Chapitre 43 : Trente-six graduations de colères
Les battements cessèrent doucement pour laisser place aux aboiements des troupes. Certains criaient leur victoire ; d’autres ordonnaient le déchargement des navires et le rassemblement.
Deux cents Avazen débarquèrent ainsi sur Suän Or.
Un régiment se chargea d’éteindre un début d’incendie forestier.
Après avoir descendu des balistes au ras du fleuve par des systèmes de poulie, ils projetaient des trombes d’eau sur la rive.
Cyberponneur à l’épaule, Shrïn s’approcha de Kalah. Le puissant Avazen aux nattes rouges reprenait son souffle. « L’occupant de leur navette de reconnaissance a réussi à s’échapper dans les bois, Hiel s’est lancé à sa recherche », exposa le Deikh Nemara en déposant son arme dans le creux d’une racine. Kalah lui lança un regard confiant, sans arrêter ses étirements. Shrïn toisa son large buste, gonflé et saillant, reluisant de gouttes d’eau et de transpiration. Son camarade dégageait une puissance admirable, mais Shrïn savait que cette “médecine” le rendait tout aussi vulnérable et agressif.
– Tu en as repris ?
– J’ai deux autres capsules sur moi, répondit Kalah, sans détour. On combat des anges, n’est-ce pas ?
Shrïn haussa les épaules et acquiesça de la tête. Depuis leur plancher de racines qui n’avait pas succombé aux tirs de canons, les deux commandants de l’armée avazen pouvaient jauger la suite des opérations. La brume terreuse ayant achevé de se dissiper, leurs quatre bateaux rassemblés sur le large bras d’eau formaient le panorama.
– D’ailleurs, tu les as vus en action ? demanda Kalah, un sourire en coin. J’ai croisé le regard du petit merdeux, il n’a pas bougé un doigt. Je t’avoue être un peu déçu de leur réponse.
– Il me semble avoir remarqué quelque chose lorsque leur embarcation a explosé en vol, mais je n’en suis pas sûr… de toute façon, soit nous avons très bien accompli notre tâche, ce qui explique leur tétanie, soit ils ont fait exprès de nous galvaniser, avec un plan derrière la tête.
– Aucun plan ne commence comme ça, rétorqua le Deikh Oberzheim avec un air plus sérieux.
– Nous verrons bien. Je pense que l’on devrait maintenir nos offensives pour une partie de la journée – Shrïn se tourna vers les troupes –. Tu vois, il est arrivé une cinquantaine d’hommes par navire. Je te propose que l’on sélectionne les vingt meilleurs éclaireurs pour pister les survivants, pendant qu’un équipage continue le bombardement. Le reste formera le camp et assurera les arrières.
Kalah se tourna vers les soldats affairés à calmer les flammes. Un rideau de fumée noire envahissait le ciel.
Il hésita à contredire Shrïn sur la poursuite des attaques balistiques, puis se ravisa. Le Deikh Shrïn Nemara était un tacticien doué, secondé dans cette mission par le Meid’Deikh Ryzmo Urka, pourvu de la même intelligence logistique. L’issue ne pourrait qu’être glorieuse.
– Nous reprendrons cette nuit donc ?
– Si les gozbumz[1] ne les ont pas fauchés, nous les achèverons à la nuit tombée, avec toute notre armée. Je pense que même les anges ne pourront rien faire face à nos divers moyens.
Les autres gradés rejoignirent leurs chefs depuis la forêt et les côtes.
Malaz et une dizaine de soldats fraîchement sortis des navires traversaient les remous boueux de l’affaissement de terrain. « Hiel devrait revenir d’un instant à l’autre, je retourne à la forêt sonder le terrain. », exposa Shrïn en reprenant son cyberponneur. « Je te laisse leur dire. », conclua-t-il avant de tourner les talons et de s’éloigner.
Mains sur les hanches, Kalah le regarda s’enfoncer dans la frondaison dense.
Le Deikh reprit une dernière fois son souffle, usé de son effort surhumain, rendu temporairement possible grâce à ses pilules.
Il se présenta ensuite devant la pente qui menait à la rive.
Les Dönz et les Meid’Dönz attendaient ses ordres, s’avançant un peu plus sur la corniche de racines. Malaz parvint bruyamment à s’extirper des derniers remous, emmenant son petit régiment au pied de la montée. « Statolo svayâz il stoyâz ! Svatalo eo svezerr de orrös il bleda ! Zît ina orzerr lugèn’enos vaterröra !![2] », gronda le Deikh Oberzheim. La clameur s’empara de ses généraux, prêts à entendre ses ordres.
***
« Pulcherra… reviens-nous… ». Mais d’où viennent ces voix, encore ? se demanda Lonka, qui peinait à reprendre ses esprits.
Se soutenant à l’épaule de Bojän, sa vue encore embuée percevait mal les détails de son environnement. En tournant la tête de gauche à droite, elle captait des regards songeurs. Les derniers soubresauts de mémoire lui semblaient comme un rêve. S’était-elle vraiment transformée ? Après le choc et l’évanouissement, seule la marche affolée des miliciens la ramenait à cette possible réalité. « Allez, courage Lonka ! », insista Bojän.
Pour suivre la cadence des alliés, le milicien la portait plus qu’il ne l’aidait à marcher. Ses pieds traînaient et raclaient la terre, trébuchant par moment sur des racines ou des petits amas de ronces.
Le terrain était abrupt, sauvage. La flore envahissait le décor. Les grands arbres les cachaient du ciel doré et les prédateurs guettaient.
Au milieu du cortège, Deön restait à l’affût. Arc à la main, son regard balayait les sentiers, habités entre autres par les arachnides et les plantes vénéneuses. Si un sligre devait bien se cacher dans un bosquet, une autre présence animait son anxiété. Des Avazen avaient dû rallier la carcasse brisée du croiseur et constater l’absence de cadavres. Miraculeusement, la quasi-totalité de l’équipage avait survécu à la chute, les arbres ralentissant la course du vaisseau. Seulement, plusieurs des miliciens survivants présentaient des lésions et des ecchymoses laissées par l’accident.
Équipés de leurs armes et des besaces prises dans les cales perforées du croiseur, ils devaient continuer la mission, coûte que coûte.
Boiteuse, Zoèn était épaulée par deux de ses camarades. Angoissée, en souffrance, endeuillée de Cheiki, Raämaänaha et Shaï – Cette dernière étant la seule à avoir péri dans le crash du vaisseau –, elle peinait à retenir ses larmes.
Le soleil brillait au sommet ; l’après-midi était bien entamé.
Le régiment se repérait au mont de La Grande Verte, pointant au loin à travers les stries des feuillages. Les Abysses Émeraude se trouvaient après cette frontière, gardée par les imprévisibles Zhivänz. En maintenant ce rythme, Deön savait qu’ils atteindraient leur destination avant même qu’une lune n’apparaisse. Était-ce juste la bonne idée ?
« Halte ! », somma un milicien en tête de cortège. Tout le monde s’arrêta pour observer ce qui se tramait au-dessus de la canopée. Les yeux aguerris localisèrent un autre de ces paquets explosifs. Il amorçait sa descente vers leur pan de forêt. À mesure qu’il se rapprochait, Deön et les miliciens constatèrent qu’il était bien plus gros que ces prédécesseurs. « À terre ! Bouchez-vous les oreilles », ordonna le chef d’escouade.
Il y eut un instant en suspens, puis une détonation si puissante qu’elle manqua d’en décrocher les cœurs de leur poitrine. Ceux qui ne s’étaient pas couchés furent projetés au sol avec fracas.
Une colonne de flammes s’éleva à quelques arbres de l’escouade.
Des nuages de poussière soufflèrent sur leur visage, puis le calme revînt.
Seule l’odeur nauséabonde émanant du cratère parvenait jusqu’à leurs narines. « Tout le monde est en vie ? », demanda Deön, vite refroidi par un début de plainte résonnant dans son dos. Un des champions d’Uvulèn, aux épaules larges et à la masse imposante, resta à terre, tiraillé de douleurs. Déjà blessé dans l’atterrissage brutal du croiseur, sa jambe droite offrait cette fois une vision affreuse : elle pendait à la perpendiculaire de son genou, le sang s’écoulant par la plaie de sa rotule arrachée. Un camarade tenta de le relever, lui arrachant un cri glaçant. « Eh bien, maintenant je n’ai plus de doute qu’ils puissent nous retrouver », siffla le chef d’escouade, blasé.
– Je suis désolé, chef, mais si vous comptez nous envoyer à la mort et faire des blagues, je ferai mieux de repartir à Uvulèn avec mes coéquipiers ! s’emporta un des miliciens au chevet du blessé.
Des miliciens s’approchèrent de la fronde.
« On doit continuer la route, on n’a pas le temps les gars ! », rétorqua Bojän, l’œil inquiet. « Toi, l’inconnu de Golèn, t’es pas invité ! », éructa le grand guerrier au crâne rasé et aux yeux d’un bleu profond. Deön fit signe à Bojän de ne pas répondre, avant de prendre la parole :
– C’est quoi ton nom déjà ?
– Mais tu sors d’où en fait ?! T’es qui sur Suän Or pour ne pas me connaître ?! s’emporta le milicien. Je suis Naëbel de Valantza, commandant de la garde personnelle du No Javulèn ! Médaillé de la soliballe[3] depuis deux Jeux consécutifs et représentant de la discipline pour le gala des îles connectées[4] ! Quant à mon frère que je tente de relever, ce n’est autre que Guzar Nanak, notre champion en épreuve de force ! Aucun de nous ne mérite ici de se faire commander par un gringalet incompétent et inculte comme la petite merde que vous êtes !!
– Ouais ! Vous et l’autre monstre à tentacules, vous devriez déguerpir maintenant ! ajouta un autre milicien sur le même ton agressif.
Deön jeta un regard à Lonka, encore étourdie au bras de Bojän. Un de ses tentacules s’était déchiré dans l’explosion, du sang et du fluide s’égouttant par moment de la plaie. L’autre trainait au sol, inactive. Lonka avait repris des yeux normaux, mais elle semblait exténuée. « Autre chose ? », demanda-t-il, sans détacher le regard de sa protégée.
Des oiseaux caquetaient dans les arbres, témoins amusés de la dispute.
– Oui ! Talèn et Uvulèn n’ont pas besoin du régiment de Golèn ! À part Dän, aucun de vous n’êtes des champions du Jeux de Suän Or ! Vous n’avez rien prouvé et maintenant il n’y a même plus votre capitaine pour vous protéger !
Deön s’empara d’une flèche de son carquois et en observa les stries. Le grand Dän, encore en pleine possession de ses moyens, se joignit à ses côtés, les bras croisés. Il était prêt à répondre à l’insulte, mais Deön le coupa :
– C’est bon, vous avez fini ?
– Ferme-là, chef de paille ! Sale déjection de glazon ! Si ce n’était pas un ordre des Ducs en personne de te suivre, on t’aurait déjà grillé à la broche ! feula Naëbel, le gros Guzar agonisant dans ses bras. Escouade des Oiseaux du tonnerre ? Laissez-moi rire ! – Deön banda son arc – C’est à cause de toi et de ton incompétence qu’on en est là ! – Deön leva son arc tendu vers le milicien insolent – Et maintenant nous... Mais attends, qu’est-ce que tu fais ?!
Deön pointa son arc vers les arbres et décocha sa flèche. Le projectile fusa dans un bruit de détonation et un éclair de fumée. Les oiseaux s’envolèrent, effrayés, sauf un qui chuta de sa branche, transpercé au thorax. Le volatile s’écrasa à quelques pas des miliciens.
– Bon ! Naëbal, Guzar, “Rama’nom de merde”, vous n’avez pas l’air de comprendre ce qu’il se passe !
– Chef... coupa Bojän. Raämaänaha est décéd’...
– Je m’en contrefous bordel !! Vous voyez les gars, je suis comme vous ! Je n’ai pas demandé à mener cette tâche avec vous et j’en ai rien à carrer de vos exploits aux Jeux ou de je-ne-sais quel titre ! Vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas, ça vous va ?
Les frondeurs se turent, abasourdis. Zoèn, léthargique, trouva la force de rouler des yeux.
– Suän Or, ça ne fait même pas deux décennies que j’y suis, donc vos problèmes je m’en tape, reprit Deön. Mais un ami m’a demandé de faire quelque chose que seul moi et l’autre fille-méduse, comme vous aimez l’appeler en “temps normal”, sommes capables de faire. Et vous savez en quoi ça consiste ?
Les miliciens se regardèrent, interloqués.
– À activer le système de défense de votre Navire-Monde – Les regards d’incompréhension s’intensifièrent –. Au large de vos côtes, il y a des milliers de sauvages qui viennent pour piller vos terres, enlever vos meilleurs hommes et vos ressources et, accessoirement, violer et saigner vos femmes et vos enfants. Ils sont mieux armés, mieux préparés et je peux vous jurer qu’ils n’ont pas le temps de se chicaner sur le sort d’un blessé. Alors je tiens à remettre les bases : moi je n’ai pas besoin de vous, par contre les « champions de tire-fesses » et les « égéries de j’en-ai-rien-à-faire », vous avez besoin de moi !
Le silence s’empara des opposants. Guzar émit ses derniers gémissements avant de sombrer dans le coma.
Deön se racla la gorge et fit signe à Bojän et Dän de le suivre. « Je vous ai fait tomber une perovolïs[5], si vous la cuisinez bien, il y aura assez de viande pour soulager votre faim. Ceux qui veulent continuer la route vers le territoire des Zhivänz me suivent, les autres je vous laisse vous occuper de Gulaz... Guz... Roh sérieusement ! Changez de noms ! ». Le chasseur tourna les talons, abandonnant une partie de son escouade à la torpeur. « Juste, maintenant qu’on a tous bien gueulé, les éclaireurs avazen qui nous surveillent depuis tout à l’heure seront ici d’un instant à l’autre », conclut-il.
Finalement, les miliciens de Golèn comme de Talèn le suivirent. Les frondeurs d’Uvulèn, solidaires, les regardèrent s’éloigner. Leurs échanges de regards hagards entamaient leur confiance, alors que la sensation d’un danger imminent grandissait.
Deön ne se retourna point. Rapidement, les deux groupes fracturés se perdirent de vue.
L’escouade, amputée de la moitié de ses membres, poursuivit son expédition sous une chaleur étouffante.
Deux bombes explosèrent dans la journée, mais à chaque fois un peu plus loin d’eux.
L’agitation finit par s’apaiser.
La troupe décela un coin d’eau pour se poser.
Pendant que certains furetaient dans les alentours par sécurité, d’autres installaient un camp sommaire. Il fallait être prêt à le quitter à tout moment.
Zoèn, la jambe estropiée tendue entre deux racines qui surplombaient les fins courants de la rivière, sortit un cadran solaire de son sac. Sur les trente-six graduations de la tablette, l’ombre du soleil marquait la vingt-septième mesure. Le ciel doré se couvrait de teintes orangées, signe que le soleil avait bien entamé sa descente.
Lonka avait repris ses esprits et toute sa mémoire. Adossée à un rocher, son pantalon de cuir immergé et le devant de sa robe flottant à la surface, elle observa longuement son tentacule encore entier, pendant mollement entre ses mains. La corne à son bout avait l’épaisseur de son poing et l’apparence d’un bec. Pourquoi j’ai hérité de ça... ? se demanda-elle plusieurs fois, écœurée comme tourmentée à la vue de cette extension corporelle.
« Ça ira Lonka, je suis sûr que ces... choses seront utiles à notre tâche », souffla Bojän du haut du rocher. Le milicien sauta dans l’eau pour la rejoindre. Un puits de lumière les couvrait d’une aura apaisante, accompagnée des légers vrombissements du ruisseau. « Ça te fait mal ? » demanda-t-il en pointant du doigt son tentacule endommagé. Le jumeau mutilé barbotait à la surface de la rivière, son fluide livide s’évadant dans les courants.
Lonka balada son regard absent entre la chose et le milicien. Elle chercha ses mots quelques instants :
– Je crois que... ça va. Tu penses que les autres vont revenir ?
– Je ne sais pas, ils doivent panser les plaies de leur camarade, répondit Bojän, l’air songeur. En espérant que les Avazen ne les aient pas trouvés...
– Je ne parlais pas d’eux...
– Ah... J’espère aussi que la capitaine et Timön vont bien. Quant à Gojïn, je compte sur son sens de l’orientation et son instinct de survie...
Lonka baissa de nouveau les yeux à ses extensions.
Soudain, un grésillement parvint à leur oreille. Bojän se redressa. Deön n’était qu’à quelques pas, en train de bidouiller la cryptoradio sous le regard de quelques miliciens. Il grommelait à mesure que la tâche s’éternisait.
Les grésillements cessèrent enfin quand quelqu’un prît la parole. Bojän passa par-dessus le rocher et se rapprocha pour entendre, excité par l’écho de cette voix. « ...c’est vraiment un sacré nid d’Avazen ici... ».
– Gojïn, où te trouves-tu et que sais-tu ? interrogea Deön, plein d’entrain.
– Je ne suis pas loin je pense, mais des guetteurs sont sur mon chemin. Ils avancent en arc de cercle vers le territoire Zhivänz, je pense qu’ils ont intuité l’affaire héhé.
– Bien, et Irina, tu as des nouvelles ?
– Ah oui oui, justement je crois qu’elle est partie à la carcasse du croiseur, du coup elle doit être encore loin derrière. D’ailleurs, si vous ne l’aviez pas déjà remarqué, ils sont plus d’une centaine en face ! Il y a toute une armée qui guette, c’est flippant !
– Je pense avoir remarqué, oui. Mais est-ce qu’ils nous ont vraiment repérés selon toi ?
– Je ne crois pas, ils continuent de se déployer et gardent leur position, comme si quelqu’un leur avait donné l’ordre de... Attends, je crois entendre quelque chose !
– Gojïn, il n’y a pas le temps là !
– Mais mais, attends c’est... Oh bordel !
La liaison se coupa nette, suivie du même grésillement parasite.
Avant même que Deön ait eu le temps de clamer sa colère, des cris retentirent dans la forêt. Une clameur barbare qui n’avait rien des sommations zhivänz. Ça venait de derrière et c’étaient les Avazen.
Deön entendit une vingtaine de voix s’accorder à un quart de lieue, soudainement rejointes par un bourdonnement plus lointain, mais bien plus lourd.
L’armée avazen dans son ensemble se répondait. L’ampleur du bruit glaça le sang de toute l’escouade.
Que venait-il de se passer ? Était-ce Gojïn qui s’était fait capturer ? Ou alors était-ce un cri de guerre face aux renforts de Talèn, enfin arrivés ?
Affolée, Lonka écoutait les échos perturbés par les voix chuchotant dans sa tête.
Son mal de crâne s’intensifia lorsque d’autres cris, bien moins guerriers, résonnèrent. Elle se redressa et se tourna vers les bois. Quelque chose grandissait en elle. Un liquide coula sur ses prunelles et les couvrit d’un voile sanglant. « Lonka, pas maintenant ! », tonna Deön lorsqu’il remarqua sa transformation.
Lonka n’arrivait plus à écouter, dictée par les ondes de ses entrailles. Cette énergie indescriptible l’irritait un peu plus encore. « Non mais bon sang ! Essaie de les contrôler un peu ! », s’énerva Deön en s’emparant d’une flèche. Lonka tourna les yeux, découvrant son tentacule entier dressé vers son objectif. La corne se tourna vers elle, indépendante, comme pour la dévisager.
« Lonka, calme-toi, ce n’est pas pour nous ! », clama Zoèn en boitant jusqu’à elle. Lonka hésita un instant, submergé par ce flot d’informations, puis s’élança.
Deön la porta en joue sous l’expression ahurie de Bojän, mais se ravisa finalement.
– Tu n’allais quand même pas lui tirer dessus ? demanda le milicien dont la mélanine semblait pâlir d’angoisse.
– Non, je vais faire mieux... – Deön jeta un œil à son accoutrement qui n’avait pas perdu de sa superbe malgré les affres de l’expédition, puis balaya le camp de son regard avisé – Je vais changer de tenue, je n’ai pas envie de gâcher celle-ci.
– Que comptez-vous faire, chef ? demanda Dän de sa voix grave et posée.
Deön planta son carquois dans le creux terreux d’un rocher.
– Ramener nos compagnons avant la trente-sixième.
Les miliciens tiquèrent, puis finirent par comprendre. Zoèn jeta un œil au cadran solaire.
Il ne restait plus que huit graduations.
[1] Gozbum(z) : cf. Glossaire/Artefacts-Mécaniques. Un projectile explosif, revêtant souvent l’apparence d’une grosse bourse de poudre. Les gozbumz de bombardement sont en général catapultées par des balistes.
[2] Traduction Dikkèn - Statolo svayâz il stoyâz ! Svatalo eo svezerr de orrös il bleda ! Zît ina orzerr lugèn’enos vaterröra !! : Salutations mes sœurs et frères ! Salutations, nouvelle aube de soleil et de sang ! Ce premier jour nous offrira la victoire !
[3] Soliballe : cf. Glossaire/Civilisations. Une discipline sportive, très appréciée aux Jeux de Suän Or. Seul ou par équipe de 3, 5 ou 7 personnes, le but est de faire passer une balle (de la taille et apparence d’un ballon de handball) dans des cercles disposés dans le camp adverse, afin de marquer des points. Les matchs en solo durent une mesure de cadran solaire (entre 20 et 25 minutes selon les saisons) et une mesure est ajoutée pour les matches à 3, 5 et 7. Ce jeu allie vitesse, endurance, contact et adresse.
[4] Note sur le Gala des îles connectées : cf. Glossaire/Civilisations. Toutes les cinq terras, les grandes Nations des îles connectées se retrouvent à Nygdai, la Terre Portuaire des mers du sud, pour des évènements sportifs à la manière des Jeux de Suän Or. Seuls les meilleurs athlètes des trois Duchés réunis ont le droit de concourir dans les épreuves de ce Gala. Des Navire-Monde de l’Union d’Avaloz peuvent aussi être invités à concourir lorsqu’ils naviguent dans la zone des îles connectées.
[5] Perovolïs : cf. Glossaire/Bestiaire. Un volatile de la famille des gallinacés. Apparentée à un glaù, la perovolïs est capable de voler grâce à sa masse corporelle plus légère et ses ailes plus développées.
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