Chapitre 45 : Rappels à l’ordre et frontières zhivänz
Les cris et gémissements ne cessaient. « C’est bon, Kalah, ils ont déjà craché le morceau », dit Shrïn à travers l’entrebâillement des rideaux. Ses paroles ne le calmèrent guère. Au contraire, les chocs sur la table s'accrurent. Le Deikh Nemara se tourna vers le Dön Malaz, qui haussa les épaules d’un air amusé.
Dans la salle principale de la tente des hauts gradés, ils réfléchissaient autour du feu, attendant que le Deikh Oberzheim finisse son œuvre. Les râles de détresse ou d’effroi agaçaient profondément Shrïn, qui, de manière générale, ne comprenait guère l’abus. Cependant, la rage de Kalah semblait inarrêtable.
Malaz se dirigea à son tour vers le rideau et passa la tête à travers l’ouverture. Il en ressorti aussitôt et fit une moue d’abnégation à Shrïn. Ce dernier roula des yeux et s’éloigna, faisant les cent pas dans la pièce tamisée.
Un dernier choc retentit, suivi d’un râle.
Malaz et Shrïn pouvaient entendre les pleurs des prisonniers, l’essoufflement du Deikh et de sa victime.
Quelques instants plus tard, Kalah se présenta dans la salle de vie. Malgré son bras droit en écharpe, il semblait revigoré. « Je craignais que mon bassin soit fracturé. Finalement, ce n’était qu’un petit choc, il fonctionne très bien », s’enorgueillit-il, arrachant une esclaffe au Dön.
– Du coup ? questionna ce dernier.
– Je te les laisse, fais-en ce que tu veux.
– Vraiment ? J’ai le temps de m’amuser un peu, aussi ?
– Fais-en ce que tu veux.
Malaz ricana et s’empara de deux de ses lames qui patientaient au coin du feu. « Tu peux attendre que l’on parte ? », demanda Shrïn, excédé. Le sordide bonhomme s’arrêta avant d’ouvrir le rideau et se tourna vers ses deux Deikhz. Ces derniers se dévisagèrent. « Allez, attends un peu qu’ils reprennent leur esprit, eux aussi », ordonna finalement Kalah, légèrement mécontent.
– Ils se dirigent donc vers les « abysses émeraudes » ? Joli nom, enchaîna Shrïn, stoïque.
– J’en étais sûr. Cette montagne était bien trop attirante pour ne pas aller y faire un tour. Des sauvages la protègent, au moins notre armée ne sera pas inutile.
– Le mieux serait quand même de les intercepter avant qu’ils ne dépassent les frontières de ces... ces quoi déjà ?
– « Zhivänz ». Si je me souviens bien, ils se nomment ainsi. Nous allons ordonner de lever le camp tout de suite. Ils ont de l’avance, donc je pense que s’ils sont assez intelligents pour poursuivre leur route dès maintenant, nous allons dans tous les cas devoir affronter les protecteurs de ces lieux.
« Tu ne vas affronter personne ! », s’exclama une voix sèche. D’une humeur noire, Xhilna pénétra dans la tente en repoussant les rideaux de l’entrée. Seins nus, elle s’était servie de son haut de tissu rêche comme bandana pour stopper l’hémorragie sur son front. Kalah fit ses plus gros yeux de surprise :
– Grande sœur ! Alors on t’a...
– Je suis revenue toute seule, par mes propres moyens. Les hommes de cette armée sont des incapables, tout comme toi !
– Content de te...
– Nous n’avons plus le temps pour tes enfantillages ! coupa-t-elle de nouveau. Suis-moi !
Aussitôt, Xhilna ressortit de la tente. Kalah, Shrïn et Malaz s’échangèrent des regards interloqués. « Bon, bah Malaz, il est temps pour toi de t’amuser un peu. », dit Kalah avant de faire signe de la tête à Shrïn de l’enjoindre. Exprimant sa joie par un « parfait » retentissant, Malaz se jeta dans la salle des prisonniers, les saluant dans un rire graveleux.
Kalah et Shrïn sortirent à leur tour de la tente, se retrouvant face à l’étendue de l’armée avazen. Du haut de leur dune, ils dominaient leurs suivants. Là, installés le long de cette pente descendante et verdurière, les nombreux campements profitaient du calme ambiant pour festoyer sur des buffets de fortune. De nombreux flambeaux éclairaient cette population dense, envahisseuse de cette jungle aux vierges contours.
Personne n’était venu les attaquer.
Trois chars sortis des navires avaient tracé leur route en écrasant la flore sur leur passage. Les guerriers avaient passé une partie de l’après-midi à installer les balistes à bord. Les troupes étaient en forme, prêtes pour un nouvel assaut.
Xhilna s’adossa à la coque de son chariot volant, fatiguée du périple. Le ciel bleuâtre accueillait la première des trois lunes.
La nuit s’installait.
– Si tu ne montes pas à bord, je te promets que je t’achève avant eux.
– Xhilna, n’oubliez pas que Kalah est à présent un Deikh, rétorqua Shrïn, de plus en plus agacé par le caractère de la protectrice.
– Il est le fils de Sullizher et, si ce dernier apprenait ce qu’il s’est passé, ce serait le début d’une guerre entre lui et Kommogus. Kalah, tu as choisi ton destin, mais tu es encore sous la surveillance d’Er Zfrazim. Cette fois, je ne te laisse pas le choix.
Shrïn s’avança vers Xhilna, mais le bras tendu de Kalah le stoppa. Sur un ton sérieux, appuyé par un regard déterminé, il lui dit :
– Je te laisse l’entier commandement. Jusqu’à maintenant, ce sont tes choix qui nous ont permis d’avancer, alors je te fais confiance.
Des cris glaçants s’élevèrent depuis l’intérieur de la tente. Malaz semblait s'en donner à cœur joie. La souffrance des prisonniers crispa un peu plus le Deikh Nemara.
– Tu comptes abandonner ? demanda-t-il en feignant de garder son calme.
– Non, bien sûr que non. On se retrouve pour l’assaut final, mon frère.
Kalah était prêt à suivre sa gardienne, mais, au fond de lui, un feu de haine s’intensifiait.
***
Zoèn observa une nouvelle fois le cadran solaire. La dernière graduation était passée et les lunes commençaient à pointer, une à une. Elle joignit ses mains et ferma les yeux. Elle espérait de toute son âme que le reste de l’escouade revienne sain et sauf.
« Ils sont là ! Levons le camp ! », somma Dän, provoquant une subite montée de tension chez la milicienne. Elle rouvrit les yeux et se tourna vers la forêt. « Nom d’un glazon ! Vous êtes vivants ! », cria Bojän, soudainement exalté. Ce n'étaient pas les Avazen, mais bien des survivants de son camp.
En plus de Deön et de Lonka, Gojïn et la capitaine Morgän les suivaient à la trace. Ils avaient réussi à échapper aux griffes des barbares.
Gojïn accéléra et se jeta dans l’étang afin de se rafraîchir. La course fut intense pour rallier le point de rendez-vous, les muscles et les articulations se faisaient douloureux. Deön avait ses vêtements en lambeaux, comme s’ils avaient cramé dans un incendie. Pourtant sa peau blanche restait sans escarre. Il ne suait même pas, contrairement à Lonka, traînant ses extensions meurtries dans une fatigue épouvantable et la capitaine, dont le regard noir se posa directement sur Zoèn.
Irina Morgän puisa dans ses réserves pour bondir de rocher en rocher et se jeta sur la représentante de Talèn, lankoroi en avant. « Ah, mais qu’est-ce qu’il vous arrive ?! », beugla Zoèn dans l’incompréhension générale. Plaquée contre une pierre blanche, son cou était à la merci de la pointe colérique. Les autres membres de l’escouade restèrent spectateur de l’altercation, abasourdis par cette attaque soudaine de la capitaine.
– Où se trouve votre armée de renfort ?! gronda-t-elle.
– Mais…
– Je n’ai plus le temps pour des « mais » ! Timön est mort, Cheiki est mort, Naèbel et d’autres miliciens se sont fait capturer et ont sûrement connu un sort pire encore. Votre armée devait appuyer notre escorte depuis notre traversée du Maahasuän. Où se trouve-t-elle ?
Seules les dyspnées de Zoèn et les timides brasses de Gojïn pour rejoindre ses camarades perturbèrent le silence ambiant. Deön et Lonka observèrent la démonstration du capitaine depuis la rive. Le premier avait les sourcils froncés en attendant la réponse. La seconde était figée de stupeur. Cette Irina est terrifiante, pensa-t-elle.
– Je... Je vais parler. Juste, laissez-moi respirer, Capitaine.
La capitaine se recula d’un pas, lance toujours pointée vers la tête de la milicienne. Zoèn releva le buste et reprit son souffle. Elle semblait chercher ses mots, ce qui immisça un peu plus le doute dans l’esprit des miliciens de Golèn. Les autres survivants de Talèn baissèrent leurs yeux coupables. La vérité allait éclater. « Parle, vite », somma Irina.
– C’... Comme vous le savez...
– Je ne sais rien, non.
– Le No Jatalèn ne voit pas cette expédition du même œil que votre Duc ! La flotte avazen est au large de nos côtes, pas de celles de Golèn, encore moins celles d’Uvulèn ! Il a accepté la requête du Jagolèn par principe d’alliance, mais notre Duc comme l’ensemble de notre commandement se sont mis d’accord sur un point.
– Lequel ?
Zoèn hésita un instant, puis, dans un sourire triste, trouva les mots :
- L'entièreté de notre armée devait se préparer pour repousser la flotte au large. Il n’a jamais été question de mobiliser des hommes et des équipements pour une mission au sein des terres dont nous ne connaissions la destinée et dont nous n’avions aucune assurance de sa réussite. Nous six... – Zoèn jeta un regard à ses trois alliés restants – Nous six avions été mis dans le secret, avec l’ordre de ne strictement rien révéler. Nous six savions dès le départ que ce serait une mission suicide, nous sommes des sacrifiés.
– Vous serez les derniers sacrifiés de cette mission, rétorqua Irina du ton le plus sec. Si vous vous complaisez dans votre rôle d’appât, alors vous le tiendrez jusqu’au bout.
– Je... Ainsi soit-il. De toute façon, j’ai fait le serment de me battre jusqu’au bout.
Lonka écoutait cette tragique discussion avec attention. Les larmes lui montaient, mais elle n’avait même plus la force de les faire sortir.
La capitaine releva sa lance et tourna le dos à Zoèn. Les miliciens des deux camps se dévisagèrent.
– Bon, vous avez fini ? interrogea Deön en poussant de la voix – La capitaine lui répondit par un regard méprisant –. Alors on lève le camp dès maintenant, direction les abysses !
Les miliciens s’exécutèrent en traînant le pas. On aida Zoèn à se relever. On sortit des couvertures des besaces pour sécher Gojïn et les autres baigneurs. Dans le marasme, chaque “oiseau du tonnerre“ acceptait de se soutenir pour un bout de chemin, encore.
– Deön, tu ne remets pas tes habits ? demanda Bojän, penaud.
– Non, il me reste encore une chose à faire, avant.
***
Dans le ciel de Suän Or, des nuages orageux traversaient les reflets boréaux de cette nuit confuse.
À présent au pied du mont de La Grande Verte, ils étaient, à vol d’oiseau, à deux lieues des remparts Zhivänz. Illuminée par d’immenses torches, la tribu sauvage surveillait les déplacements extérieurs. L’escouade ressentait les regards suspicieux qui les épiaient en amont de la dune d’arbres.
Torche à la main, Deön menait le groupe dans ces fourrés noirs de jais. Lonka léthargique, il était le seul dont les yeux perçaient assez loin à travers la nébulosité pour observer les gardiens zhivänz. La plupart s’attardaient au sommet des trois portails visibles, faits de piques et de bois mort. Vêtus de leur peau animale aux apparats menaçants, ils semblaient troublés par une vision incongrue. Un grondement s’élevait dans la forêt, alors que les flambeaux des remparts répondaient à d’autres lumières. Deön comprenait, tout comme le reste du groupe : l’armée avazen s’avançait de tout son bloc dans la forêt, garnie de barbares, de flammes et de catapultes. Restait à savoir si le clan des Zhivänz allait distinguer les alliés des ennemis.
Gojïn, Bojän et Dän secondaient le chef d’escouade, suivis par les champions de Talèn. Entre deux découpes de feuillages et de toiles pour se frayer un chemin à l’abri des sentiers, ils levaient le nez vers la montagne ou se retournaient vers les sombres bois où quelques lueurs angoissantes apparaissaient çà et là.
En queue de cortège, Lonka collait aux bottines de la capitaine Morgän. Elle avait eu beau être son bourreau deux nuits auparavant, l’élégance et la force qu’elle dégageait la rassuraient à présent. La rescapée de Nygönta avait du mal à détacher son regard de cette grande et belle femme au regard assuré, tandis que cette dernière surveillait Zoèn qui claudiquait devant, épaulée par ses compatriotes. Lonka ressentait de la pitié pour la dépêchée de Talèn, la seule parmi les champions à lui avoir porté de la considération, mais son mensonge l’avait remise sur ses gardes.
Le bruit des feuillages mentionnait le guet de la faune, mais l’escouade traçait le chemin vers leur objectif, sans s’arrêter. Par moment, la capitaine détournait son attention pour constater la mine curieuse de Lonka :
– Tu as une question ? finit-elle par demander.
Lonka fit les yeux ronds, surprise par l’allocution anormalement douce de la cheffe de la Milice de Golèn.
– Je... À vrai dire, il y en a une qui me taraude depuis le début de la soirée...
La capitaine tourna un peu plus son regard vers elle, observant ses yeux pâles et ses tentacules déchiquetés dont elle s’habituait de la présence :
– ...Tout à l’heure, le chef des Avazen a dit quelque chose sur Gojïn et, vu sa réaction je…
– Oh ça, devança la capitaine devant le ton peu assuré de sa nouvelle protégée. Nous sommes quelques-uns à connaître la jeunesse du milicien Hiegel et ce guerrier avazen était plutôt proche de la vérité…
Lonka détourna le regard à l’avant du cortège. Gojïn échangeait quelques mots avec Bojän. Leurs palabres semblaient les faire rire, même s’ils se voulaient discrets. L’air candide du milicien blondinet contrastait d’autant plus avec ce qu’elle apprenait :
– Gojïn est né dans la rue. Sa mère était une femme de joie et il n’a jamais connu son père, vu que c’était sûrement un simple client... Son destin aurait pu être funeste, mais il est né avec un esprit que peu d’hommes ont sur cette terre.
Lonka observa de nouveau la capitaine. Cette dernière avait du mal à dissimuler un sourire triste :
– Son seul et unique but était de rendre sa mère heureuse et de la faire rire, alors il a toujours été un peu... bête... comme tu peux le voir. Cependant, il est compliqué de garder une ligne de conduite dans la rue. Il a appris les rudiments de la survie et s’est retrouvé quelques fois dans de sales draps.
– Vous le connaissez depuis combien de temps ?
– Oh, longtemps. Je devais avoir quinze terras la première fois qu’il a tenté de voler de la nourriture chez moi. On habitait dans la même ville et je soupçonne mon père d’avoir fait des bêtises dans les bordels du coin. Je suis persuadé que c’est comme ça qu’il a filé le chemin jusqu’à nos fenêtres – La capitaine se mit à pouffer. Quelques regards indiscrets se retournèrent. Les miliciens de devant écoutaient aussi l’histoire –. Lui devait avoir onze ou douze terras. Quand je suis rentrée dans la formation de la Milice, je le voyais souvent traîner aux abords du camp, toujours à la recherche d’un coup à faire. Il avait beau recevoir de sacrées dérouillées lorsqu’on lui mettait la main dessus, il revenait toujours.
Irina reprit son inspiration, toisant les quelques curieux de l’avant-poste d’un œil à nouveau sévère :
– Lorsque sa mère est morte, il s’est retrouvé complètement seul, et si Deön n’était pas passé par là, il aurait rejoint sa mère plus tôt que prévu, conclut-elle.
Lonka écarquilla de nouveau les yeux. Alors Deön a fait ça ? se demanda-t-elle en posant son regard sur le chef d’escouade, inflexible dans sa marche.
Les Oiseaux du tonnerre débutaient leur ascension sur la pente abrupte et accidentée de la dune d’arbres.
Parfois, il fallait s’aventurer directement sur de grosses racines ondulées, ce qui rappela à Lonka les arbres millénaires des forêts de Nygönta.
– Et du coup, comment est-il devenu milicien ? questionna-t-elle à nouveau.
– Oh, tu écoutes toujours, s’esclaffa anxieusement la capitaine. Disons qu’à force de tomber dans les filets de la Milice, nous lui avons accordé une chance. Il devait nous indiquer tout ce qui pouvait se passer dans les rues de No’Novella. Il a si bien rempli sa tâche qu’il nous a suivi jusqu’à Tabantz. En l’espace d’une saison, il connaissait déjà la ville comme sa poche et offrait de précieuses informations jusqu’au haut commandement. Beaucoup le considèrent toujours comme un « voyou » ou un « moins que rien ». Je trouve que pour un « moins que rien », il s’est avéré des plus utiles.
Lonka échangea un sourire timide. À l’avant du cortège, aucun ne semblait avoir tendu l’oreille sur la conversation, ce qui ne l’empêchait pas de se sentir gênée à l’idée que Gojïn puisse avoir discrètement écouté ce conte de son passé.
– Je... Merci, mon Capitaine, dit-elle finalement.
– Tu peux m’appeler Irina.
« Halte », tonna Deön en levant la main, comme s’il avait attendu la conclusion de l’histoire pour intervenir.
Le chef d’escouade s’était arrêté au centre d’une place dégagée. Les racines bien écartées de son milieu, la terre meuble reposait les chevilles. « Allez-vous cacher derrière les arbres et bouchez-vous les oreilles ». Les miliciens hésitèrent, surpris de la missive.
– Tu es sûr qu’on ne peut pas regarder ? demanda Gojïn, tout excité.
– Si tu regardes, ce sera la dernière chose que tu verras avant de perdre tes yeux.
Le milicien fit une moue déçue, puis se recula dans les bois, imité par ses compères. « Lonka, je pense que tu es la seule qui peut observer sans finir rôtie », exposa le chef d’escouade et levant les yeux vers les nuages noirs. Irina tapota l’épaule de la fille-méduse avant de s’éloigner à son tour.
Lonka se sentit soudainement seule, chaque milicien s’étant dissimulé derrière les troncs imposants qui bordaient la place. Elle fixa alors Deön, dont les vêtements de fortune s’effritaient au point de dévoiler ses fesses. L’apparat était ridicule, mais le chasseur n’en avait que faire.
Il leva un bras au ciel et ouvrit la paume de sa main. Lonka ne comprenait pas, quand de manière imprévue, elle ressentit le début de quelque chose. Une énergie nouvelle se diffusait dans le sol et remontait dans les arbres. Le bruit des feuillages mouvementés laissa petit à petit place à un silence assourdissant.
L’énergie se diffusait aussi dans son corps. Lonka observa la posture de Deön, qui semblait indiquer le ciel. Alors elle leva les yeux. Les nuages changèrent d’allure pour se rassembler au-dessus de leur tête. Mais, qu’est-ce qu’il est en train de faire ?!
Soudain, un flash bleu l’aveugla.
Un instant plus tard, un terrible bruit d’explosion trancha le silence. Une détonation si forte qu’elle crut en mourir.
Le noir et le silence perdurèrent un instant encore.
Lorsqu’elle put retrouver la vue, le ciel semblait s’être couvert de bleu. Des éclats de saphir s’y baladaient, apportant leur lueur phosphorescente.
Deön brillait tout autant.
Il se retourna, ses vêtements désintégrés par la déflagration. Lonka plongea ses yeux dans les siens : ils étaient devenus bleus comme les stries colorées du ciel. « Va chercher Dän, je peux remettre mes habits de ville maintenant », résonna sa voix avec un sourire.
Une ferveur s’éleva. Les remparts Zhivänz se mirent en branle.
Les miliciens sortirent un à un de leurs cachettes et, avant même que Lonka n’accomplisse la requête, Dän se précipita vers son chef pour lui remettre ses bottines, sa combinaison de cuir et son chemisier blanc. Encore perturbée par ce qu’elle venait de vivre, Lonka n’arrivait pas à entendre les mots que ses compagnons s’échangeaient. Le reste de ses sens étaient à l’affût. « Dogerez Pulcherra. Kolzenos al sën. »
– Les... les voix reviennent ! s’exclama-t-elle, subitement affolée.
La main d’Irina se posa de nouveau sur son épaule. « Nous y sommes presque Lonka, regarde », exposa-t-elle en pointant le nord de la montagne du doigt.
Un portail du rempart zhivän, le plus éloigné du groupe (à son grand étonnement) s’ouvrit. « Que se passe-t-il ? », demanda Bojän, perplexe. Deön concentra son regard et vit une armée sortir des remparts.
La ferveur laissa place à des cris de guerre.
« Pressons le pas ! », somma le chef d’escouade en engonçant les derniers plis de sa chemise dans sa combinaison saillante.
Là, dans le ciel de Suän Or, une bombe avazen fusa en direction des gardiens des abysses.
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