Gilles

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Je m'appelle Gilles,

Et je suis l’heureux mari de Louise.

Très tôt je ressens l’envie d’écrire, un besoin absolu pour sortir les mots qui s’entrechoquent dans ma tête.

Mon désir d’écrire nait de mon amour des livres. De leurs histoires, de leurs personnages, de l’évasion que la lecture procure dans un autre univers que le sien.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’aimais lire. Ma mère me transmis son virus, lui-même reçu de son père.

Enfant, elle me contait beaucoup d’histoires, souvent d’une fois à l’autre, l’intrigue ou le dénouement changeaient, se métamorphosaient. Elle y mettait sa touche personnelle, avec tant d’imagination, de créativité.

Elle tomba vite malade, un « crabe » lui rongeait les reins, et l'emporta par un matin pluvieux de Pâques.

Papa, pour assumer son rôle de père et de mère à la fois, me lisait des livres, mais cela restait une lecture ordinaire, classique, sans conviction, ni intonation.

Je sentais bien qu’il voulait me faire plaisir, mais le cœur n’y était pas, j'affirmerais même un véritable calvaire pour lui.

Je grandi vite, et lu moi-même toutes les séries pour enfants tels que les aventures de Tom Sawyer, celles de Robinson Crusoé, Ivanhoé, Jonas et la Baleine. Puis les romans pour ados de Daniel Pennac subjuguèrent le petit garçon que j’étais.

A l’école, j’adorais les rédactions. Pouvoir poser des mots sur des pages blanches semblait pour moi chose facile. Après quelques instants de réflexions, mon stylo parcourait les lignes bleues d’une traite et nul besoin de remplacer une virgule, ou un synonyme, souvent, uniquement de revoir les accords ou les fautes d’orthographe.

Plus tard, avec les copains, nous montèrent une troupe de théâtre au collège.

J’écrivais le soir des histoires de chevaliers, de princesses à secourir. Je répartissais les rôles, confectionnais les décors, imaginais chaque saynète. Je présentais mes croquis aux copains. Je pouvais toucher à tout, mes fonctions très variées, me ravissaient. Je distribuais les costumes découverts dans une malle de la salle d’animation, certainement d’une ancienne troupe amateur, qui attendaient patiemment d’avoir une seconde vie.

Je façonnais des décors en cartons, quelquesfois dans la sobriété, et à d’autres moments dans l’outrance, suivant les pièces. Mais toujours en harmonie. Je prenais plaisir à tout faire. Des compositions de bouquets de fleurs, aux plantes posées négligemment, mes créations se multipliaient à l'infinies, à l'instar de mes idées. Je menais la troupe d’une main de maître. Je mettais beaucoup de motivation durant ces instants récréatifs. Je pensais à ma mère, et le blues s’envolait. Je voulais tant qu’elle soit fière de moi.

La joie qui se lisait sur le visage des acteurs, de notre public aux répétitions ou lors des représentations en fin d’année, me comblait. Quel bonheur que ces instants-là.

Plus tard, je flirtai avec l’une des princesses de mes histoires. Nous nous sommes plu, sans chercher plus loin. Un jour, elle m'annonça qu’elle attendait un enfant.

Stupidement, je lui demanais : « de moi ? » Là je reçu une belle gifle, dans la vraie vie, bien méritée ! Cette amourette pris une ampleur que je n'envisageais à aucun moment. Nous nous mariâmes, jeunes, trop jeunes.

Je rangeais dans un des tiroirs de ma tête toutes mes histoires, enfouies mes idées et mes crayons avec les costumes au fond de la malle. La vie ensemble se passait, simplement, sans plus.

Je plongeais vite dans la vie active. Je pris le chemin de l’usine pour nourrir ma petite famille.

Très vite, j'embauchais à l’EDF. Au début, j’allais chez les particuliers pour relever les compteurs électriques et au bout de quelques semaines j’intégrais une de leurs écoles de formation pour travailler comme monteur de réseaux. Le boulot ne me réjouissait pas mais le salaire tombait tous les mois et les avantages sociaux intéressant. Rapidement, je militais au sein du groupe, et de l'union locale, au grand désaccord de ma femme qui n’appréciait pas mes retards dus aux réunions syndicales, de plus en plus fréquentes.

***

Et puis, arriva cette formation syndicale d’une semaine à laquelle l'on m'inscrit presque d’office et où je pouvais me rendre, dans la banlieue proche ; je n’oublierai jamais cette période.

Je remarquais de suite cette jeune femme, arrivée avec quelques minutes de retard à cause de l' oubli de sa sacoche dans la dernière station de métro et dû retourner sur ses pas. Je ne sais par quel miracle elle la récupérée. Elle adressa ses excuses au formateur et aux autres participants et me souri, en me faisant un léger signe de tête. Une sensation bizarre, une situation de déjà vu, de la connaitre depuis longtemps, depuis toujours.

J’écoutais donc attentivement les présentations individuelles d’usage ainsi que les motivations à notre participation à ce stage. Rien dans l’évocation de sa région ni de son entreprise, ne me donnait d’indice pour me souvenir d’une éventuelle rencontre.

Louise, quel doux prénom !

Instinctivement, nous nous retrouvions dans les mêmes groupes de travail. J’admirai son implication, ses engagements, sa force. Lors des pauses, nous sortions marcher quelques pas ensemble, discutions à bâtons rompus de notre activité, du syndicat dans nos boîtes respectives, de bousculer les mentalités. Nous reprenions nos discussions où nous les avions laissées précédemment, parfois autour d'un café.

Le dernier soir, je m'autorisais à rester dîner avec le groupe, et ensuite naturellement nous improvisions un bœuf de chansons populaires que nous connaissions. Je me souviens avoir poussé la chansonnette et impressionné Louise en entamant "L'accordéoniste" de Piaf. Je voulais que le temps s’arrête, mais je devais rentrer chez moi. Les nombreux messages de ma femme se révélaient plein d'agressivités, faisant de moi un mauvais père, alors que mon fils transpirait de fièvre. Je compris en arrivant qu'il allait très bien, et dormait comme un bienheureux.

Le lendemain, dernier jour du stage, nous échangions tous nos numéros de téléphones, se promettant de rester en contact, et de se donner rendez-vous pour l’inauguration d’un centre de formation, dans la région de… Louise. Ce futur rencart, cet espoir de la revoir m'insufflait la force de gérer mon quotidien. Je lui proposais de l'accompagner jusqu'à la gare où nous bûmes un café avant l'arrivée de son train annoncé avec du retard. Je pris mon courage à deux mains pour la quitter et rentrer chez moi.

Quelle tristesse, ces adieux communs. Reprendre ma vie routiniere là où je l’avais laissé avant cette parenthèse, comme si rien n'existait ; la logique me conseillait de le faire. Et puis, un jour, elle m'appela, sur mon telephone fixe, mon téléphone portable se cassa malencontreusement et n’avais plus son numéro et ma femme prit l'appel. Mais je vis son regard froid et interrogateur lorsqu'elle me tendit le combiné sans fil dans mon atelier où je me réfugieais pour bricoler.

Louise ne se démonta pas , et je l'entendis.

Sa voix triste m'informait qu’elle venait de perdre sa grand-mère maternelle. Je la réconfortais comme je pouvais, les mots sortaient de ma bouche tout naturellement. Je voulais tant la prendre dans mes bras pour la consoler. Sa peine me renvoyait à la mort de ma mère. Je connaissais et comprenais sa douleur. Louise m’avait parlé de cette aïeule pour qui elle éprouvait beaucoup d’affection et d’admiration lors de nos discussions.

Nous prîmes rendez-vous le mois suivant pour cette inauguration qui rassemblait bon nombre de participants. Les semaines s'égrenèrent avec une lenteur indécente jusqu'au jour J.

Le trajet en bus avec les copains que je ne jugeais pas bon de les mettre dans la confidence, me sembla si long. Puis, je la vis, devant la porte,et semblait attendre patiemment quelqu’un. Après les formalités d’usage et démargement remplis à l'accueil, nous sommes allés boire un café au village voisin avec mon groupe, et au bout d'un moment qui nous paru interminable, on s'éclipsa pour rentrer seuls. Nous avions tant de choses à se dire, de tendresse à se donner.

Nous découvrîmes ce centre ensemble. Peut-être avons-nous croisés des connaissances. Nous étions seuls, abrités par cette foule. Se quitter fût bien difficile.

A l’inverse de l’aller, le retour me parût trop rapide. Je voulais garder en tête les moments si courts passés ensemble, ces baisers échangés. La vie devait reprendre, chacun de notre côté. Un autre rendez-vous était fixé pour une grande manifestation haute en couleurs, le mois suivant. Elle devait participer à une réunion de travail le lendemain au même endroit, à la capitale.

Le temps refusait d'avancer plus vite, enfin le jour J.

Je suis allé l’attendre sur le quai de la gare. Elle avait souligné ses yeux d'un coup de crayon noir, un beau regard de biche. Elle rayonnait. On s’est serrés dans les bras un long moment. Je lui pris son bagage et nous nous sommes rendus directement à l’hôtel pour le déposer. Nous sommes restés dans la chambre, on s’est embrassés, on s’est aimés, si fort, avec tendresse.

Nous avons fait à notre manière notre manif pour la paix. Plus rien n’existait pour nous, nous nous sommes tant manqués. Nous nous le disions, nous nous le prouvions avec nos corps, nos baisers. La nuit nous a rendus à la réalité. Une faim de loup tenaillait nos estomacs. Le restaurant japonais en face de ce nid improvisé nous servit un menu varié express. On souriait, on se dévorait des yeux, mangeant dans l’assiette de l’autre. Quelques heures plus tard, nous nous séparions de nouveau.

Je voulais être prudent. Être là, au réveil de mon fils, et comme tous les matins le déposer à l’école, me rassurait. C’était mon devoir de père de lui parler de Louise, à son rythme, pour ne pas lui faire trop de peine.

Nous nous sommes promis de nous retrouver très vite chez Louise, le temps de régler nos situations sans faire souffrir personne. L’évidence était là, nous devions passer notre vie ensemble, continuer notre chemin main dans la main, cœur contre corps.

Louise quitta son mari sans heurt. Ils se connaissaient depuis l’école primaire. Son histoire avec lui ressemblait plus à de l’amitié, à un flirt de jeunesse.

Au début, très jeune, il y avait bien eu ce petit quelque chose qui vous pince le cœur, m'avait-t-elle confié. Ils n'ont pas eu d’enfant. Peut-être que ceci expliquait cela, selon ses dires. Elle ne voulait surtout pas le faire souffrir, lui briser le coeur, mais le mal était fait. Il ne lui fit pas de scène, se rendant compte au travers de la détermination de Louise qu’il n’y pouvait plus rien.

Surtout, il nous avait vus sur le quai de la gare d’Austerlitz. Il revenait d’un séminaire de dix jours. J’ai bien remarqué un homme qui ne quittait pas du regard Louise, mais je n’ai pas réagi, à mille lieux de penser à lui. Nous étions seuls au monde pour ces derniers adieux, nous ne faisions qu’un.

Pour moi, la séparation se compliquait. Ma femme criait, poussait des hurlements, se déclarait trahie. Elle me jeta la vaisselle et bien des noms d’oiseaux à la figure. Elle alla même jusqu'à jeter mes vêtements dans des sacs poubelle que je récupérais in extremis.

Je la laissais se calmer, ma décision étant irrévocable. Au fil des jours, des semaines, des mois, je sus que Louise était l'âme sœur que j’attendais depuis toujours.

J’obtins la garde de mon fils une semaine sur deux. Très vite, je décrochais une mutation vers Louise, qui nous trouva un petit appartement pour abriter notre amour naissant qui prenait déjà racines et se ramifiait dans nos corps. Elle me présenta à sa mère, nous nous entendîmes de suite. Mamouna me lança un clin d’œil et un tendre sourire me faisant comprendre qu’elle m’acceptait comme son futur gendre. Elle voyait tout l’affection et la tendresse que j’éprouvais pour sa fille.

***

Aujourd’hui, je me sens vivant, épanouis. Vivre avec Louise devient salvateur. Elle me permet d’être moi. Très tôt, elle m’offre un livret de chants révolutionnaires, et surtout un très beau carnet dont la couverture marron, en imitation cuir, et sur lequel figure ces inscriptions : " mieux vaux mettre du sel dans ses écrits que du vinaigre". Je m’en servais dans un premier temps comme journal de voyage.

Et les ateliers d’écriture auxquels je participe me redonnent l’envie, l’énergie d’écrire à nouveau, de faire évoluer mes anciennes histoires de capes et d’épées en pièces de théâtre. Ecrire des nouvelles, transcrire sur le papier les peines, les secrets, les bonheurs de ma Louise.

Elle me permet de me faire confiance, et moi, je la soutiens, toujours présent pour elle, tellement admiratif de ces peintures, sa créativité à elle. J’aimerais que nous écrivions notre histoire à quatre mains, elle aux esquisses ou dessins et moi à l’écriture, sans aucun doute l’un de nos projets de vie.

Nos enfants nous laissent peu de temps pour nous, mais nous l'on trouve un rythme dans le respect de chacun.

Notre vieille longère, dégotée avant la naissance des triplés, se vit transformer en un petit nid confortable, avec un espace pour chacun de nous. Louise m’impressionne toujours, elle trouve de magnifiques idées de décoration.

Elle est mon moteur.

Il fallu remonter les manches, abattre des murs, redistribuer les pièces, refaire les cloisons, toute l’électricité. Quand les petits naquirent avec un mois d'avance, le gros oeuvre se terminait. Louise reprenait les pinceaux pour peindre les portes pendant qu’ils dormaient, le temps était compté. Elle s' épuisait, je le voyais bien, mais ne se plaignait jamais. Il suffisait que je la prenne dans mes bras et son énergie se rechargait, et elle repartait de plus belle.

Avec le recul, on peut être fiers de nous. On a fait un formidable chemin ainsi qu'un sacré boulot dans notre demeure. Bien sûr nous reçûmes l’aide de mon père pour le gros œuvre, il me prêtait main forte dès qu’il y avait besoin. Quant à la mère de ma femme, elle apportait de quoi nous restaurer et participait aux finitions. Elle demandait conseils, effectuait les travaux avec toute la minutie nécessaire. Je vois de qui Louise tient sa patience.

A l’arrivée de nos bébés, et croyez-moi le spectacle impressionnait, elle se rendait utile pour sa fille qui n’hésitait pas à lui demander de l’aide, pour les nouveaux-nés, ou le quotidien de la maison. Je prenais le relais dès que je rentrais du travail et m´appliquais à faire, à donner les biberons, à les changer, à prendre du temps avec eux. Le rituel du dernier repas du soir et le premier du matin m'incombait. Ces petits monstres nous procurèrent bien des nuits blanches, mais on récupérait vite.

Notre force, vitale, mentale, physique réside dans notre belle famille.

***

Quand j’y repense, la peur m'envahit quand d’un coup à la fin d’une manifestation, un copain m’ apprit que l'on transportait femme à l’hôpital. Je cherchais des yeux tout le temps du parcours Louise, m’inquiétant de son absence.

Mon sang ne fit qu’un tour, mon cœur s’affolait, mes jambes me soutenaient par miracle. Je sentais qu’il s’agissait de Louise, ma Lou hospitalisée. Je me précipitais de suite à l’hôpital, mais on ne m’autorisa pas à la voir. L’inquiétude me rongeait, et enfin, un médecin me rassura. Je crois qu’ils l’ont confondu avec une autre personne admise dans le même moment, pour de graves violences faites par son conjoint. Faute de place, elle partagea sa chambre, et de ne pu recevoir de visite. Elle resta tout de même en observation mais ne gardera aucune séquelle due au choc de sa rencontre avec un poteau se trouvant sur son chemin.

Mamouna récupéra les enfants à la sortie de l’école. Le lendemain, samedi, nous sommes allés chercher Louise tous ensemble. Pour me soulager de cette tâche administrative, Andrée se dirigea vers l’accueil pour effectuer les démarches de depart de sa fille et nous rejoignit ensuite dans sa chambre. Je connais ma femme, elle va aller la voir, garder le contact avec elle, l’aider. Si elle s’en sort, et sûrement l’intégrer à son groupe de « Georgette », ses copines. Elles militent pour un monde meilleur, d’égalité, de paix.

La paix, Louise la trouve aussi dans la peinture. Ce matin, je l’entendis s’étirer, se lever vivement, après m’avoir embrassé avec tendresse dans le cou. Je vais gérer les enfants, je prévois une grande balade par cette belle journée qui s’annonce et laisser ma Lou à ses pinceaux.

Régulièrement Louise s’accorde le droit de ne rien faire, et la chose n'est pas toujours facile, ce qui lui procure de l’apaisement, de la rêverie bienfaisante et même de la créativité. Elle apprécie ces instants qu’elle sait très bénéfiques. De là germe une idée informe, et prend vie. Elle sort son carnet de croquis, où si elle dispose d'un peu plus de temps et elle va s’isoler dans sa véranda et peint. Et quelques fois donne naissance à une belle peinture.

***

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