Une rencontre improbable
A l'heure dite, Mamouna arrive dans ce lieu accueillant, cocooning, et la serveuse l'installe dans un petit coin tranquille, intimiste, propice aux discussions, où Louise l'attend depuis peu.
D’emblée, la mère et la fille se jettent dans les bras l’une de l’autre, et Louise, souriante, de lui dire, en la dévisageant :
— « Tu as quelque chose de changé, ma petite Mamouna… raconte… » !
Entre temps, elles passent commande de deux chocolats chauds, avec une part de flan et une tartelette amandine, repérées dans la vitrine à l'entrée du salon de thé.
Et Mamouna lui confie tout !
Sa rencontre avec les arbres, la journée en silence riche en émotions, ses voyages intérieures lors de ses méditations incroyables. Le bain sonore et ses visualisations et téléportation, ses interrogations et sa profonde déprime.
Sa fille, qui l’écoutait jusqu'alors en silence, lui adresse un grand sourire et lui déclare :
— « Là, ma petite mère, tu es tout simplement amoureuse ! » et de l'enlacer avec beaucoup de tendresse.
Après avoir savouré ce tendre moment mère/fille, Mamouna se détache en douceur des bras de son enfant et avoue qu'elle doit lui confier autre chose. Louise, les sourcils froncés se rassoit, un peu inquiète. Elle imagine le pire sur la santé de sa maman.
***
Andrée, cherche ses mots, boit une georgée de ce liquide chocolaté, encore fumant à l'arrière goût d'orange poivrée, comme pour se donner du courage. Puis lui raconte en détail la méditation où elle sentit la présence d’un petit ange.
Les larmes lui montent aux yeux en repensant à ces moments particuliers, et lâche à sa fille : —tu sais, il me semble qu'il s'agit du bébé perdu au milieu de ma grossesse. Une déchirure, un manque grandit en moi par la suite, même à ta naissance, et je mis ça sur le compte de la dépression post-partum ! On parle du baby blues aujourd'hui, je crois.
Je vis avec ce secret trop lourd depuis tout ce temps, ça me ronge. Une peine quasi insurmontable m'envahit, mais surtout cela n'enlève rien à l'amour que je te porte, ma chérie !
Louise perçoit de nouveau ses larmes surgir. Son timbre de voix saccadé explique à sa mère qu’elle-même à ce manque indéfinissable au fond d'elle, aussi loin qu'elle se souvienne, depuis toujours, associé à une culpabilité dont elle ne connaissait pas la provenance. Son mal-être grandissant, elle consulta une thérapeute, spécialisée en leethérapie, qui lui révéla l’existence d’une sœur jumelle disparut. Elle présentait tous les symptômes du syndrome du jumeau perdu.
Meurtrie depuis l'enfance, au plus profond de ses tripes, elle eu toujours du mal à s'aimer, dit souvent "on" pour parler d'elle. Se met sans arrêt en retrait, achète la plupart du temps ses vêtements par deux, en particulier les paires de chaussures, remarqua-t-elle et ce sentiment d'illigimité qui ne la quitte pas...
Elle avoue à sa mère avoir tenté de lui en parler à plusieurs reprises, mais la voyant trop mal, elle ne trouva jamais le bon moment pour le faire.
De nouveau, les grandes eaux de Versailles lachèrent, l'employée qui venait voir si elles ne manquaient de rien, rebroussa chemin pour ne pas les déranger.
"Tu sais, Mamouna, au cours d'un atelier autour d'un journal créatif organisé par une thérapeute, peut-être la même que toi d'ailleurs, sur une feuille de dessin, je pris ciseaux, colles ainsi et crayons pastels.
J'ai posé ton histoire, ta rencontre avec mon père, ta grossesse, et d'un coup ce froid dans mon coeur, dans mon corps, cette visualisation de moi toute recroquevillée, triste, des instants très fort et en même temps je les ai vécus sereine, apaisée. Ensuite, il s'agissait de choisir un ou plusieurs magazine de notre choix, de l'ouvrir au hasard, de découper les images qui accrochaient notre regard.
La première, repérée que plus tard, représentait deux plumes, bleues et blanches, de tailles différentes. L’ouverture de la deuxième revue me serra l'estomac, à m'en faire des noeuds, mon cœur battait la chamade.
Incroyable ! L'image envahissait toute la page. Deux jeunes filles,enlacées. Une brune, les yeux grands ouverts, le regard très triste, la seconde, à la chevelure claire, la tête calée dans l'épaule de l'autre, les paupières fermées, mais un visage apaisé, serein.
Je me suis reconnue, vue dans cette brune mélancolique. Une image très forte, à t'en parler je ressens encore la même sensation, la même émotion, mon cœur chamboulé se serre, et se retrouve à l'envers. Je te montrerai ce tableau, si tu veux, quand tu sentiras le bon moment.
Encore une chose, ma petite Mamouna, je montre et j'explique la finalité de ce découpage aux autres participants, très attentifs à mon histoire. D'en parler, d'instinct j'éprouve le besoin de lui attribuer un petit nom à cette soeur toute neuve, et pourtant présente depuis si longtemps. L'un d'eux me propose celui de LOLA, pour ma jumelle, prénom qui résonne en moi, et validé de suite. Un grand merci à lui".
Andrée, au bord de l'évanouissement, retombe dans les bras de Louise, et entre deux hoquets de sanglots, la remercie pour cet énorme présent qu'elle vient de lui faire. Sa fille l'étreint fort, et aperçoit la serveuse qui tourne les talons.
Nos deux confidentes décident en coeur de sortir pour prendre l'air, non sans avoir remarqué le regard interrogatif de celle qui assista à leurs embrassades. Sans un mot, elles réglent leurs consommations et vont marcher dans le parc juste à côté.
Elles se promènent un peu, bras dessus, bras dessous, puis s'installent sur un banc qui semble les attendre, à l'abri des regards, pour continuer leur conversation.
Louise reprend ses explications " Après cet atelier d'analyse transgénérationnelle auquel je participais avec bonheur, en rentrant chez moi, je n'éprouvais pas le besoin d'en parler à mon mari, qui ne me posa même pas de question sur ce stage. La nuit suivante, je pleurais toutes les larmes de mon corps.
Déjà, au moment du décès de Grand-mère, son indifférence m'atteignit, et ça empirait. Il fait parti de ces hommes qui ont peur du chagrin de l'autre, ne savent pas de quel façon réagir, ni même l'aborder. Pas de communication. Il se regardait vivre, tout tournait autour de lui. Alors qu'à l'inverse un réconfort, une épaules simposent.
Quelques semaines après cette belle et incroyable découverte, je rencontrais Gilles. Au fil des rendez-vous, des échanges téléphoniques, du manque qui s'installait, je ressentais déjà l'envie de fonder une famille avec lui, d'avoir des enfants, alors qu'auparavant rien ne semblait clair dans ma tête. Je ne m'en donnais pas le droit. Je n'aimais pas me mettre en avant, être dans la lumière, je me cachais derrière mes copines "les Georgettes", et combien de fois je me fuyais moi-même.
Depuis, je trouve plus calme, davantage sereine. J'ose prendre ma place ! Je perçois mon coeur se raccomoder et ma tristesse jour après jour s'effacer, certes par la présence de Gilles à mes côtés, mais aussi par cette belle rencontre inattendue avec Lola. Une résurrection qui m' enleva de suite un poids, libérée, révelée. J'arrive même à exprimer ma nouvelle météo intérieure dans la peinture. Je suis née une seconde fois, à ce moment-là.
Un immense cadeau, si pesant, que je venais de recevoir, et je n'arrivais toujours pas à t'en parler, par peur de te blesser aussi, Je suis tellement soulagée aujourd'hui ! Nous en reparlerons quand tu voudras !
La nuit tombante, combinée à une petite pluie fine, les obligent à se lever de ce banc et à stopper leur discussion. Nos deux complices se promettent que dorenavant, plus de secret, de non-dit, entre elles, et pour la enième fois, s'enlacent longuement, mélant leurs sanglots.
Elles rentrent chez elles chacune de leur côté, quand Louise se retourne illico, rappelle sa mère et lui lance de sa voix douce mais ferme :
"Mamouna, quelqu'un attend de tes nouvelles ! Appelle-le, fais-lui signe ! Tu lui manques, tu sais" !
***
Annotations