La cuisine

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 Face à moi se dessine la plus banale des scènes. Sur le sol carrelé à damiers se dressent un grand évier de restaurant luisant, un réfrigérateur imposant toute sa droiture, ainsi qu'un plan de travail parfaitement nettoyé. Une horloge en bois résonne à mes oreilles en un tic tac incessant. Au beau milieu, une table ronde recouverte d'une nappe blanche et entourée de quatre chaises identiques bloque la vue. Une unique fenêtre se présente sur le mur à ma gauche, derrière lequel se trouve le jardin. La pièce est si banale que j'en viens à me demander si elle est réelle.

 Si je suis ici, c'est pour résoudre un crime. Ce pauvre docteur Lenoir était très apprécié, peut-être un peu trop. Qui pourrait désirer la mort d'un tel homme ? Dans ses costumes parfaitement taillés et ses coutumes sans reproches, il était bon. Pendant une soirée annuelle au manoir Tudor, il ne nous a quittés qu'un seul instant, et pourtant, l'action a été si rapide. Et moi, j'ai sauté les deux pieds dans l'enquête, comme pour prouver que je ne suis pas le meurtrier. Suis-je en train de douter de moi-même ?

 Trêve de bavardages, il est temps de passer à l'action. J'analyse plus profondément la pièce face à moi. Je balaie du regard chaque meuble, chaque angle, chaque détail qui pourrait avoir son importance. Malgré tout, rien n'y fait. Tout ce que j'ai, c'est un téléphone dans la main. Depuis quand ? Aucune idée.

 Il est temps d'agir, et la seule action se présentant à moi est un coup de fil. J'allume l'appareil, et fais défiler les contacts. Il n'y en a que cinq : mademoiselle Rose, colonel Moutarde, madame Leblanc, madame Pervenche, professeur Violet. Toutes ces personnes étaient à la réception du docteur Lenoir, elles sont évidemment toutes suspectées du meurtre. Cependant, seul l'un d'entre eux est le véritable coupable, et je me suis fait la promesse de le trouver.

 Bon, le plus important est de faire quelque chose. Un peu confus, je sélectionne aléatoirement un nom, et j'appuie sur appeler, la main tremblante. Je porte le portable à mon oreille. Une sonnerie retentit, on dirait un étrange cri d'animal encore inconnu à ce jour. Le même bruit désagréable se fait de nouveau entendre, puis il se coupe sèchement. Une voix robotique s'élève finalement :

 « Vous vous apprêtez à poser une question à mademoiselle Rose. Veuillez énoncer clairement qui vous suspectez, avec quelle arme, et dans quelle pièce du manoir.

 - Je soupçonne le colonel Moutarde d'avoir tué le docteur Lenoir avec la corde dans le salon. »

 Les paroles que je viens de prononcer me paraissent absurdes. D'ailleurs, étaient-elles vraiment de moi ? Je sais parfaitement que la corde ne peut être l'arme du crime, car elle était sous mes yeux à ce moment-là : enroulée autour d'un pot contenant un superbe bouquet de fleurs. J'ai à peine le temps de réfléchir, que la voix monotone reprend son discours :

 « Voici la réponse de mademoiselle Rose. Ecoutez attentivement, vous ne l'entendrez qu'une seule fois. Mademoiselle Rose vous affirme que le meurtrier n'est pas le colonel Moutarde. »

 Pas étonnant. Le charismatique colonel n'est jamais absent à une réception avec buffet à volonté, et il ne s'en écarterait pour rien au monde. Un tintement aigu sonne comme un écho dans mon crâne tandis qu'un frisson me parcourt l'échine. Alors que ma seule activité disponible arrive à sa fin, un élément du décor que je n'avais pas encore remarqué pique ma curiosité. En contrebas, dans un angle dépourvu de décors, plongent les marches d'un escalier en colimaçon.

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