là. Le stress ressurgit. Elle aurait dû se lever plus tôt. Direction la voiture ! Elle attrape blouson et sac à main, verrouille la porte de sa maison toute tremblante. Son baluchon déposé à l’arrière, elle s’installe au volant, et là, rien !

Pas de démarrage. Sa voiture lui désobéi de manière récurrente. Un mauvais contact, de toute évidence, un défaut de fabrication. Comme un fait exprès, il se manifeste toujours dans les cas d'urgence. Sans compter le garagiste de mauvaise foi qui pratique des prix prohibitifs et ne reconnait pas ses torts.

Bon ! garder son calme, souffler, trois inspirations et expirations lentes. Elle ne prend pas le temps, deux suffiront !

Sa fille Louise essaie bien de lui enseigner entre autre la cohérence cardiaque, mais elle ne se concentre pas assez, elle en prend conscience. Elle tourne de nouveau la clé et à la deuxième tentative le moteur démarre. Ouf ! Quelle angoisse !

Bizarrement, le trajet semble fluide, d'habitude la circulation bouchonne à certains endroits. Andrée ne se rendit pas compte de l’heure. Elle récite comme un mantra : "ne pas rouler si vite, ne pas avoir d’accident". Arrivera-t-elle à temps pour prendre le bus ? Elle n'osait pas envoyer de message à François, trop anxieuse de la distance. Se concentrer sur la route ! Elle ne veut penser à rien, mais cela s’avère difficile pour elle, e tmouline les nouilles, une expression de sa fille qui lui provoque un sourire.

Depuis quelques semaines François et elle prirent l’habitude de se voir. Il prennent souvent comme pretexte pour se retrouver une visite au muséum ou diverses expos qu’offrent leurs villes respectives, et les séances au cinéma aussi du programme. Pas de film d’horreur, ils tombèrent d’accord là-dessus, mais il leur reste un grand panel de catégories. Après la diffusion, ils se rendent à la crêperie d’en face, pour discuter et échanger à bâtons rompus, sur telle ou telle scène. Ils se sentent bien. Cela faisait si longtemps, pour l'un et l'autre.

D’ailleurs Andrée ne possède aucune de références cinématographiques, et François pas plus. il n'aime pas ça, jamais attiré par ces projections, trop de monde mangeant de gros récipients de pop-corn, lui avait-t-il expliqué mais il voulu tout de même essayer. Le lendemain, Andrée reçoit une magnifique plante dans un jolie pot, composée de petites feuilles vertes brillantes et chargée de nombreuses fleurs blanches très odorantes, à la limite enivrantes. Une carte épinglée sur le papier kraft indique :

« - À quand la prochaine séance ? On remet ça dès que tu veux ! »

Elle prit son courage à deux mains pour lui téléphoner afin de le remercier de cette délicate attention. Il aurait été très impoli de sa part de ne pas le faire !

Désormais, lorsque François appelle, il prend des nouvelles du Stéphanotis, nom de ce beau végétal, de la famille du jasmin. Inutile de préciser que Mamouna le bichonne. Un excellent choix, mieux qu’un bouquet de fleurs qui fanerait au bout de huit jours et encore.

Ils décidèrent dans un premier temps de ne pas parler aux enfants de leurs sorties ensemble. Ils se seraient fait « chambrés » dans la foulée. Sauf que ne rien dévoiler laisse la place aux doutes, et combien de fois ont-ils failli se trahir, au risque d’intriguer d’autant plus leurs interlocuteurs. La situation semble quelque peu inconfortable, mais ils veulent préserver pour l’instant leur jardin secret.

À son âge, cette mère et grand-mère sent son cœur de midinette se réveiller, et des papillons dans le ventre battre des ailes.

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