Chapitre 57 : Luttes improvisées

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Mais, comment peut-il être encore en vie… ? Malgré les démonstrations de Deön à l’embarcadère ou aux abords du territoire zhivän, Zoèn ne comprenait pas qu’il puisse encore courir avec un trou au milieu du thorax. Chacune de ses enjambées secouait la milicienne, transportée à califourchon sur son épaule. Malgré les lumières émanant des veinules, l’obscurité des lieux empêchait d’analyser l’intérieur de cette plaie béante qui ne saignait pas. Zoèn avait beau avoir une vue plongeante sur les entrailles de son chef d’escouade, sa vision floue distinguait le vide à la place de la chair. 

Une puissante détonation, la deuxième depuis leur entrée dans le cortex, retentit et fit trembler les parois du tube. Deön bloqua ses appuis, évitant de vaciller et de faire valdinguer Zoèn. « Mais c’est quoi ce bordel ?! », fustigea-t-il en se retournant vers le chemin emprunté, l’œil vif et les sens en alerte. 

– Fais-moi descendre, je peux continuer toute seule.

– Pas question, tu cours moins vite qu’eux vu ton état, répliqua-t-il en reprenant sa foulée. 

– Mais… Tu n’as pas à faire ça ! Nous ne sommes pas censés avoir de l’importance pour toi !

– Qui t’a dit ça ?

– Mais toi ! s’exclama-t-elle entre deux ballottements. Hier, dans la forêt ! Tu as envoyé tous les dépêchés d’Uvulèn à la mort !

Deön répondit par son silence et Zoèn se tut. Elle sentait la colère se mêler à son incompréhension, elle qui avait vu ce qu’il restait de Naèbel et ses camarades une fois abandonnés aux mains des barbares. Cependant, celui qui soi-disant se désintéressait des membres de son escouade venait de la sauver. « Deön, qu’est-ce que tu es ? », une fois encore, ce dernier ne répondit pas. Tête à l’envers, elle ne pouvait pas sonder les expressions de son visage. « Deön, es-tu immor’… » Zoèn ne finit pas sa phrase, le bruit d’un nouveau tir de laser parvenant à ses oreilles. Il paraissait même tout proche et bien plus puissant que les précédents. 

Deön s’arrêta, intrigué par ce qu’il venait d’entendre. Il inspecta les alentours en tournoyant, comme s’il avait oublié qu’il transportait une femme blessée sur son dos. « Deön, arrête ! Il y a quelque chose là-bas ! », hurla Zoèn, tandis qu’elle vit dans ce manège la fin du couloir approcher. Il fallait prendre l’embranchement, et vite, mais quelque chose perturbait le chef d’escouade.

– Je viens de me souvenir, commença-t-il.

– Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?! haleta la milicienne.

– Les berceaux sont protégés par un champ de force, donc certaines armes peuvent dysfonctionner…

– Mais pourquoi penser à ça, maintenant ?

– Tu as entendu comme moi, non ?! 

– Ce n’est pas la première explosion que l’on entend. Tu détournes le sujet !

Zoèn sentit la main de Deön lui saisir un de ses mollets qui bringuebalait dans les airs et le rabattre vers lui. La grande brune tournoya une dernière fois pour enfin se retrouver la tête à l’endroit. 

Deön la déposa, puis la fixa d’un regard grave et dit :

– Je ne prétends ni être un héros, ni être un homme juste et fiable. Quand on me prend pour ce que je ne suis pas, je tourne le dos – Il détourna un instant le regard vers le bout du couloir –. Je ne me rappelle plus depuis combien de temps je vis – Il baissa subrepticement les yeux vers sa plaie –, mais je ne suis pas immortel et je sais que les infamies, les trahisons et la souffrance, c’est tout le temps, tous les jours. Si tu n’avances pas sans te retourner, tu meurs rapidement.

– Je… d’accord...

– Les Avazen nous poursuivent et j’ai comme l’impression qu’ils nous ont déjà rattrapés. La structure de ce berceau est en constant mouvement, ça peut sûrement expliquer leur avancée éclair. 

Zoèn se calma, puis sentit le poids de ses blessures pesait sur ses jambes. Deön la prit par le bras, l’aidant à se maintenir en équilibre.

– Pourquoi une telle machinerie existe sur Suän Or ? et c’est quoi ce champ de force ? demanda la championne de Talèn.

– Une telle machinerie existe sur tous les Navires-Monde. Elle varie juste dans sa structure, selon les endroits où elle est implantée. Quant à ce champ de force, je ne sais pas exactement, mais…

Une lame claqua sur la paroi. Deön et Zoèn levèrent les yeux vers l’origine de la menace : c’était un barbare. « Non, pas lui… », Zoèn se mit à trembler comme une feuille. Deön balada son regard entre la milicienne et ce grand homme au sourire carnassier.

Ses cheveux longs et noirs étaient plaqués contre son crâne gorgé de sang. Ses yeux d’un bleu perçant se mariaient avec les lumières du couloir. Une chimère de plus dans cette antre maudite.

Il agitait ses deux longues lames recourbées. 

Déchirée par endroit, sa combinaison en lanières avait subi les affres du combat. Elle était imbibée des fluides humains qu’il avait fait jaillir de ses précédents adversaires. Pas de doute, ce guerrier aimait la mort. « Reste derrière », ordonna le chef d’escouade. 

Il avança vers l’assassin, qui se mit aussitôt en garde. 

– Enchanté, moi c’est Deön. À qui ai-je l’honneur ?

– À l’imminence de ta mort, petit ange, se gaussa le barbare en dévoilant ses dents pourries et ciselées.

Deön leva sa main, sa paume tendue et ses doigts en position pour griffer. Sans perdre son vilain sourire, le barbare fronça les sourcils. Zoèn tentait de comprendre.

Puis le sol se chargea en énergie.

Le barbare perdit son sourire et écarquilla les yeux. Sans plus attendre, il se jeta sur Deön.

Le son devint une onde de choc. Un flash bleu parcourut le tube en balayant l’assassin sur son passage. La fronde invisible offrit un jaillissement de lumière qui aveugla le chasseur.

Puis le calme revint. Le barbare convulsait au sol, le corps déjà carbonisé et fumant. Après un dernier soubresaut, il se pétrifia, raide et inerte.

Deön baissa la main et sentit aussitôt une douleur déchirante dans l’abdomen. « Arh, je confirme… », la pulsation lui coupa le souffle et ses jambes se dérobèrent. « Bordel… », Deön mit ses bras autour du ventre et se plia en deux.

L’air était encore chargé en énergie.

Le chef d’escouade tourna la tête vers la milicienne. « Zoèn… ? », cette dernière était étendue sur le sol. 

***

– Vous avez entendu comme moi ? ce n’était pas la même explosion cette fois ! haleta Bojän, essoufflé par la course. 

– En effet, mais on n’a pas le temps là, pesta Irina. 

À la poursuite du Hant éclaireur, la capitaine, Bojän et Lonka puisaient dans leurs dernières ressources pour tenir la cadence. La silhouette de la chimère s’arrêtait aux embranchements puis repartait à toute allure dès que ses rangées de globes rouges croisaient le regard de ses poursuivants. 

Un coup à droite, un coup à gauche, la course semblait sans fin, rythmée par les détonations toutes plus menaçantes les unes que les autres. « Oh ! Regardez devant ! », en tête du groupe, Irina s’arrêta à l’embranchement.

Lonka et Bojän trottinèrent jusqu’à elle et découvrirent à leur tour l’écueil : le couloir s’élargissait et descendait vers une galerie infestée d’amas de toiles blanches. 

« C’est quoi tous ces machins ? », demanda Bojän, les mains sur les genoux. Lonka avait déjà vu ces cocons éventrés sur Nygönta, mais à la différence du précédent berceau, ces reliquats d’œufs en toile d’arachnide n’étaient pas seuls : des bestioles de la taille d’un poing grouillaient tout autour. Leur unique œil émettait des ondes rougeoyantes qui perçaient la pénombre du large boyau.

Bojän et Lonka firent une moue de dégoût face à la hideuse fourmilière. « Pourquoi ces monstres existent ? Ça sert à quoi d’avoir des êtres aussi immondes, nom d’un glazon ?! », pesta la fille-méduse. Sans répondre, Irina pointa du doigt sa cible : l’éclaireur avançait à l’abri des cocons, mais les bestioles semblaient attirées par ses mouvements. Qui plus est, les amas de toiles s’agitaient sur son passage. La capitaine hésita avant de prendre cette hypothèse au sérieux et se tourna vers ses compagnons d’infortune :

 – Si ça peut vous rassurer, je déteste les petites bébêtes aussi, mais nous sommes trop proches du but pour nous arrêter maintenant.

Bojän voulut rétorquer, en vain. Irina s’engagea sur le chemin. « Si vous vous perdez, suivez la direction que prennent les Hantz, ils commencent à quitter les lieux, eux aussi ! », tonna-t-elle sans se retourner.

– Tu penses qu’ils vont où ? demanda alors le milicien Biaz à sa voisine.

– Je pense qu’ils se dirigent vers un endroit important… soumit Lonka. 

Irina disparut derrière un amas de cocons, exhortant ses deux compagnons à accélérer.

Ils dévalèrent la pente en serrant tous les muscles de leur corps, angoissés d’être parcourus par ces Hantz miniatures. « Irina ! Attends-nous ! », l’absence de la capitaine à leur côté les plongeait dans l’effroi. « Du nerf, la suite est par là ! », sa voix leur redonnait de l’espoir et un brin de confiance.

Ils la retrouvèrent au détour d’une dune de cocons. Elle poursuivait sa route, plus déterminée encore, lankoroi en avant. 

Bojän et Lonka accoururent.

Puis, dans un choc assourdissant, un souffle ardent propulsa tout le monde contre les parois.

La poussière s’éleva. 

Les Hantz fuyaient. 

C’était quoi ça ? s’interrogea Lonka, sonnée. Elle voulut appeler ses compagnons, mais un terrible acouphène remplaça le son de sa voix. La vue était bouchée par un nuage de fumée. Prise de vertiges, elle posa ses mains sur sa tête endolorie et clopina jusqu’à retrouver Bojän.

Il tentait aussi de retrouver son équilibre.

La fumée commençait à se dissiper et la silhouette d’Irina prenait forme, tout comme les débris de la paroi perforée, quelques enjambées derrière elle. Lonka retrouva son ouïe, petit à petit.

– Qui a fait ça ? questionna Bojän.

– Restez où vous êtes, il est déjà là.

Lonka eut un haut-le-cœur. Ses doutes se dissipèrent lorsqu’elle remarqua une silhouette grande et élancée, portant à son épaule l’arme de tous les fléaux. Son unique et longue tresse ballota de droite à gauche lorsqu’il secoua son crâne chauve pour en retirer la poussière. Sa longue cape ténébreuse dissimulait sa ceinture au joyau noir.

Elle l’entendit tousser, ayant lui aussi subi les affres de la pétarade. « Vous, vous là, on s’arrête maintenant », geint-il en pointant son artefact vers Irina.

Sa tête apparut dans un rayon de lumière bleue. Le bord de son œil saignait et son expression d‘habitude froide avait laissé place à une mine échaudée.

– Tu es seul, contre nous trois, Avazen ! gronda Irina en le menaçant de sa lance.

Shrïn huma l’air et inspecta les environs. Des Hantzonaz passèrent entre ses jambes et bifurquèrent dans l’ouverture qu’il venait de créer. Il étouffa un début de rire nerveux :

– Depuis que j’ai posé un pied dans ce nid à démons, mon arme fait des siennes et j’ai du mal à gérer le recul – Il débuta ses explications avec un détachement étonnant –. Normalement, elle est faite pour toucher une cible à la fois, mais vu ses performances actuelles… – Le Deikh resserra son canon vissé d’un blanc acrylique – je suis persuadé que je peux vous toucher vous trois en même temps sans prendre la peine de viser.

Tenus en joug, Bojän, Lonka et Irina restaient figés. Cette dernière fut conviée à déposer sa lance, ce qu’elle fit avec délicatesse : il fallait gagner du temps.

Shrïn profita de la stupeur générale pour tourner la tête vers l’embouchure dont il était issu. Son tir avait réussi à perforer trois parois avant de s’effacer : deux couloirs identiques et parallèles coulaient dans la même direction. Les bestioles mécaniques parcouraient en file disciplinée le corridor du milieu :

– Pourquoi vous êtes-vous enfoncés jusqu’ici ? Où est-ce que ça devait vous mener ?

– Parce que nos compagnons ne vous l’ont pas dit avant que vous ne les taillez en pièce ? demanda Irina, qui semblait réellement surprise. Ma foi, vous avez des progrès à faire en torture. 

Shrïn échangea un rire furtif avant de répondre :

– Mon ami Kalah était assez contrarié de sa rencontre avec l’ange que vous protégez – De son calibre, Shrïn pointa Lonka –. L’interrogatoire a dû être raccourci, mais je dois reconnaître que les hommes et femmes des mers du sud sont braves. 

Le trio refusait de croire à ce compliment. 

– Vous êtes ici pour les anges, n’est-ce pas ?

– Entre autres. Ma hiérarchie a certainement un but plus magnanime, mais moi, mon combat, c’est d’éradiquer ces monstres qui se cachent sous les traits des hommes.

– Je peux comprendre votre combat. Mais encore faudrait-il que vous soyez un homme.

Shrïn tiqua. Il abaissa son arme pour mieux observer l’air méprisant de la capitaine Morgän. 

– Je crains de ne pas comprendre, noble guerrière. 

– Je craignais de ne rien comprendre aussi. Notamment pourquoi les gardiens du berceau ont hésité à vous attaquer. Vous pensez être arrivé jusqu’ici grâce à vos talents de général avazen, j’imagine. Dommage…

Shrïn fronça les sourcils. « Roooh », Irina finit par souffler et rouler des yeux :

– Vous êtes assurément l’un d’entre nous.

Le Deikh se figea de plus belle, l’air perplexe.

– Sérieusement, vous n’avez toujours pas compris ! s’emporta Lonka. Vous êtes, vous aussi, un humarion ! Enfin, un « ange » comme vous aimez tous les appeler. 

– Je sais ce qu’est un humarion ! Et même si j’en étais un, ça n’a rien à voir avec…

– Mais bien sûr que si ! Vous voulez éradiquer votre propre espèce ! C’est totalement débile !

Shrïn laissa échapper quelques sifflements d’esclaffe. 

– Bon, finies les bêtises. De toute façon, c’est bien beau tout ça, mais même si vous parvenez à faire ce que vous avez à faire ici, vous comptez repartir comment après ?

 Lonka, Irina et Bojän s’échangèrent des regards interloqués. Shrïn avait de plus en plus de mal à contenir son rire. 

 – Vous voyez, vous êtes peut-être encore plus stupides que moi. Vous êtes partis, une petite vingtaine, comme si tout allait se faire tranquillement. Vous êtes partis sans organisation, avec un équipement dérisoire et vous n’avez même pas de moyen de retour. Vous les anges, votre puissance n’a d’égal que votre manque d’intelligence et vous, les habitants de l’Orr Ozfazi, il aurait fallu descendre de votre perchoir, plus tôt.

 Shrïn remit ses ennemis en joug. 

 – Parce que vous avez un moyen de partir d’ici, peut-être ? demanda Lonka en retenant ses larmes de rage.

 – Il se trouve que partir n’était pas mentionné dans notre organisation, répondit sèchement le Deikh Nemara.

 – Merci pour la leçon, on vous laisse volontiers l’organisation alors, rétorqua Irina. Nous sommes bien meilleur pour improviser. 

 – D’accord, dans ce cas, deivaten il t’…

 Shrïn fut coupé dans sa formule par une nouvelle détonation. « À terre !! », éructa Irina. L’onde de choc traversa le couloir et Shrïn perdit l’équilibre. Le trio se jeta au sol, la capitaine empoigna sa lance et activa aussitôt la gâchette incrustée le long du manche. Le tir fusa et frôla la jambe du Deikh.

 « N’y pensez même pas ! », il braqua son cyberponneur et tira à son tour, mais la force du recul le propulsa en arrière.

Le jet rayonnant éventra le toit dans un fracas assourdissant. 

 Derrière le nuage de poussière, l’ombre des engrenages s’agita. Une des grandes roues se décrocha de son piston et s’écrasa au milieu des débris, provoquant un choc sonore et des vibrations encore plus fortes. « On continue ! », cria Irina en se relevant.

 Bojän et Lonka se relevèrent à leur tour, déterminés, et la suivirent. La fille-méduse se retourna un instant pour observer les mouvements du Deikh avazen, en vain : la pénombre et les volutes de fumée bouchaient la vue.

 Le trio s’engouffra dans le couloir parallèle et, oubliant la fatigue, reprit une course soutenue. « Dogerez Pulcherra. Kolzenos al sèn », Lonka n’en crut pas ses oreilles.

 –  Les voix reprennent !! hurla-t-elle. On fait bonne route.

 Bojän et la capitaine Morgän n’eurent pas le temps de réagir qu’une autre voix les appela du fond du couloir. « Lonka ! T’es où ?! », c’était le timbre paniqué et excédé de Gojïn. « Continue de suivre nos voix ! », cria Bojän pour se faire entendre.

 Puis le sol se remit à vibrer. « Ah non ! Pas encore ! », éructa Irina alors que le corridor se détachait de ses dernières connexions.

 – Continuons de courir, le couloir pivote vers la base centrale ! s'exclama Lonka, sûre de son fait.

 Les détonations se multiplièrent, ainsi que l’écho de hurlements. La réponse stridente des Hantz indiquait qu’une bataille avait lieu. « Mais qu’est-ce qui se passe ici ? », soudain, le couloir bascula vers l’avant. Bojän, Irina et Lonka tombèrent et glissèrent sur la pente raide. 

 Expulsés du boyau, ils volèrent jusqu’à une plateforme et heurtèrent la surface dure non sans fracas. 

 Irina et Lonka se redressèrent à la hâte, mais Bojän resta à terre, hurlant de douleur. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ?! », trépida Lonka avant de remarquer sa cheville gonflée. C’est un cauchemar ! ça va pas finir ! « Lonka, au-dessus ! », siffla Irina sans prendre un temps de pause.  Elle leva les yeux et eut du mal à comprendre : d’innombrables chimères grimpaient les parois de cette voûte verticale, ralliée à une vingtaine d’autres couloirs par des orifices qui semblaient organiques. 

Les barbares jaillirent à leur tour des tubes, poursuivis par les bêtes chimériques. Ils se réceptionnèrent sur des paliers au-dessus, avant de reprendre leur joute avec les Hantz. 

Irina fit le tour de la plateforme, oscillant ses observations entre les combats et le vide en dessous, qui semblait sans fond dans cette obscurité ambiante. Lorsque l’un d’eux remarqua les trois défenseurs de Suän Or en contrebas, il décocha un flot de flèches de son arbalète. L’une d’elle se planta dans le pectoral de Bojän qui hurla de plus belle. « Arrêtez ! », s’emporta Lonka. Irina répondit par des tirs de lankoroi, mais une flèche l’atteignit à l’épaule et la désarma.

 Lonka se jeta sur Irina pour la protéger. Elles tombèrent à la renverse, avant qu’une flèche ne les transperce toutes les deux. Lonka hurla à son tour. 

 Les Hantz s’arrêtèrent net et tournèrent leurs globes rouges vers elle. Les guerriers avazen en profitèrent pour se disperser vers les nombreuses issues de sortie.

Un filet de sang s’échappa de la bouche du capitaine Morgän. Elle cracha l’hémoglobine sur le côté et reprit son souffle. « Ça va aller, ce n’est pas fini », dit-elle en fixant la jeune humarion de ses yeux colériques. 

Lonka ne réfléchit pas plus longtemps et s’extirpa de la flèche. Lorsque la tige parcourut ses entrailles, elle ne sentit qu’une gêne passagère. Ses yeux se gorgèrent de sang à nouveau. Des palpitations émanèrent de ses tentacules tronqués. 

Le bruit le plus rauque qu’elle n’ait jamais entendu résonna.

Un voile rouge tamisa l’intérieur de la colonne. 

Le deuxième écho de ce râle gargantuesque fit trembler les murs et souffla une bourrasque d’air empuanti. « Que… Quoi ? », rampant sur le bas-côté pour laisser Irina se dégager à son tour, Lonka vit d’abord les chimères mécaniques rebrousser chemin à la hâte. 

Une masse sombre s’éleva à côté de la plateforme. 

Un crâne gigantesque, serti de phares dix fois plus gros que les globes de ses congénères. Lorsque ses multiples regards remarquèrent les membres de l’escouade, la tête du monstre se laissa choir à nouveau dans les profondeurs.

Lonka, Irina et Bojän étaient pétrifiés. Leur corps pesait autant qu’une femelle sangiterre. 

Puis une vingtaine de tentacules jaillirent des ténèbres et entourèrent l’estrade. Les longes striées s’achevaient par des pinces acérées, habitées d’une prunelle rouge et menaçante dans leur paume.

Les appendices se tournèrent d’un même mouvement vers Lonka. « Je… », elle n’eut pas le temps de finir sa phrase : une des pinces la faucha sous le regard médusé de ses compagnons.

Le souffle coupé, elle n’émit aucun bruit, enlacée jusqu’à perdre la vue, puis entraînée dans le précipice.

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