François

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Je m’appelle François, je suis l’heureux papa de Gilles, et grand-père gâteux de ses enfants.

J’ai eu une accroche avec Andrée la première fois que je l’ai vu, je l’ai remarquée, un crush ajouterait les jeunes.

Je me sens bien avec elle, c’est simple, les rendez-vous coulent de source, les appels téléphoniques paraissent très courts et durent en réalité des heures sans s’en rendre compte.

Je n’aurais jamais cru apprécier les séances de cinéma, dans ces salles obscures, où les gens mangent bruyamment des énormes récipients de gourmandises venues de l'autre côté de l'Atlantique, mais la présence d’Andrée changea la donne. Nos échanges enrichissants ensuite autour d’une crêpe et toujours dans le rire, la bonne humeur, le respect de nos points de vue, me remplissaient de bonheur.. En vérité partager de bons moments me font le plus grand bien.

Le décès de ma femme m’a anéantie bien sûr, notre univers s’effondrait sous mes pieds. Cette sensation que la joie, la légèreté, ne seront désormais plus de mise dans cette maison.

Sa maladie, un crabe au niveau des reins, l’a emportée très vite. Les chimios et rayons n’y changèrent rien, le cancer s’est vite généralisé. Je voyais sa douleur et je ne pouvais rien pour elle. Je vivais un horrible et profond sentiment d’impuissance.

Sa souffrance ayant pris fin, j’aurais dû être soulagé pour elle. Mais moi, qui restais là, avec mon chagrin, j’éprouvai d’abord un abandon mélé à la colère. Ces émotions m'accompagnèrent durant des mois. Et puis, jour après jour la vie nous rattrape,  avec des ressources que je ne soupçonnais même pas, extraite au fond de moi, pour Gilles. On ne refait pas sa vie, on la continue [1] avec tout le cheminement du veuvage. Il fallait me reconstruire après cette perte, cette mort, exprimer et le prononcer ce mot, qui frappa brutalement notre famille.

Au début je voulais rester fidèle à la mémoire de Charlotte. Ce mécanisme dura quelques années. Puis pas à pas, à m’appuyer sur mes amis, sur et pour mon fils, et à puiser l’énergie nécessaire pour vivre ma vie, malgré ce trou béant.

La période a été longue et difficile pour assumer cette douleur qu’est l’absence et le manque de l’être aimé. Une charge sur les épaules, le poids du deuil. En parallèle à l’étape de la colère et de l’abandon, j’ai ressenti toute l’obligation qui m'incombait d’élever dorénavant seul notre fils, de l’éduquer seul, alors qu’au départ nous avions construit notre famille à deux puis à trois.

En tant que papa, j’ai dû assumer le double rôle de parent, et combien de moments de doutes, de complexité sur certaines situations que je ne contrôlais pas.

« Qu’aurait dit ou fait Charlotte, la maman de Gilles, Comment aurait-elle réagi, elle ? Ai-je été trop dur ? Ou au contraire trop laxiste, avec le petit ?

Je n’ai pas su réparer le cœur meurtri de notre fils ! Les histoires que j’essayais de lui lire, enfant, avait un goût d’amertume, manquait de conviction et d’intonation. Je n’avais pas le cœur, ni la capacité à t’imiter, même là, je n’ai pas pu te remplacer « ma chère et tendre ». Par moment, je sens ta présence dans les murs de notre maison, encore imprégnée de nos doux moments, et je ne peux pas m’empêcher de te parler, comme si tu allais me répondre, ou m'adresser un signe particulier !

Je jetai dans le bricolage chez nous, les travaux chez mes voisins, je ne voulais rien changé au lieu où nous vécûmes ensemble. Le quartier devient vieillissant, et me voilà entouré de vieilles dames. Quelques fois j'emmène des voisines en courses, et elles m'obligent presque à jouer aux cartes. Il m’arrive régulièrement d'endosser la casquette de chauffeur solidaire, de déboucher un évier, remplacer une ampoule. Je reconnais que j’aime rendre ces menus services, une routine qui rend la vie un peu moins « pépère » mais ça me convient, faut croire.

Je pris mon temps, bien sûr, j'obtins des rendez-vous avec quelques femmes, plus ou moins jeunes. Je leur mentais en racontant que je me trouvais de passage dans la région, c’est surtout dans leur vie que je voulais être éphémère. Je n’éprouvais le besoin d’en parler aux copains, peut-être que j’aurais dû car me voyant dans cette peine et cette solitude, ils envisageaient de m’inscrire sur un site de rencontre, quelle drôle d'idée !

"Jeune retraité, sportif, aime faire du vélo, passionné par la photo, bienveillant, fait les courses pour ses voisines, le 4ème aux cartes, cherche compagne pour combler sa solitude".

ils ne furent pas très discrets sur ce coup-là ! Voilà la prose qu’ils me concoctèrent un jour et que j’ai découverte,

***

Et puis le temps passa, Gilles grandit et se créa un univers à lui, puis rencontra à son tour une amie, et très vite, trop vite ils de marièrent. Jonas naquit peu de temps après.

Je t’ai déjà raconté, ma chère et tendre, que je n'accrochais pas avec cette belle-fille. Trop dure avec notre fils, pas aimante comme tu sus l’être, avec moi, avec lui. Je voyais bien qu’il changeait au fil du temps, combien de fois j’ai été témoin, bien malgré moi, de disputes ou de reproches qu’elle passait son temps à lui faire.

Quand il m’annonça qu’il prenait la décision de divorcer, j’éprouvais un réel soulagement pour lui. Ce fut très compliqué pour lui cette séparation. Sa future ex-femme lui en fit baver, mais il resta de marbre. Il était vraiment déterminer, et à la quitter et à vivre avec sa Louise. Je suis fier de notre fils, et je te reconnais en lui.

Il me raconta sa rencontre avec cette jeune femme que j’appréciais déjà, son besoin de la revoir, de vivre quelque chose avec elle. Elle remontait la force et la joie cachées au fond de lui. Je l’adore, elle est touchante. Je reste admiratif de leur belle histoire, et de la façon dont ce couple éduque leurs enfants autour du maître mot "amour". Ils jouent beaucoup ensemble, tout en apprenant, dans le respect de chacun, des autres, de leurs différences et particularités.

***


Je ne parlerais pas d'un choc ou d'un coup de foudre avec Andrée, la mère de Louise, car il n’y eut aucune violence. Plutôt beaucoup de douceur entre nous, une envie de discuter de tout avec elle, je me sentais à l’aise et je voyais bien qu’elle aussi. Comment expliquer cette fluidité et ce bien-être entre nous ?

Se souvient-elle que l’on se croisa furtivement lors des travaux dans la demeure de Gilles et Louise !

Je pris mon courage à deux mains et j’osais lui proposer un rendez-vous à notre deuxième ou troisième rencontre.


Je dois reconnaitre que ma proposition de voyage à Lyon fut une riche idée. J’aurais bien voulu que ces instants perdurent encore une journée ou deux de plus, bien que nous avons joué les prolongations à la maison, au retour. Andrée me donna l’impression de se sauver ou même de prendre peur. J’essaie de me rassurer comme je peux, mais en toute sincérité j’aimerais bien qu’elle revienne vers moi, vite.

Pendant son absence je me réfugie dans des petits travaux de voisinage, je prends mon vélo tous matin, et avale les kilomètres un peu plus à chaque sortie. Je me lance même des défis, aller plus loin, avec plus de lacets, j'en arrive même à chatouiller les pédales.

Je reste confiant et patient en temps ordinaire. j’ai essayé d’aller à la pêche, mais là ce fût une catastrophe. Rester immobile à attendre une touche me rend trop nerveux. Impossible de me concentrer sur mes lancers. J’avoue que j’aimerais avoir des nouvelles de celle qui occupe toutes mes pensées. Hier soir, des chasser idées noires envahirent ma tête, je ne comprenais pas ce qui se passait, d’un coup je songeais à Andrée, comme si elle n’allait pas bien.

Je n’aurais jamais cru ressentir encore des sentiments pour quelqu’un ou plutôt quelqu’une. Après ce drame qui m’avait percuté, mes collègues m’invitèrent régulièrement et me présentèrent fortuitement une amie, une cousine, une voisine.

Dès qu'ils en avaient l'occasion, ils jouaient les entremetteurs. Le plus souvent c’était flagrant, mais je n’étais pas prêt. La ressemblance ou la comparaison avec mon épouse était de mise mais personne ne pouvait rivaliser à mes yeux. Souvent, je ne regardais même pas cette femme conviée au même moment que moi par mes amis pour me consoler de ma solitude.

Il aurait pu avoir de belles rencontres qui sait,mais je n'étais pas disponible dans ma tête Mon cœur, mon corps, mon être tout entier portaient le brassard noir des gens endeuillées. mais Il finit par s’effilocher à l’usure du temps.

***

Dimanche dernier, les enfants m'invitèrent chez eux. Ils évoquèrent, bien sûr, le séminaire de Mamouna, comme ils l’appellent tous dans cette maisonnée, et à mon grand regret, Ils ne disposaient d'aucune d’information. Mais pas de nouvelle bonne nouvelle, nous sommes nous dit en chœur ! Nous n’avons pas encore mentionné à Gilles et Louise que nous nous voyions régulièrement, mais je soupçonne, à leurs airs, qu’ils ont deviné que quelque chose se passait entre nous.

Faut-il se poser tant de questions ?

À notre âge, doit-on hésiter à vivre quelque chose de beaux, de fort ? Après tout, nous ne causons de tort à personne ! Il n’y a pas de date de péremption sur l’amour, et mes sentiments pour Andrée ressemblent à ça ! Si c’est une folie, soyons fous et vivons !

Je ne formulerais qu’une demande, sur le dernier chemin de ma vie d'être encore amoureux et d'entretenir cette histoire, dans la sérénité !

Mais Dieu, que ça fait du bien et que c’est bon !

[1] Citation de Yves Montand après le décès de Simone Signoret

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