Chapitre 28 : Ailes déployées

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Le message remontait à sept terravolutions, bien avant que Nygönta ne sombre dans le chaos. Ce jour-là, le No Gata s’était directement adressé aux Aènjuggerz : « Ici le No Gata, souverain des Nations unies de Nygönta, dont le premier conseil s’est tenu aujourd’hui. En tant qu’êtres suprêmes, vous comprenez bien que mon appel ne concerne pas ce jour glorieux pour la paix sur nos terres, il concerne une étincelle. Un “petit ange” encore frêle m’a rendu visite... D’abord dans mes songes, à présent devant moi. Je ne sais pas depuis combien de temps il arpente nos terres, mais j’ai la sensation, le sentiment, qu’il apporte une nouvelle aube dans son sillage. Cependant, je ne peux pas encore savoir s’il s’agit d’une aube verdoyante ou pourpre. Notre monde est encore jeune, en recherche d’équilibre, notre présence en tant que témoin humarion nous a appris à se méfier même du plus infime des frémissements. Cependant, ce “petit ange” est bien entouré pour le moment », Vaä écoutait le message pendant que les destinations défilaient sur les écrans de sa cryptobase : Port Aizen, Avaloz Viva, Yu Senyu, les grandes capitales de ce monde avaient reçu l’information. Seulement éclairé par les ondes verdâtres des écrans, l’Aènjugger sondait ainsi les traces du passé de Lonka. Il avait entendu cette diatribe d’autrefois sans y prêter plus d’attention, sa curiosité douchée par le manque de détails, mais en cette aurore brumeuse, il percevait à travers les mots du No Gata la présence de sa nouvelle protégée : 

« Tant qu’il restera avec sa nouvelle famille, je ne crains rien pour ses aspirations à venir, mais, si jamais un jour quelque chose devait le séparer de son cocon, nous devrions surveiller entre quelles mains ce “petit ange” atterrirait, qu’elles ne soient pas trop imprégnées de sang. Dans tous les cas, aujourd’hui est une journée marquée du sceau de l’éternité : les nations de Nygönta ont entamé leur union sous un œil divin et bienveillant. Vous qui pouvez déployer vos ailes, vous saurez accueillir cette étincelle dans votre domaine. »

Vaä éteignit la réception sonore. En s’adossant à son siège, il plongea dans une longue réflexion, à mesure qu’une sensation l’oppressait. Quelque chose ne collait pas dans toute cette histoire, notamment cette Croisade barbare. L’Empire Avazen avait traversé une période de renouvellements territoriaux et politiques assez longue et intense pour oublier la terreur inspirée par sa conquête du monde. L’Empereur avait marqué une pause, plus occupé à bâtir qu’à exterminer. N’était-il plus respecté par des armées en quête de sensations ? Au point de ne rien contrôler à présent ? Si le Larj Xoneineim avait assouvi sa vengeance dans ses anciens fiefs, la Nygön Zön ne restait pour autant qu’un point de passage dans sa course folle. Une course à la gloire ? Au savoir ? À la fortune ? Ou encore au simple désir de destruction ? Dans tous les cas, une course qui frôlait dangereusement l’Orr Ozfazi et Suän Or.

Les nuages dorés se teinteraient bientôt de rouge.

Une idée émergea. 

Vaä voulait lever ses doutes.

***

Lonka observait Deön amarrer son chariot volant dans la baie du temple. Accoudée à la barre d’un autre voilier pataugeant dans la crique, elle inspectait chaque geste du chasseur. Il ramenait à son bord les fruits de son expédition : un glazon-nain et quelques volïs en cage. Le ciel et sa brume dorée accueillaient le colosse enflammé et Suän Or s’éveillait aux chants des oiseaux. 

Deön avait tenté de lui apprendre que ce « colosse enflammé » se nommait « soleil », mais Lonka n’aimait pas cette abréviation pour désigner l’astre céleste. 

Le chasseur avait accepté malgré lui de prendre la jeune fille sous son aile, seulement, il refusait toujours de la guider à l’extérieur du dôme. « T’es pas censée être en pleurs quelque part sur un lit toi ?! », demanda-t-il la veille avec agressivité un fois où Lonka se montra trop enjouée. Elle partit alors s’enfermer dans un coin, repenser à son ancienne vie sur Nygönta et des images aussi floues que douloureuses remontèrent à son esprit. Elle détesta son piètre secouriste : il n’avait rien d’un héros, ni sympathique ni servant, même Jorïs était plus preux et fort. Puis elle se demanda si ce n’était pas elle-même qu’elle haïssait ? Avait-elle le droit de retrouver si tôt le sourire ? Avait-elle le droit de penser aux aventures d’après ? Pourtant, à son réveil, l’instinct la poussait de nouveau à s’émerveiller de l’architecture du temple, de la beauté de cette nouvelle nature réchauffée par un ciel divin. Les enseignements sages de Vaä absorbaient son attention, comme les attitudes guignolesques d’un Deön faussement sérieux.

 « Vaä !! C’est bon pour moi !! », hurla ce dernier en direction du temple perché. 

Le calme plat régnait au pied du temple, au point que le cri de ralliement du jeune homme fit tressaillir Lonka. Remarquant sa présence, il se tourna vers elle, arc à la main. « Qu’est-ce que tu me veux toi ? », invectiva-t-il d’un ton sec, l’œil plissé et la prunelle acérée. Lonka haussa les épaules en guise de réponse. J’imagine qu’il va encore se plaindre de s’être levé du mauvais pied. « Je sens que tu nous as encore préparé un lot de questions et d’expressions débiles, mais ce matin je ne suis pas d’humeur », exposa-t-il, s’affairant à replier sa grand-voile sur son mât. Eh bah voilà, pensa Lonka, laissant échapper un gloussement. Depuis le pont de son chariot volant, Deön ressentit l’espièglerie de la jeune fille et lui jeta un regard hautain.

Le maître des lieux apparut dans les hauteurs de la baie et s’approcha au bord d’une passerelle. Luisante au centre des premiers rayons aveuglants, sa silhouette se jeta du perchoir et pénétra la baie une fraction de temps plus tard, achevant son plongeon vertigineux dans un bruit de goutte d’eau tombant à la mer. « Je crois qu’il t’a ramené quelque chose », énonça Deön en s’adressant à Lonka. Cette dernière se pencha un peu plus au-dessus du rebord de sa chaloupe pour attendre, curieuse, la remontée du grand être : son visage desséché sortit des flots en projetant de fines gouttelettes. 

Le sage nagea avec maîtrise et élégance vers la jeune fille. Entre ses mains balayant la baie dans des gestes amples et synchronisés, il tenait fermement ce qui ressemblait à des disques du même métal que la bâtisse, scintillant de quelques plaques jaunes. 

Le grand être s’éleva jusqu’à passer au-dessus de la barre du navire. Comme s’il avait pris appui quelque part sous l’eau pour sauter à bord, il atterrit juste à côté de Lonka. Déjà témoin de quelques-unes de ses étranges démonstrations, elle admira cette nouvelle prouesse sans appréhension, mais toujours avec surprise. 

Vêtu de son pantalon de pêcheur collant et dégoulinant après cette escale aquatique, Vaä se tourna d’abord vers Deön : « Le gibier attendra, il est temps de s’assurer de quelque chose d’abord ». Le chasseur roula des yeux : il avait déjà compris, pas la peine qu’on lui fasse un rappel.

Le maître des lieux s’assit ensuite sur une cale pour faire face à la jeune fille. Lonka inspectait d’un œil avisé les artefacts qu’il tenait. Les deux disques de forme ovoïde étaient similaires. Les plaques de métal vernies d’or entouraient un noyau solide, strié de veinules parcourues de lueurs bleutées. 

Vaä ne montrait qu’un versant des objets. De ce qu’elle avait aperçu entre deux moulinets marins, le dessous semblait plus organique.

– Ce sont des juggerhaz[1], exposa-t-il. Tu n’en as sûrement jamais entendu parler, mais si jusqu’à maintenant nous ne doutions pas de ta nature, nous serons en partie fixés grâce à un de ces artefacts.

Lonka lui offrit ses plus beaux yeux ronds en guise d’interrogation. Vaä esquissa un sourire et convia sa protégée à le suivre. Ils sautèrent depuis la proue du navire sur l’amas de roche. Deön s’installa sur une cale à son avant-bord, bras croisés devant l’expérience qui se tenait à quelques pas de lui.

Vaä lança un juggerha à Lonka. Après réception, elle en profita pour retourner le disque, découvrant des petits crochets repliés autour de ce qui ressemblait à un abdomen d’insecte. L’aspect mécanique et sombre de l’ensemble, niché dans le creux d’un artefact hors du temps, lui évoquait les chimères qu’elle avait rencontrées dans le grand berceau de Nygönta. Lonka ressentit une boule dans sa gorge ainsi qu’une douleur à sa nuque. Elle caressa ses cornes avec une soudaine anxiété, le souvenir d’un hant l’angoissait autant qu’il la dégoûtait.

– Tout va bien se passer, tempéra Vaä. Ces juggerhaz sont des systèmes qui entrent en symbiose avec le corps de certains individus par le moyen de ses crochets – Alors que Vaä parlait, Lonka vit les crochets se déplier autour de l’abdomen de la bête, s’articulant telles de petites pattes –. Je voudrais simplement que tu fixes cette face qui doit te sembler un poil organique sur ton dos… Tu ne sentiras aucune douleur.

– Je ne suis pas sûr de vouloir me faire écorcher le dos par cette chose, rétorqua Lonka qui tordit sa bouche en observant les pattes-crochets chercher vainement un point pour s’agripper.

– C’est impressionnant au premier regard, mais ne t’inquiète pas, les juggerhaz sont des objets, pas des êtres vivants. 

– Moi perso, je n’y crois pas non plus ! s’exclama Deön pour se faire entendre depuis son navire.

Vaä leva les yeux au ciel, consterné.

– Ok, je vais le faire, lança Lonka en jetant un regard hautain à Deön.

La jeune fille voulait faire confiance à Vaä malgré l’acte répugnant qu’elle imaginait s’infliger. Le grand être haussa les sourcils, surpris. Il se tourna vers Deön, un sourire en coin marquant sa victoire. 

– Et heuu… Si ce que vous voulez voir n’arrive pas ? Qu’est-ce que ça voudra dire ?

Vaä se figea un instant, en pleine réflexion.

– On te jette ! s’exclama à nouveau Deön en levant les bras en signe de victoire.

Lonka lui jeta cette fois un regard empli de colère, ce qui ne semblait pas déranger le chasseur.

– Non, personne ne jette personne ici. Si ça ne marche pas, ça signifiera sûrement que ton futur sera moins périlleux que supposé.

Ah… À ces mots, Lonka se contracta. Au fond d’elle, elle appréciait l’idée d’avoir un destin, aussi périlleux soit-il. Quelque part au fond de ses entrailles, elle ressentait la volonté de faire ses preuves face à cet être extraordinaire. 

Sans renchérir, Lonka ferma les yeux et brandit le juggerha au-dessus de sa tête. 

En s’imaginant les pattes-crochets venir trifouiller ses cheveux, un long frisson parcourut son échine. Elle s’empressa de glisser l’objet dans son dos. « Iiiish… », susurra-t-elle en serrant les dents lorsqu’elle sentit de petits picotements au creux de ses omoplates. Elle ferma un peu plus fort ses yeux, comme pour chasser les images des crochets s’enfonçant dans sa peau. 

– Très bien, maintenant, concentre-toi, résonna la voix de Vaä.

Lonka tenta de se détendre et contrôler son souffle. Elle devait sûrement se concentrer sur la bestiole accrochée à son dos, alors elle tenta de visualiser cette zone.

Le calme plat régnait dans la crique.

Au bout d’un certain temps, Lonka ouvrit les yeux. Vaä la regardait, sans aucune expression apparente. Rien n’avait changé. « ouaiiiiiii !! On-la-jette !! », beugla Deön en battant l’air de ses poings dans une danse victorieuse. La jeune fille inclina la tête et contempla le sol rocheux, agacée. 

– Relève la tête et regarde, somma Vaä d’une voix sage.

Elle observa timidement le maître des lieux porter l’artefact jumeau à son dos. Elle aperçut les pattes-crochets se tendre, comme appelées par la peau du grand être. Cette vision lui infligea une douloureuse pression à l’endroit où son juggerha s’était accroché. Elle passa sa main derrière elle pour en sentir les contours, chercher un moyen d’arracher cet abominable insecte.

Quand soudain une puissante lumière l’aveugla. Elle entendit ce bruit d’holoporte qui s’ouvre, attisant son besoin de contempler l’œuvre au lieu de s’acharner sur l’artefact. Mais… Wouaaah c’est magnifique.

C’étaient des ailes. 

Deux grandes ailes majestueuses, dont l’éclat si pur empêchait d’en distinguer les détails. Un fluide bleu crépitant de petites étincelles animait chaque plume. 

La silhouette de Vaä reprenait forme à mesure que les scintillements s’adoucirent. 

– Lonka, tu es très certainement une simple Humarion, ton juggerha n’a pas réagi, exposa le grand être.

La phrase sonna comme un coup de poignard à son cœur. Non, je veux des ailes aussi… Ses yeux rougirent autant que ses joues.

Deön regardait la scène d’un œil plus sombre. Cette fille n’avait pas déployé d’ailes, mais la crise de son premier réveil était capable de ravager une plage entière. Le chasseur s’accouda à la bordure de son navire :

– Quand vous aurez fini, vous irez rapporter le gibier en volant, ça m’évitera d’avoir recours aux poulies. Merci bien.

En volant, je veux voler. Lonka se répéta les derniers mots du chasseur. Elle ferma les yeux le plus fort possible, tétanisée par son échec. Je veux le faire, je peux le faire. Une larme coula sur la joue de la jeune fille. « Tu peux prendre le pouvoir ».

Lonka entendit un nouveau bruit d’holoporte qui s’ouvre. 

Puis le silence, vite parasité par de doux vrombissements. Des liserés bleus dansaient sur la fente de ses paupières. « Eh bah voiiiilà », résonna la voix de Deön.

Lonka ouvrit les yeux et découvrit ses ailes déployées. Je... l’ai fait ?... comme ça ? Elle traversa les mirages de plumes de ses mains, pénétrant une chaleur rassurante. Ses ailes ne semblaient finalement être que du gaz. Elles paraissaient pourtant si palpables. 

En imaginant un battement, elle fit réagir l’artefact, qui fit décoller Lonka en soufflant le sol de ses ailes. « Wouuuah mais je fais quoi maintenant ?! », la jeune fille vit ses pieds s’éloigner du sol pour stagner dans les airs. « Reste calme Lonka, c’est parfait ! » s’exclama Vaä, soudainement enjoué.

– Finalement, tu es un être assez unique Lonka, mais je ne sais toujours pas si tu es comme nous, reprit le grand être en s’élevant dans un battement d’ailes leste et majestueux. Cependant, les événements finissent par se dérouler comme l’avait prévu le No Gata.

– Vous connaissez le No Gata ?! éructa Lonka, perdant son équilibre aérien.

« Oh !! Et la bouffe alors ?! », tonna Deön alors que la jeune fille gesticulait dans tous les sens en se voyant perdre pied. Ses ailes s’affaissèrent et Lonka chuta, se cognant avec fracas sur le côté de la proue avant de finir dans l’eau, peu profonde.

Elle avait heurté le fond de face et de plein fouet. « Ouch », siffla Deön en s’imaginant la douleur. 

« Ça va ! Tout va bien ! », réagit aussitôt Lonka en levant une main pour attester de sa survie. La jeune fille se releva avec quelques craquements d’os. Un bout de son crâne saignait abondamment. « Je sais voler, tout va bien ! », s’exclama de nouveau la dur au mal dans un sourire.

Vaä redescendit à sa hauteur. Une fois à terre, ses ailes se dispersèrent dans un nuage de miroitements bleutés. Lonka, euphorique, tenta d’en attraper quelques-uns au passage, puis se souvint des dernières paroles du maître des lieux :

– Vous connaissez le No Gata alors ? Vous savez ce qu’il se passe sur Nygönta ?!

– Dans notre situation, les explications peuvent attendre le repas, exposa Vaä. Épanche le sang et déploie tes ailes à nouveau. Remonter le gibier va être un bon entraînement. 

***

Une deuxième carcasse de volaille fut jetée sur le plateau de fer, au centre de la table carrée. Deön, Vaä et Lonka mangeaient avec voracité, enchainant les morceaux de volïs* et les assiettes de pommes de terre et maïs frits, accompagnés d’eau fraîche pour l’une, de liqueur alcoolisée d’un rouge sombre pour les autres. 

Deön avait passé la fin de matinée à équarrir son glazon-nain. Vaä avait transporté le cadavre de la bête à bout de bras, volant jusqu’à une plateforme du temple. Lonka dut s'y reprendre à trois fois avant de comprendre les mécanismes de décollage. Aussitôt qu’elle remonta la cage aux volïs, le chasseur s’en empara pour les préparer entre deux découpes. Les volatiles décapités, plumés et vidés de leurs entrailles étaient placés dans une cheminée. La graisse et le jus qui coulaient de leurs pores attisaient le brasier en dessous du grillage.

– C’est… délicieux ! s’exclama Lonka en se léchant les babines après avoir dévoré une cuisse jusqu’à l’os. Au fait, Vaä, je n’ai pas oublié ma question de tout à l’heure.

Vaä s’essuya la barbe naissante avec un torchon. Son teint blafard contrastait avec la lumière artificielle éclairant la mezzanine du salon. Une lumière incrustée dans des dalles du plafond, sans aucun feu pour l’alimenter. 

– Depuis de nombreuses terravolutions, certains humarions gardiens de leur territoire se sont “connectés”. Ils ont trouvé ou acquis la technologie pour converser avec des destinations du monde entier. Et un petit nombre d’entre eux, approchés par les Aènjuggerz, ont le moyen de les informer en personne.

– C’est comme ça que vous avez parlé avec lui ?

– En effet, je ne l’ai jamais vu physiquement, mais j’ai eu l’occasion d’écouter sa voix quelques fois.

– Donc… Vous êtes un Aènjugger ?

– Oui.

– Et Deön aussi ?

Vaä se tourna vers le chasseur, qui stoppa son masticage pour lui jeter un regard sombre. 

– Disons que oui. 

Lonka se tourna vers Deön, qui esquiva l’inquisition en se replongeant dans son assiette. 

– Certaines choses sont complexes à expliquer, reprit Vaä. Mais partons du principe qu’aux yeux des hommes, nous sommes tous les trois des “anges”. Nous sommes considérés comme des êtres aussi divins que menaçants. Et jusqu’à maintenant, l’homme a eu raison de nous craindre.

– Comment ça ? Interrogea Lonka, prise d’une bouffée de chaleur à ces mots.

– Les anges n’ont pas vocation à protéger les hommes, chacun agit selon sa nature, sa fonction, voire ses intérêts. Les plus forts d’entre eux voient ce monde comme un grand terrain de jeu. 

– Vous êtes si puissants que ça ?

– Oh que’ui, coupa Deön, la bouche encore pleine.

– Plus nous avancerons dans le temps, moins nous le serons. Aujourd’hui, un ange peut se retrouver… en danger.

– Tu ne comprendras pas tout en un jour Lonka, coupa de nouveau Deön.

– Je veux juste savoir à qui j’ai affaire et qui je suis !

– J’arpente ce monde depuis quatre cents terravolutions, exposa Vaä. Ou peut-être cinq, et j’ai vu l’homme renaître et recommencer sa course du temps. C’est tout ce que je peux te dire sur moi et je ne peux rien révéler sur toi, car je ne sais pas qui tu…

– Pulcherra !

Vaä tiqua, son regard plongeant dans celui de Lonka. Cette dernière affichait un air sérieux :

– Avant que les barbares n’attaquent Nygönta, j’ai visité un donjon avec mon père et mon frère. Des voix m’appelaient Pulcherra, je vous jure que je ne mens pas !

– D’accord, conclut Vaä en plissant les yeux, dubitatif.

– Alors ? Je suis quoi ? Renchérit-elle. 

– Je ne sais pas, dit le grand être – Sa réponse plomba l’ambiance –. Les Aènjuggerz ont chacun un “titre” finissant par « Krion ». Moi par exemple, c’est « Raphakrion »… donc « Pulcherra », je ne sais pas ce que c’est.

« Ah… », Lonka s’affala sur sa chaise, déçue, sans même relever les informations que Vaä venait de lui transmettre. Elle entendit un début de ricanement provenant de Deön. Pffff, il commence vraiment à me gonfler celui-là. « Deön, cet après-midi, j’aimerais que tu emmènes Lonka avec toi au centre de l’île », continua Vaä. Oh oui, enfin une bonne nouvelle ! pensa Lonka, qui se redressa aussitôt.

– Les milices de Golèn et à présent de Talèn sont à notre poursuite. Ils sont au courant pour Lonka et pour le dôme et ce n’est qu’une question de temps avant que Gojïn ne le retrouve. Même si les mirages employés permettent de flouter les pistes, il va nous retrouver. Alors pourquoi je devrais prendre des risques supplémentaires en emmenant une personne qui croit que le soleil est un « colosse enflammé » ?

– Vous allez vous rendre à l’absorbe-ciel[2] du territoire Zhivän, la “Grande Verte”. J’aimerais qu’elle la réactive.

Deön leva un sourcil, incrédule devant la réponse de Vaä.

[1] Juggerha(z) : cf. Glossaire/Artefacts-Mécaniques. Un artefact à l’aspect organique : composé de ce qui semble être un abdomen d’insecte, et ses six pattes utilisées comme des crochets, revêtu d’un disque d’acier percé d’embouchures, le juggerha peut dévoiler des ailes majestueuses lorsqu’accroché à un organisme humarion. Il permet ainsi à son porteur de voler sur de longue distance avant de s’épuiser. Sa durée de vie est d’environ deux mille lieues.

[2] Absorbe(s)-ciel : cf. Glossaire/Artefacts-Mécaniques. Une grande structure, équivalente à des éoliennes améliorées. L’absorbe-ciel permet d’alimenter en énergies diverses des territoires, reliés par des câbles souterrains, et sert de base de contrôle pour des tâches de communication. Sur Suän Or, les habitants surnomment cette structure une "Grande Tige".

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