Chapitre 74 : Un message pour Mikrion
La carcasse de la Noneimwald s’enfonçait lentement sous le niveau de la mer.
Redescendus à l’abri de l’immense hangar, Jorïs et Blekk parcouraient avec précaution les trois étages effondrés, formant une pente de corps et de débris jusqu’aux épaves de croiseurs se percutant dans la houle.
Le sifflement apaisant de la brise marine ponctuait la sérénade de cette arche éventrée.
– Tu es sûr qu’il va revenir ? demanda Blekk, de plus en plus perplexe.
– Il a dit qu’il reviendrait, il m’a parlé de ma sœur ! Je ne peux pas m’en aller comme ça, rétorqua Jorïs en observant les détails du seul croiseur encore intact.
– Sachant que d’ici très peu de temps, on ne pourra tout simplement plus sortir de cette épave, je pense qu’il serait tout de même bon de l’attendre autre part. On n’a pas besoin de beaucoup s’éloigner non plus hein…
Pressés par le plafond du dôme qui se rapprochait, un dilemme se présentait aux deux évadés : attendre le retour de l’être divin au risque de rester coincés à l’intérieur de l’arche, ou monter à bord du navire qui s’offrait à eux et quitter ces lieux, quitte à perdre la trace de leur bienfaiteur.
– Tout est fini, n’est-ce pas ? demanda Jorïs, songeur.
– Justement, si on ne monte pas, tout risque de vraiment s’achever.
Jorïs leva les yeux. Le plafond continuait à se rapprocher, petit à petit.
Puis il baissa la tête vers la robe étrangement noire de la Terre Bleue. Qu’est-ce que tu ferais, Lonka ?
Le vent siffla.
– D’accord, on monte !
– Parfait ! Ne perdons plus de temps.
Malgré ses diverses blessures et sa démarche claudicante, Blekk se pressa sur le quai.
Jorïs balada une dernière fois son regard dans les vestiges de la Noneimwald.
***
La bande dorée de l’Orr Ozfazi n’était plus qu’un horizon.
Cela faisait trois graduations de temps qu’il cherchait cette nef dans tous les cieux des environs. Il sentait l’instabilité de son métabolisme s’exprimer toujours plus par les radiances perçant à travers les craquelures de sa peau.
Quelque chose dans l’air perturbait son fluide.
Une onde grandissante. Serait-ce ce que je pense ?
Là, parmi les denses nuages blancs, il observa la course d’un éclat scintillant. D’un battement d’ailes agacé, Vaä le Raphakrion s’éleva au-dessus de la mer de nuées.
Je te tiens, jubila-t-il en découvrant la navette de la Gunma Nova graviter dans ce décor enchanteur.
Les nuages formaient des colonnes au loin, où le grondement des tempêtes résonnait. En levant les yeux, il voyait la couche sombre des frontières de l’atmosphère. Un sourire s’’esquissa aux commissures de ses lèvres gercées.
Le Raphakrion prit un peu plus de hauteur et, après un nouveau battement, recourba ses ailes pour fondre sur le repaire du Larj.
Il fracassa la baie vitrée et se réceptionna en enfonçant le plancher à ses pieds.
Ses ailes s’étendirent sur la largeur de la pièce en bousculant les divans entreposés jusqu’à l’orée des rideaux.
« J’ai beau me préparer à votre visite, vous n’êtes pas le bienvenu ! », gronda la voix encrassée de l’amiral avazen.
Il se posta au centre de la pièce et lui fit face, protégeant de sa lance de six pieds le monolithe orné de cryptos qui devait servir de base de contrôle.
Vaä balada ses yeux dans cet environnement décoré d’un mobilier luxueux et confortable parmi les diverses machineries. Il posa ensuite son regard sur le Larj. Ce dernier le fixait de ses yeux exorbités, engoncés sous un casque de guerre aux sombres courbes acérées. L’Aènjugger comprit le vain sursaut de vaillance de son hôte, tout comme il comprit les raisons de ces perturbations : toute son armure était faite d’obsidienne du Continent Monde, des piques en forme de crocs sur ses épaisses épaulières aux fibres reliant chaque pièce autour de ses jambes. « Je ressens ta présence, en effet. », confirma-t-il d’une voix étonnamment douce pour les oreilles brûlées de Xoneineim.
Il fit un pas en avant.
– En me tuant, tu ne sauras jamais ce qu’il va arriver. Ni vous, ni Avaloz n’êtes prêts pour...
– Je ne viens pas pour savoir quelque chose de toi, coupa le Raphakrion en s’avançant tranquillement vers son ennemi.
– Reste là ! Ne m’approche pas ! Je ne vais pas me laisser capturer comme ça !
– Je ne viens pas pour te capturer.
Face au ton plus ferme de l’ange, le Larj sentit une terrible pression l’étouffer. Ses tempes et sa gorge chauffaient au point de rappeler le souvenir brutal de son immolation. « Raaaah ! », il pointa sa lance et fonça sur Vaä. Le Raphakrion modela le parquet sous ses pieds et fit jaillir d’un mouvement de main un bras dur comme la roche. Le poing frappa le casque du Larj qui valdingua sur le côté.
Sonné, Xoneineim rampa jusqu’au premier mur, fixant, terrifié, la chimère ailée qui marchait tranquillement vers lui.
« Tu es coupable de génocide et de barbarie ; et responsable dans le complot visant le discrédit de l’Empire Avazen et de son Empereur, Nagavizius. », à mesure qu’il déclamait sa condamnation, la voix de l’ange devenait grave et résonnante. « Non, pourquoi l’armure ne marche pas ! », éructa le Larj, époumoné, en levant fébrilement la lance pour riposter. Vaä le désarma d’un simple balayement du bras. « Tu es coupable de tant de choses que tu ne mérites pas d’être capturé... ».
Vaä le Raphakrion leva son pied devant les yeux emplis de haine, de peur et d’incompréhension du Larj Xoneineim. La fronde s’abattit et la dernière chose qu’il entendit fut le bruit de la viande qu’on écrase. La fonte en obsidienne de son casque s’étala contre le mur, atomisée avec le reste.
Vaä inspecta de nouveau la pièce, imbibée d’une lumière chaleureuse et tamisée.
Hormis le bras sortant du sol, modelé par le bois et la ferraille du plancher – après s’être arrêté sur sa création pour la contempler, il la jugea d’une moue satisfaite – et les canapés qu’il avait mis en vrac, c’était propre et rangé.
Le vrombissement du système de gravitation accompagnait cette lancinante odyssée aérienne.
Il s’approcha alors du monolithe.
Au centre, le cryptoradar était chargé d’une aura rougeâtre qui le remplissait. C’était son aura.
Il inspecta consciencieusement le système radio. D’indices en indices, il trouva la fréquence souhaitée.
Les ondes grésillèrent un bon moment. Il répéta l’opération plusieurs fois. C’était sa seule chance de l’avoir. Des battements s’intensifièrent soudainement à travers les fréquences saturées. Vaä tendit l’oreille et perçut une voix, qui devint rapidement claire. « Et... voilà... Bon, que me vaut un nouvel appel de votre part, petit Larj ? », la voix était féminine et enjouée. Vaä n’avait plus de doute :
– Heureux de t’entendre, ma sœur.
– Oh ? Oh... – Après quelques hésitations, la voix poussa un léger ricanement – Ça faisait combien de temps, mon cher Va’a ?
– Je reconnais que ça fait si longtemps que je ne compte plus.
– Les bonnes excuses. Tu es l’ange de la paresse, petit frère. J’espère que ma petite recette t’aura diverti ?
– Pourquoi fais-tu ça ?
– Ma foi, c’est à Kommogus qu’il faut le demander.
Vaä posa ses mains sur la roche crypto.
– Gun’ma...
– Oh... disons que tu nous manquais.
– Réponds-moi ! s’exclama le Raphakrion – Les éclairages cillèrent –.
Gun’ma s’esclaffa. Face au silence glaçant de Vaä, elle finit par reprendre son sérieux.
– Pendant que tu étais en train d’hiberner dans ta jungle, la course à l’armement a pris un virage symbolique. Nos “grands” sont plus redoutables que jamais et l’Empereur cire le trône depuis trop longtemps, tu vois. Nagavizius reste un prétendant qui manque d’ambition et je ne serais pas contre un peu de sang frais.
– Tu n’es plus de son côté ? – Les doigts craquelés de l’Aènjugger se crispèrent. La vitre du cryptosonar incrusté dans la roche se fendit lentement –
– Oh si, ne t’inquiète pas, j’assure bien ses arrières, mais je ne m’opposerai pas à une provocation. Comprends par là qu’il est temps de rebattre les cartes et si tu veux être de la partie, tu es le bienvenu.
Vaä prit une profonde respiration.
– Écoute moi bien, Gun’ma la Mikrion, j’ai un message pour toi et pour nos frères et sœurs : je rejoins la partie, mais je ne suis pas seul. Tu vas bientôt comprendre ton erreur.
– Oh ! je t’attends ! Yvar t’attend aussi ! Et tant que j’y pense, j’en trépigne déjà d’impatience, je pense que Nagaän va...
Le Raphakrion coupa la transmission.
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