Chapitre 5 : À la recherche des colosses perdus

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< Erez Scazzèn’lez De Hantz Terrös >

Ici vous approchez du territoire des… « Hantz » ?

– Jorïs, il y a une inscription bizarre sur cette stèle.

– Le fait que tu comprennes ces stèles est bizarre en soit, répondit Jorïs en déposant sur le sol une gibecière de fortune contenant ses babioles.

Après deux journées et deux nuits de marche, Jorïs et Lonka avaient pénétré les bois du Duché de Philès. Une abondance d'arbres et de plantes s’étendait sur des lieues à la ronde, dressant un mur végétal comme seul horizon. 

Impossible pour eux de voir les colosses terriers abandonnés, il fallait s’en remettre à leur sens de l’orientation.

La thématique de cette journée de recherche était la découverte d’une nouvelle stèle, probablement la dernière avant d’atteindre les environs du donjon. À force d’abnégation, ce fut mission accomplie. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, une autre trouvaille égailla les deux jeunes aventuriers.

Les explorateurs de Nyön avaient aussi approché cette stèle, en témoignaient les traces de pas fraîches laissées sur la terre dans laquelle s’enfonçait l’édifice.

Jorïs avait laissé Lonka seule à déchiffrer les écriteaux gravés dans la roche pâle. Le jeune homme s’était promené aux alentours pour continuer d’observer. Il revint quand Lonka eut fini, l’interpellant pour décrire le sentier qu’empruntaient les explorateurs. Ces derniers avaient sûrement dû découvrir cette stèle au hasard. Leur chemin n’avait rien de linéaire, comme s’ils essayaient de couvrir le maximum de terrain en même temps. Ainsi, Jorïs avait remarqué qu’une dizaine d’empreintes différentes se dispersaient et se rejoignaient aléatoirement, chacune prenant une trajectoire en zigzag. Ils doivent cartographier, pensa Lonka.

Jennän et sa cohorte devaient sûrement être arrivés à destination depuis le temps. Ils étaient passés à côté de cette stèle sans même pouvoir la déchiffrer. 

Hormis le No Gata, Lonka était la seule à pouvoir lire les langages anciens et, seule face au mystère, elle se demanda bien ce que pouvaient être ces Hantz.

Alors qu’elle réfléchissait à une explication, Jorïs était déjà reparti de son côté, sac sur le dos. Aidé d’une faucille et d’une machette bricolées la veille pour se faciliter le chemin, il repoussait les plantes urticantes qui tentaient de lui barrer la route.

– Mais attends-moi bon sang ! s’écria Lonka et s’élançant sur les pas de son frère.

Arrivée dans son dos, ce dernier se stoppa net. La jeune fille buta sur son imposante besace et se retrouva fesses par terre. 

Jorïs étouffa un rire lorsqu’il se retourna vers sa sœur puis, comme si de rien était, croisa les bras et prit un air sérieux :

– Lonka, on est ici pour chercher un donjon, pas pour s’extasier devant un bout de roche.

« Jorïs ! Ces stèles sont la clé ! », s’exclama de plus belle la sauvageonne en lui laissant un regard furieux. Il se remit à pouffer et tourna les talons. Agacée, Lonka grommela en se relevant :

– Moi j’en ai marre qu’on suive les coutumes sans même les comprendre. Nos aïeux ne savent même pas comment nous sommes venus au monde ! Enfin, toi je sais bien d’où tu sors, mais à la toute base, ça reste quand même flou cette affaire de “berceau”.

– Si tu veux connaître la vérité tu n’as qu’à te faire bien voir par le No Gata. En attendant arrête de gueuler tu vas attirer les bêtes.

– Qu'elles viennent, je saurai les faire déguerpir ! En attendant tu sais ce que c’est un “Hantz” toi ?

Jorïs leva les yeux au ciel.

– Je ne sais pas ce que c’est un “Hantz”. Mais je sais ce qu’est un lopos[1], un raùr ou encore un sangiterre en rut. Et en l’occurrence si on ne se fait pas plus discret on risque plus de croiser une de ces bêtes énervées que ton “Hantz”.

Lonka fit la moue et suivit Jorïs sans dire un mot. Je finirai bien par découvrir tous ces mystères par moi-même !

Les deux jeunes s’enfoncèrent un peu plus dans les bois sauvages.

Ils marchèrent, encore et encore, à coup de faucille, à coup de machette, suivant tant bien que mal les traces des explorateurs de Nyön. 

Lorsque la faim se faisait trop ressentir, Lonka s’occupait de cueillir les racines comestibles avec la faucille, alors que Jorïs débusquait les insectes qu’il pensait bon de manger.

Ils faisaient de rares pauses, pressés par le temps. À mesure que le colosse enflammé s'effaçait derrière les cimes, la forêt devenait plus dangereuse. Mieux valait ne pas bivouaquer ou allumer un feu, sous peine d’être à son tour dévoré, s’imaginaient-ils. 

Lonka sentait que, dans une pénombre ascendante, les lopos et leur cousin bipèdes les Lichèns[2], qu’on ne trouvait que dans le grand est, attendaient le bon moment.

Pour Jorïs leur seul embarras était cette flore capricieuse. Lorsque ce n’étaient pas les ronces qui lacéraient leurs jambes, les racines d’arbres rendaient le terrain accidenté. Et que dire des insectes et des arachnides qui pullulaient dans les environs, prêts à mordre ou piquer dès qu’ils se sentaient agressés. Lonka savait bien que pour qu’une araignée se sente agressée, il fallait juste marcher par inadvertance près de son terrier ou se prendre dans sa toile. Lorsqu’elle en vit une au détour d’un arbre, la vision de ces épais filaments blancs entremêlés lui inspira des souvenirs douloureux et la fille sauta illico presto sur le dos de son frère.

« Mais non d’un glazon tu vas arrêter tes singeries ! », une nouvelle chamaillerie débuta. 

Chamaillerie qui tint frère et sœur en haleine une bonne partie de l’après-midi dans cette jungle escarpée et luxuriante.

Lorsque le ciel s’assombrit, libérant les cris des animaux les plus féroces, Jorïs décida de continuer la route à partir des branches d’un arbre ancestral. Amorçant aussitôt sa grimpe, Lonka salua l’idée et dit :

– Nous ne devons plus être très loin Jorïs. Je crois que les colosses terriers sont bordés par des arbres ancestraux.

– Et bien parfait, je ne comptais pas dormir ici de toute façon.

Après avoir escaladé le tronc sur une quarantaine de pieds, ils s’arrimèrent à une imposante branche sinuant à travers les autres conifères. À certains endroits, des ramures d’arbres ancestraux se croisaient et s’entremêlaient dans un carrefour de verdure. 

Jorïs attendit de se trouver un abri pour déballer sa gibecière, rangeant sa machette et sortant des fruits et des insectes récoltés sur le chemin. Il croqua l’un d’entre eux, suscitant le dégoût de Lonka.

– Au moins ici les lichèns ne peuvent pas nous attaquer s’ils ont faim, énonça-t-elle en tournant le regard vers les bordures de leur perchoir.

– Détrompe-toi, les lichèns savent grimper. Ils sont peureux de nature, je pense qu’ils ont le vertige, mais s’ils ont faim, crois-moi qu’il faudra courir.

– Brrrrr, ça fait froid dans le dos, dit-elle en frissonnant.

– Ne t’inquiète pas, Papa m’a dit qu’il y avait pire sur les arbres ancestraux, rétorqua Jorïs en croquant dans un autre six-pattes séché.

– Comment ça ?

« Lonka ! », Jorïs se jeta sur sa sœur et la bouscula, la retenant ensuite de glisser de la branche. 

Quelque chose était passé au-dessus de leur tête en coupe-vent. Lonka mit quelques secondes avant de distinguer la longue liane, aussi dense qu’un rondin de bois, qui se tortillait au-dessus d’eux.

– Tu m’as dit n’avoir jamais vu de chenille mange-liane[3], eh bien te voilà servie. Plus elle est vieille, plus elle est grande et plus elle est agressive. Là on a affaire à une mamie, exposa Jorïs en remballant sa besace. À quatre pattes, ils reprirent ainsi leur route, à l’affût pour éviter un nouvel assaut :

– Nom d’un glazon, pourquoi une chenille ? demanda Lonka en chuchotant. C’est plus gros et long qu’un serpent.

– C’est que tu n’as pas vu les serpents ici, ricana Jorïs. Franchement, tu aurais vraiment dû venir aux enseignements de Banaji, il y avait même les dessins pour accompagner.

***

Lonka ne posa plus de question sur le reste du chemin. Du haut de leur perchoir, ils pouvaient distinguer le ciel au-dessus d’eux, où les colosses lointains[4] apparaissaient un à un. Un des colosses blancs était entier cette nuit, offrant sa luminosité pâle qui excitait un peu plus les bêtes sauvages. On disait même que les nuits de colosse blanc entier, les lichèns étaient si déchainés qu’ils pouvaient chasser près des villages dans les Duchés de Philès ou de Roa. Ils pouvaient s’attaquer aux hommes.

Heureusement, Lonka et Jorïs n’en croisèrent point. 

Ils espéraient secrètement que les explorateurs de Nyön n’eurent pas à leur faire face non plus. 

Ils ne pouvaient plus suivre leurs traces, mais étaient persuadés de continuer dans la bonne direction.

« Eh bien voilà ! Je ne suis pas si mal en aventurier aussi, sœurette », s’écria Jorïs derrière un feuillage. Lonka accourut et s’enthousiasma à son tour. La végétation s’ouvrait peu à peu sur le décor des colosses terriers.

Baignés dans la lumière du colosse blanc, les deux fondations abandonnées s’enfonçaient profondément dans un cratère où la flore semblait disparaître au profit de la roche. 

Ces colosses terriers paraissaient plus grands que ceux de Jovoko. Du moins ils étaient aussi larges et imposants que le palais. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir trouver là-bas ? jubila-t-elle intérieurement.

L’excitation se mêla à la crainte à l’apparition des singes nocturnes[5]. Ils semblaient y en avoir dans tous les arbres qui bordaient le large cratère. Leurs yeux illuminés brillaient dans la nuit, dessinant les contours de leur pelage blanc. Ils attendaient, patiemment, que théâtre se fasse, tels des spectateurs assis dans les gradins d’une arène.

Jorïs guettait aussi, jusqu’à ce que Lonka sorte de son silence pour annoncer une bonne nouvelle. « Regarde, Jorïs ! », elle prit son frère par le bras et pointa du doigt une drôle d’installation en contrebas. Trois rondins, sanglés dans les airs par des cordages solides et au bout, sur la dernière bûche, une longue liane plongeant dans le vide, pendant de ses deux bouts.

C’était une poulie, installée là par les explorateurs. 

– Ils doivent déjà se trouver dans les colosses terriers, déduisit Jorïs.

– Parfait ! Ça nous laisse le temps de descendre en toute discrétion.

Une fois proche de la structure, Jorïs s’occupa de remonter un des bouts pendant de la liane afin de s’en servir comme contrepoids. Lonka s’agrippa à l’autre bout et amorça sa descente en rappel. 

Les appuis solidement ancrés dans le sol, Jorïs libérait du leste avec parcimonie, contrôlant la descente en toute sécurité.

Lonka arriva enfin au pied de la souche. Ses pieds s’enfoncèrent dans le sol, l’obligeant à rester en mouvement en attendant que Jorïs la rejoigne. Ce dernier noua son bout de liane autour de sa taille et se jeta pour attraper l’autre pendant. 

Lonka espéra que la poulie serait assez solide pour supporter sa masse, lui qui gigotait dans tous les sens en tentant de descendre à même la liane. Énervé de se balloter ainsi dans les airs, il scrutait les singes nocturnes qui jasaient de leurs cris stridents. « Moquez-vous, moquez-vous si ça vous chante ! », s’agaça-t-il en persévérant. Lonka, elle, n’avait que faire des railleries des primates. Elle admirait la force et la détermination avec laquelle Jorïs avançait et fit mine d'applaudir lorsqu'il posa à son tour pied à terre. 

Une terre souple et boueuse. 

Son frère se tourna vers elle et prit un air étonné.

La terreur se lit soudainement sur son visage.

Lonka ne comprit point, lorsque soudain une masse lourde lui agrippa l’épaule.

[1] Lopos : cf. Glossaire/Bestiaire. Un canidé doté d’une mâchoire proéminente et allongée. Le lopos vit et chasse en meute. C’est une espèce répandue.

[2] Lichèn(s) : cf. Glossaire/Bestiaire. Un canidé hybride et bipède, muni de très longs bras. Son aspect mi-lopos mi-homme alimente les peurs et les légendes. Cependant, le lichèn est une espèce domesticable, de nature serviable et craintive.

[3] Larve(s) d’arbora-titan : cf. Glossaire/Bestiaire. Une larve de lépidoptère géant qui peut vivre jusqu’à 30 terravolutions, grossissant jusqu’à atteindre 15 pieds de long Son aspect de liane et le fait qu’elle se pende aux arbres pour repousser d’éventuels prédateurs lui a donné son surnom de « chenille mange-liane ». À l’état de chrysalide, elle se solidifie et prend l’aspect d’une pierre.

[4] Colosse(s) lointain(s) : cf. Glossaire/Expressions. Un terme utilisé par les habitants de Bozo pour désigner une étoile.

[5] Nocturnùs : cf. Glossaire/Bestiaire. Un mammifère arboricole et omnivore de l’ordre des primates. Communément appelé « singe nocturne », le nocturnùs est un animal nocturne et nyctalope, généralement à poils blancs. De plus, ses yeux sont capables de briller dans l’obscurité.

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