Chapitre 24 : Mystérieuse naufragée
« Capitaine Irina Morgän, le milicien Gojïn Hiegel attend à votre porte », scanda le garde.
Les portraits des protecteurs morts dans l’exercice de leur fonction observaient le milicien en attente d’audition. L’antichambre était spacieuse, ordonnée, avec des formes géométriques, des tableaux et des blasons forgés dans le métal recouvrant les murs d’un blanc immaculé. « Faites-le entrer », somma dans un écho la voix autoritaire du capitaine à travers les interstices de la large porte à double vantaux.
Le garde empoigna la clenche et l’abaissa avec force pour débloquer un versant du solide rempart, ouvrant la voie de l’immense salle de bureau dont jouissait la capitaine.
Gojïn déglutit et tenta tant bien que mal de masquer sa gêne. Il arborait son uniforme de gradé milicien, renforcé au buste, aux épaules et aux jambes de maillons et de fer poli, mais se demandait pour combien de temps encore.
La capitaine le fixait d’un regard sombre, contrastant avec l’éclat de la pièce. Au moment de s’avancer dans son antre, Gojïn sut qu’il n’était pas convoqué par courtoisie. Quelqu’un avait dû dénoncer son départ pour les terres de Talèn, mais il comptait se sortir de cette mauvaise passe en annonçant quelque chose d’important.
Il s’arrêta à la lumière des larges baies vitrées qui esquissaient la vue de la majestueuse Tabantz, capitale du Duché de Golèn, érigée tout autour d’une grande baie donnant sur la mer. Le siège de la Milice flottait au beau milieu de l’étendue d’eau.
La capitaine Morgän joua de son stylo à plume sur un parchemin vierge, signe qu’elle réfléchissait au sort qu’elle devait lui réserver.
Le milicien faisait aussi tout son possible pour ne pas baisser les yeux sur le décolleté de sa supérieure, vêtue d’une chemise blanche brodée sur le col et les manches, maintenue dans un corset bleu marine. Il la trouvait élégante, d’une beauté charnelle et d’un charme fou, accentué par son regard déterminé. « Assieds-toi Gojïn », ordonna-t-elle sans le lâcher des yeux.
Gojïn ne se fit pas prier, s’avançant jusqu’au large bureau marbré du capitaine pour s’installer dans le fauteuil confortable qui lui faisait face.
– T’ai-je dit que, cette fois, Deön et son mentor constituaient une mission de premier ordre ?
– Oui, Capitaine.
– Et, mon cher Gojïn, parmi ma première garde d’éclaireurs depuis trois terravolutions maintenant, t’ai-je dit aussi qu’il nous reste très peu de temps pour les convoquer ?
– Oui, Capitaine.
– Et tu as fait un rapport il y a trois jours certifiant avoir déniché leur cachette ?
– Oui, Capitaine.
– Bien, tu l’as sûrement remarqué, nous ne sommes que tous les deux dans cette grande pièce, c’est très intimiste tout ça. Assez pour que tu m’éclaires de toute la vérité, avec tes mots – Irina avança ses coudes sur le bureau et prit une voix mielleuse. Gojïn connaissait ce subterfuge, souvent signe d’un mauvais présage –. Alors dis-moi, lorsqu’en retour je te précise personnellement d’attendre à découvert les renforts pour leur indiquer le chemin, comment se fait-il que ces renforts ne trouvent aucune trace de toi pendant deux jours ?
– J’ai suivi Deön jusqu’à Talèn, Capitaine.
– Quoi ?
La capitaine se figea, fixant Gojïn avec un regard d’autant plus noir et dubitatif. Le milicien tourna la tête vers les baies vitrées le temps de chercher ses mots :
– Au matin, j’ai vu partir Deön à bord d’une navette, je l’ai suivi jusqu’à No’Agaba, au nord-est de…
– Je sais où c’est, merci. La suite.
– Avec Deön…
« Allez ça suffit ! », s’exclama-t-elle en se levant, furibarde. Elle se mit à faire les cent pas, tournant de temps à autre le regard vers les portraits peints des précédents capitaines et Majors de la milice de Golèn. Gojïn serra les dents, se rabâchant sa bêtise et sa maladresse. « J’en ai marre de devoir te materner sous prétexte que tu fais le lien entre nous et ces ’’créatures’’. Deön t’a sauvé tout petit, soit, mais si tu ne sais pas faire la part des choses entre tes devoirs de milicien et ta vie de garçon des rues, tu ne mérites pas de porter l’insigne ».
– Nous avons fait une déc’…
– Je ne t’ai pas demandé d’intervenir !! cria-t-elle.
La capitaine accéléra sa ronde, lâchant des « roooh » et des « bon sang » en secouant vivement la tête lorsque ses réflexions portaient à ébullition.
Gojïn l’observait, consterné.
Il savait qu’il n’avait plus qu’à tenter le tout pour le tout, mais si elle l’empêchait même de s’expliquer, il pouvait déjà se préparer à rendre son insigne.
– Bon, bon bon bon, continue. Continue jusqu’au bout. Et n’élude rien. Et vite !
Rassuré, le milicien prit son air le plus sérieux et fixa à son tour la capitaine :
– Nous avons passé la soirée dans une auberge, la “Belle Rive”, et nous avons bu jusqu’au petit matin – La capitaine tiqua, mais Gojïn ne se décontenança point –. Nous avons discuté de tout et de rien, ce qui m’a permis de savoir ce qu’il était venu faire à Talèn. Je l’ai suivi et nous avons rallié une plage où nous avons découvert un corps échoué. C’était comme une méduse gigantesque, sauf qu’il y avait une fille à l’intérieur. Nous avons réussi à l’extirper de la bête, mais à son réveil, elle s’est mise à hurler et, je vous le jure sur mon honneur, son cri a fait trembler le sol et perforé la mer ! – Immobile, les bras croisés, la capitaine leva un sourcil – Deön s’est alors emparé de la fille après l’avoir maîtrisée et m’a dit qu’il était lui aussi au courant pour les messages de détresse des îles connectées. Il m’a dit, je cite : « Va dire à ton Jagolèn que les Aènjuggerz s’occupent d’elle » ... Il parlait de la fille, Capitaine.
Immobile, mains nouées sur les genoux, Gojïn se tut.
« Tu as fini ? », demanda la capitaine Morgän, étouffant un rire nerveux. Le milicien affirma de la tête.
– Donc, si je résume, tu m’expliques que tu t’es saoulé avec notre cible, que tu l’as aidé à enlever une jeune fille qui aurait des pouvoirs potentiellement dangereux pour notre territoire pendant que tes coéquipiers te cherchaient en vain pour, je le rappelle, être guidés à la cachette des Aènjuggerz, et que tu te présentes aujourd’hui devant moi sans Deön, cette jeune fille ou un plan permettant de retrouver ladite cachette ?
Gojïn aurait voulu clamer que cela n’avait rien d’un enlèvement, mais devant tant de faits compromettants énoncés, il se contenta de hocher la tête timidement en gage d’affirmation.
***
Où suis-je ? Jorïs, revient !
S’il-vous-plait, quelqu’un, ramenez-moi ma famille
Où suis-je ?
– Tu es à Suän Or.
Hein ? Quoi ?
Lonka ouvrit péniblement les yeux, extirpée de ses songes par cette voix masculine qu’elle peinait à reconnaître. La première chose qu’elle vit fut une chevelure noire, tombant jusqu’à de larges épaules.
Quelqu’un était adossé à son lit, dos à elle.
Il patientait à son chevet, plongé dans la pénombre de cette pièce embouteillée de mille et unes babioles. Des tapis aux couleurs chatoyantes, des vêtements et des armures, des coussins aux broderies exotiques, de la vaisselle finement décorée, le tout jonchait le sol et couvrait les murs.
Une odeur de renfermé picota l’intérieur de ses narines. Elle sentit sa bouche pâteuse, ses membres endoloris par une inactivité prolongée et son ventre se mit à gargouiller une fois ses sensations primaires retrouvées.
Elle se sentait bien vivante, mais totalement déboussolée.
Lonka se releva maladroitement, poussant la couverture qui la bordait sur la tête de son geôlier. « Oh ! », entendit-elle. C’était la voix qui lui avait répondu dans son rêve. Prise d’une vive anxiété, elle se recula jusqu’au mur contre lequel le sommier était plaqué.
– Qui es-tu ?! s’exclama-t-elle avec une voix déraillante.
– Je suis le gars qui va te remettre à la mer si tu décides de crier une nouvelle fois, répondit-il avant de se tourner.
Il avait un visage juvénile, à peine marqué par les cernes et une fine cicatrice sur l’arcade droite. « Bon, moi c’est Deön et tu dors dans ma chambre depuis hier, d’où ma présence ici », présenta-t-il dans un sourire qui n’avait rien de sincère. Il se leva, se découvrant torse nu, un pantalon de pêcheur serré par un simple lacet autour de sa taille. Il ne semblait pas plus grand qu’elle malgré sa carcasse bien façonnée.
Les prunelles noires du jeune homme se baladaient sur les détails du corps de Lonka, instaurant un début de malaise chez elle. « Et toi, t’es qui ? », demanda-t-il à son tour.
– Je… Je m’appelle Lonka, répondit-elle, apeurée et troublée. On… on est où ?
– Tu veux vraiment que je réponde à cette question pour la troisième fois ? Réfléchis.
Pour la troisième fois ? Lonka courba l’échine et baissa les yeux devant le ton autoritaire de son hôte. Des bribes de souvenirs s’immisçaient dans son esprit. Elle se rappela d’une plage et de sa silhouette à son réveil. Ce jeune homme l’avait secouru à son arrivée sur cette île inconnue. Suän Or ?
– C’est Suän Or ? On est à Suän Or ?
– Eh bah tu vois ! Allez, lève-toi, t’as assez empiété sur mon espace personnel.
Deön se tourna et enjamba ses babioles jusqu’à une armoire débordante de vêtements. Il enfila à la hâte le premier bout de tissu lui tombant sous la main. D’un bleu écarlate, ce haut n’était pas du tout assorti à son pantalon jaune paille. Quel était cet énergumène aussi bordélique que mal habillé ? « Alleeeez, bouge-toi Lonka », somma-t-il en frappant énergiquement dans ses mains.
Lonka reprit son souffle et jaugea la “proposition” du jeune homme. Perdue, elle n’avait sûrement pas le choix de se soustraire à ses commandements. Au fond d’elle, son instinct lui disait de ne pas autant s’en méfier, alors elle décida de se lever.
Elle prit conscience qu’elle était vêtue d’une robe si longue qu’elle trainait au sol. Ses jambes étaient toujours ankylosées, mais elle s’affaira à enjamber tant bien que mal l’amoncellement d’objets la séparant de Deön. Plusieurs fois, elle manqua de trébucher sur un pli du tissu démesuré qui la recouvrait. « Désolé, je n’ai rien trouvé d’autre qui pouvait correspondre à une fille », dit le jeune homme en observant la démarche pathétique de la rescapée.
– On va où ? demanda Lonka, une fois à hauteur de son hôte.
Ah d’accord, on a vraiment la même taille, se confirma-t-elle intérieurement. Ce détail lui paraissait quelque peu rassurant.
– Te présenter à un gars comme nous.
Deön appuya sur un interrupteur aux abords de l’armoire. Une partie du mur se fondit dans une puissante onde bleue. Cette dernière, aussitôt apparue, se volatilisa dans un bruit légèrement strident que la jeune fille n’avait jamais entendu auparavant. Un passage vers un couloir bien plus lumineux se découvrit.
– C’était quoi ça ?!
– Une holoporte.
– Une quoi ?
– Plus tard les découvertes, viens !
Alors que Lonka butait encore sur les réponses énigmatiques de Deön, elle lui emboîta le pas.
– Attends-moi ! s’exclama-t-elle de manière plus vigoureuse en relevant les pliures de sa robe, prête à se lancer sur ses traces. Un gars comme nous ? Comment ça ? Vous êtes…
La jeune fille s’arrêta net. Éblouie par une vive lumière dorée, elle détourna le regard vers les larges murs transparents dessinant un paysage haut en couleurs et des plus intrigants. Elle percevait les contours d’une immense bâtisse, perchée sur les bords d’une falaise donnant sur une baie en contrebas. Des chutes d’eau aux vrombissements apaisants s’échappaient de la roche perforée de crevasses. Lonka s’approcha de cette surface capable de refléter le monde extérieur. Elle n’avait jamais vu ça, de même qu’elle n’avait jamais vu d’installation humaine construite dans une roche si lisse et luisante, peinte d’un jaune clinquant. En plongeant son regard vers l’étendue d’eau, elle remarqua des chariots volants aux courbes racées, leur aspect étant bien plus abouti que les modèles virevoltants au-dessus de Nygönta.
Et puis, en levant les yeux, elle découvrit que ce ciel était embué de nuages dorés, apposant un filtre safrané à cette nature verdoyante.
C’était magnifique.
– Hum, qu’est-ce que tu fais ? demanda Deön en s’approchant de la jeune fille, l’air inquisiteur.
– Qu’est-ce que c’est que tout ça ? Comment font ces murs pour me laisser voir l’extérieur ?
« Oulaaaa ! Ah oui… tu viens de très loin en fait ! », Deön leva les bras en l’air, consterné. « Alors, pour commencer, ça, ce sont des vitres », énonça-t-il en pointant la surface du doigt. « Et j’imagine que si tu ne sais pas ce que sont des vitres, tu ne dois pas bien comprendre comment et avec quoi ce temple est construit, alors, avant que tu me poses dix mille questions, je t’emmène voir l’autre, il est beaucoup plus bavard que moi ! ». Deön attrapa Lonka par la main et la tira dans sa direction.
– Mais, Deön, att’…
– Non non, chuuuuut. Voilà voilà, tu gardes sagement tes questions pour plus tard.
La jeune fille se laissa finalement tirer dans les couloirs du temple. Elle connaissait ce Deön depuis peu de temps, mais cet esprit vif et décalé, de même que son aspect débridé suscitaient plus la curiosité que l’inquiétude.
Ils traversèrent deux autres corridors tapissés de ces “vitres”, lui laissant le temps de se perdre dans l’observation de ce lieu hors du temps.
« Vaä, c’est nous ! », tonna Deön en arrivant dans un grand salon, bien plus spacieux et ordonné que le bazar lui servant de chambre. Lonka remarqua un homme installé dans un confortable canapé en cuir. Un cuir lisse et fignolé au poil près, teinté d’un beige élégant. Ce “Vaä” était élancé, d’une constitution saillante. Il prenait toute la longueur du divan. Quelques rides apparaissaient sur son visage fin aux traits marqués, mais ses cheveux coupés au carré et sa barbe de trois jours restaient teintés d’un noir éclatant. Sa peau était blanche, voire blafarde, à croire qu’il n’aimait pas les bienfaits du colosse enflammé qui reflétait ses rayons à travers la “vitre” lui faisant face. Il retira ses lunettes et ses yeux légèrement plissés glissèrent dans la direction de Deön : « Bonjour Deön et… », il se tourna lentement en pointant du doigt l’invitée du jour : « bienvenue à toi, mystérieuse naufragée ». Vaä reçut avec un sourire sincère le regard interrogatif de Lonka. Elle se sentit rougir, impressionnée par la prestance du grand être.
– Je te présente Lonka du coup, c’est ainsi que notre cher “gibier” s’est prénommé.
– Ahah, seulement ton “gibier”, s’esclaffa Vaä d’une voix bienveillante, s’extirpant du canapé.
Cher gibier ? Heuu mais en fait qu’est-ce qu’il va se passer avec… Woh il est vraiment grand ! Lonka fut coupée dans ses errements devant le corps immense de Vaä. Longiligne, il devait bien faire une tête de plus que Banaji (son repère pour les hommes de grande taille). En s’approchant au plus près d’elle, il lui obstrua une partie de la lumière.
Vaä posa délicatement ses mains sur les épaules dénudées de Lonka. Elle sentit une chaleur apaisante, une présence qui lui rappelait celle du No Gata.
– Je suis heureux de te rencontrer, Lonka. Je m’excuse pour toutes les misères qui t’ont conduites ici. As-tu faim ? Soif ? Te sens-tu encore faible ?
– Je… Je crois que je vais bien...
Lonka peinait à s’exprimer, mais Vaä ne la sermonna pas pour son silence. Lassé, Deön s’éloigna du groupe et se dirigea dans une autre pièce.
Le grand être l’invita à s’installer sur le divan, puis lui apporta une couverture et une jarre remplie d’eau fraîche. Deön revint finalement avec une miche de pain généreuse et des morceaux de viande séchée découpés par ses soins, transportant le tout sur un plateau de bois. À la surprise de Lonka, il déposa le repas en face d’elle et lui fit comprendre qu’elle pouvait se servir.
Submergée par une soudaine émotion, Lonka sentit les larmes lui monter. Elle croisa le regard sombre de Deön. « Non, tu ne refais pas “ça” », chuchota-t-il, la plongeant un peu plus dans l’incompréhension et le désarroi.
– Je… Je voudrais juste retrouver mon frère et mes parents, énonça-t-elle, la peine dans l’âme.
Pris d’empathie, Vaä s’installa à côté de la naufragée :
– Lonka, tu viens de Nygönta n’est-ce pas ? Questionna-t-il, la douceur dans sa voix présageant une annonce funeste aux oreilles de la jeune fille, qui acquiesça péniblement. Il y a dix-neuf jours, la capitale des nations de Nygönta, Jovoko, a été envahie par une Croisade avazen. Aux dernières informations que j’ai glanées, la Croisade continuerait son chemin dans les mers du sud, ce qui signifie probablement que ta terre natale, comme tu la connaissais, n’existe plus… Je suis désolé.
Deön fit les gros yeux à Vaä. Il sentait que la situation pouvait déraper comme ce fut le cas sur la plage de No’Agaba. Le grand homme, d’un geste de la main, l’appela à se calmer.
– Mais… Mais pourquoi ? Qui sont-ils et pourquoi ont-ils fait ça ? questionna Lonka d’une voix tremblante.
– Ah oui, j’avais oublié de te dire qu’elle posait beaucoup de…
– Les Avazen sont des peuplades régies par un Empire. Cet Empire qui s’est créé il y a cent cinquante terravolutions a absorbé des nations, des royaumes, d’autres empires même, dans un but d’unifier les hommes sous un unique pouvoir. Mais c’est un Empire en manque de terres fermes, devenu si grand en nombre qu’il a tendance à se diviser de lui-même. La Croisade qui a raflé Nygönta semble agir aux dépens des ordres impériaux, pour ses propres raisons.
– Et tu en faisais partie, rebondit Deön, les bras croisés.
– Mais comment ça ?! C’est quoi toutes ses allusions que je ne comprends pas ?! tonna Lonka, au bord du sanglot. Je suis comme vous ! Je fais partie de “leur raison” ! Et c’est quoi un Empire ?! Comment ça ils n’ont pas de…
– Oh mais rolala !! c’était bien quand tu dormais aussi ! s’exclama Deön, attirant le regard foudroyant de Lonka, vivement imitée par Vaä.
Il vit alors le visage de la jeune fille se déformer. Un puissant râle parcourait ses entrailles et s’apprêtait à jaillir. « Non, non, non ! », Deön s’empara du plateau en bois, renversant la nourriture au passage. Il le brandit avec hargne au-dessus de la tête de Lonka. « Deön ! », Vaä accompagna sa réprimande d’une claque sur le plateau.
Au contact de sa main, le bois se désintégra dans une flaque liquide qui se déversa sur la tête de Deön, éclaboussant avec force la tenue du grand être, la chevelure de la naufragée, et le tissu du canapé.
Lonka cria sa tristesse et sa douleur, laissant les larmes couler abondamment sur ses joues rougies.
Deön, détrempé et stupéfié, observa le spectacle, incrédule. Cette fois, le sol n’avait pas tremblé ; une tempête de fluide n’était pas apparue.
Lonka pleura un moment qui parut une éternité pour un de ses hôtes. Emmitouflée dans sa couverture, elle enfuit sa tête entre ses mains et s’avachit non loin de son seul bienfaiteur.
– Tu… Tu viens de me verser du “bois” sur la tête là ?
– Je n’avais pas le choix Deön, tu t’apprêtais à la frapper avec.
D’un œil sévère, Vaä soutint le regard bouillonnant de son acolyte.
– Très bien, j’me casse, rétorqua sèchement le détrempé avant de tourner les talons.
Vaä le laissa partir puis, après quelques réflexions, posa sa main sur la tête de la jeune fille pour l’apaiser. Lonka continuait de sangloter dans son amas molletonneux, sans faire attention à ce geste. Il observa les petites cornes incrustées dans sa nuque, dépassant de sa chevelure mouillée par le bois liquide. Deön m’a parlé de tentacules lorsqu’il l’a récupéré, il y a deux jours... Des tentacules qui se sont rétractés... se remémora-t-il, particulièrement intrigué par cette particularité. Il effleura de ses doigts le bout des appendices composées de matière noire, teintées d’ivory. Des tentacules semblables à des Hantz...
Lonka se redressa lentement, essuyant ses pommettes humides. Vaä rétracta aussitôt sa main et dit :
– Lonka, je te promets que moi comme Deön t’expliquerons tout ce que tu veux savoir.
– Je... je suis désolé, je ne comprends pas où je suis... Je ne comprends pas qui je suis, répondit-elle entre deux hoquets.
– Tu es probablement une des nôtres, Lonka, et nous t’avons recueillie pour te protéger. Ces Avazen ont pillé tes terres pour débusquer des individus comme nous. Dans ce monde, les hommes nous chassent ou nous vénèrent, car, selon eux, nous sommes des “anges”.
« Des anges ? », Lonka regarda Vaä avec des yeux bien ronds.
– Nous t’expliquerons tout, mais pour l’instant repose-toi, encore un peu…
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