Le petit salon
Ebahi, me voilà face à un nouveau lieu inconnu.
Je suis assis sur un canapé très peu confortable et à l'aspect repoussant, d'un teint vert pâle et d'une texture peu moelleuse. D'ailleurs, un autre sofa fait face à celui-ci, bordé de deux fauteuils de la même apparence repoussante. Répartis autour d'une table basse rectangulaire décorée d'un vase vide, j'ai l'impression d'être à un interrogatoire, mais tout seul. À l'opposé de la pièce est fixée une imposante cheminée dont la chaleur se répand dans le salon comme une vague de malaise. Et si le docteur Lenoir était mort ici ?
Je n'ai pas eu l'occasion de visiter l'intégralité du manoir, comme tout le monde d'ailleurs, mais cette pièce ne suscite chez moi que de l'inconfort et de la tension. Un frisson me parcourt l'échine. Je réfléchis patiemment avant d'agir, malgré la panique grandissant dans mon ventre.
Mais mes réflexions sont interrompues par une sonnerie de téléphone. Vous savez, ces vieilles mélodies de téléphone fixe qu'on entend dans tous les films et séries. Je baisse les yeux sur l'appareil agé, et pourtant parfaitement entretenu. Il brille d'un noir ténébreux, presque obscur, à côté du vase turquoise parsemé de points blancs. Il n'était pas là, tout à l'heure, pas vrai ?
Je décide tout de même de décrocher, et la voix grave du robot refait son apparition.
« Madame Pervenche s'apprête à vous poser une question. Veuillez écouter attentivement le suspect, l'arme et la pièce du manoir énoncés. »
La conversation s'entrecoupe d'un crépitement qui me crispe la mâchoire. Je fronce les sourcils et écarte d'instinct l'oreille du combiné un bref instant. Puis, un tintement attire mon attention. Je rapproche le téléphone jusqu'à reconnaître le timbre de madame Pervenche, cette vieille garce.
« Je soupçonne le professeur Violet d'avoir tué le docteur Lenoir avec le chandelier dans le jardin. »
Evidemment qu'elle soupçonne ce pauvre professeur, elle n'a jamais pu l'encadrer. Malheureusement pour lui, je ne peux prouver son innocence. Cependant, je me souviens avoir aperçu un sublime chandelier dans le hall, quand nous sommes tous entrés la veille. Sa lueur argentée illuminait l'immense salle.
Je réfléchis un instant. Est-ce qu'il était toujours présent au moment du crime ? Honnêtement, je ne sais plus, ma mémoire me joue des tours. Cependant, je suis presque certain que tuer quelqu'un dans le hall serait une grave erreur, car il y a une caméra de vidéosurveillance à chaque angle. Pour tuer le docteur Lenoir, il faut bien préparer son coup, alors j'élimine immédiatement le hall.
« Veuillez énoncer clairement un seul élément que vous ne suspectez pas. La réponse sera transférée à madame Pervenche une seule et unique fois.
- J'affirme que le lieu du crime n'est pas le hall. »
Sans même un « merci » ou un « bonne chance », mon interlocuteur raccroche, et me voilà de nouveau dans ce salon bercé uniquement par le crépitement des flammes. Je suppose que je peux me déplacer sans crainte, à présent. Je lance mon radar et balaie la pièce. Un élément, un seul, pourrait m'aider à assurer mon innocence, et trouver par la même occasion l'affreux coupable.
Soudainement, comme un éclair, un détail du décor me frappe. Un tout petit fragment d'un immense puzzle. Au bord du tapis soigneusement étalé devant la cheminée, il y a une montre ensanglantée. Qui la laisserait ici ? Non, meilleure question : pourquoi ? Il n'y avait qu'une seule personne avec une montre à la réception, et elle ne s'en serait séparée pour rien au monde, sauf peut-être un crime. Peut-être a-t-elle essayé de la jeter dans le feu ?
Je suis brusquement tiré de mes pensées par un grincement soudain, me faisant sursauter. Une porte vient de s'ouvrir derrière moi.
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