11 - Le rouge ne va pas à tout le monde…

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Quelques jours plus tard, Elena se décide à créer une somptueuse robe à partir de la dentelle achetée lors de la foire de Méridelle. Elle convoque toutes les couturières du château pour qu’elles s’affairent à confectionner le plus beau vêtement jamais vu.

La journée passe et la robe prend forme. C’est après de nombreuses heures de croquis, de découpes, de couture et après avoir senti de multiples aiguilles la piquer, qu’Elena peut enfin admirer le résultat. Toutes les travailleuses restent subjuguées par tant de splendeur. La robe épouse délicatement ses formes sans la serrer, le décolleté laisse apparaître de manière discrète une partie de sa poitrine, mise en valeur. Le tissu blanc délicatement brodé lui donne des allures de mariée. Epouser Lucas, elle en rêve secrètement, mais il est bien trop tôt pour y penser. Encore faut-il qu’elle le revoit un jour. Elle a cependant le sentiment qu’elle ne devra plus attendre longtemps avant que l’occasion se présente.

Sa mère, qui vient à sa rencontre, entrevoit la scène et en a presque le souffle coupé. Sa fille est magnifique. La reine oublierait presque qu’Elena est la personne la plus controversée de tous les royaumes. Mais sur le moment, elle n’a rien de nymphomane, de garce, d’une fille à problèmes, jalouse et agressive… Elle est juste sublime. Ce n’est pas sans émotion que sa mère reprend ses esprits et entre dans la chambre, après avoir regardé quelques instants son enfant, dans cette robe qui semble avoir été créée par des anges.

- Mère ? demande la princesse.

- Ma chère fille, vous êtes resplendissante, exprime celle-ci, encore émotive.

- Merci beaucoup, répond Elena, presque déstabilisée de voir une certaine fierté dans les yeux de sa mère. Vous souhaitiez me dire quelque chose ? ajoute-t-elle.

- Je me permets de venir vous annoncer que votre ami est actuellement au château…

- Lucas ? interrompt Elena.

- Si votre meunier se prénomme Lucas, il s’agit donc bien de lui.

Elena sauterait bien de joie mais elle risquerait d’abîmer sa robe qui a demandé des heures de travail. Elle remercie sa mère qui quitte la chambre, enlève délicatement la robe de dentelle aidée des couturières et demande à être seule pour se préparer. Elle prend une vingtaine de minutes pour s’apprêter mais pas trop. Elle ne souhaite pas être belle au point de paraître désespérée lorsqu’elle reverra Lucas après deux mois d’éloignement.

Après qu’on lui ait indiqué où se trouve le jeune homme, Elena descend en direction des cuisines. C’est assez drôle, elle repense à sa première rencontre avec Lucas, au même endroit, quand elle l’avait bousculé. Mais très vite l’amusement laisse place à l’anxiété. La princesse devient nerveuse à l’idée de revoir son camarade. Elle a à peine le temps d’entrer dans l’une des cuisines, qu’on l’interpelle :

- Elena.

- Oui, dit-elle en cherchant son interlocuteur.

Elle se retourne et voit Lucas. En une seconde son cœur s’emballe et elle tente tant bien que mal de ne laisser paraître aucune émotion. Sans un mot, les deux amis se prennent dans les bras timidement.

- Tu m’as manqué, lance Elena, en regrettant instantanément ces mots, par peur de passer pour une fille sensible. Que fais-tu ici ? ajoute-t-elle.

- Oh, j’avais quelques services à faire par ici. Je repars dès demain matin à la citadelle de Montecul.

- Peut-être pourrions-nous passer la soirée ensemble ? demande la princesse. Ce fameux soir de novembre, tu es parti en un claquement de doigts et depuis je n’ai eu des nouvelles de toi que par l’intermédiaire d’autres personnes, dit Elena sur un ton presque réprobateur.

- Je pensais aller voir ma famille et diner avec eux, mais pourquoi ne pas se rejoindre au moulin vers vingt et une heures ? répond Lucas.

- Très bien, à toute à l’heure, dit-elle.

Elena est troublée. Bien qu’elle soit heureuse d’avoir retrouvé son coup de cœur, elle reste perplexe. Si elle semblait excitée à l’idée de le revoir, lui, ne dégageait pas tellement une grande joie. Le château, le travail, la famille, tout paraît passer avant elle. Et si elle s’était fait des idées tout ce temps ? Si depuis leur rencontre, Lucas ne ressentait que de l’amitié ? La jeune femme remonte dans sa chambre, tourmentée. Une fois devant son miroir, elle décide de se motiver en apercevant la robe de dentelle derrière elle.

- Rien de bon n’arrivera si je reste dépitée, pense-t-elle.

Commence alors la longue préparation pour être parfaite aux yeux du bien aimé. Après avoir appliqué un masque à la bave d’escargot et être venue à bout du moindre poil rebelle, elle se lave et se détend dans un bain aux huiles de lavande. Puis, elle enduit sa peau d’huile d’amande avant d’enfiler la fameuse robe en dentelle. Un peu de poudre sur le visage et de jus de fraise pour colorer discrètement ses lèvres. Elle brosse ensuite ses longs cheveux avant de les relever et de faire un chignon, laissant quelques mèches tomber. Elle finit par mettre des boucles d’oreilles en nacre puis se parfume. Elle est prête. Ce n’est pas sans stress qu’Elena quitte sa chambre.

Il est vingt heures trente. Il lui reste juste assez de temps pour s’acheminer jusqu’au moulin. Contrairement à son habitude, Elena s’y rend en carrosse. Elle ne peut pas marcher autant avec cette robe, au risque de la déchirer. Arrivée devant le bâtiment, Lucas lui ouvre. Elle est très vite déçue, l’intérieur du moulin n’a rien d’inhabituel. Elle pensait que le jeune homme créerait une petite atmosphère romantique pour leurs retrouvailles, mais elle réalise vite qu’il n’y a rien de sentimental à ce rendez-vous.

- Me voilà, marmonne Elena, ayant bien du mal à cacher sa déception.

- Prends place, dit le jeune homme en lui indiquant une chaise.

Le « prends place » achève la jeune femme. Elle se sent comme convoquée à un tribunal pour entendre sa sentence. En quelques minutes, Elena vit une totale désillusion. Cependant, elle tente de faire bonne figure en s’accrochant aux infimes derniers espoirs qu’elle a au fond d’elle.

- Tu es éclatante de beauté, lance Lucas.

Coupée dans ses pensées, la jeune femme se sent soudainement rassurée et sourit en le remerciant. Malgré cela, les minutes défilent et les deux camarades ne parlent que de sujets sans grands intérêts. Elena se sent de plus en plus mal à l’aise, elle qui a toujours apprécié la compagnie du jeune homme. Elle transpire beaucoup, à tel point que la dentelle située au niveau de ses aisselles vire au jaune. Quand elle le remarque, Elena s’emporte nerveusement :

- Eh bien, regarde-nous ! Bêtes comme nos pieds !

- En effet, ce ne sont pas nos meilleures discussions, répond Lucas, témoin de la gêne d’Elena. Ecoute, j’ai quelque chose d’important à te dire, ce n’est pas facile !

Totalement perdue, la jeune femme ne sait plus quoi penser de la situation. Va-t-il lui déclarer ses sentiments ou au contraire lui annoncer une mauvaise nouvelle ? Elle n’est plus à un problème près.

- Je t’écoute Lucas, tu sais que tu peux tout me dire, répond Elena en se rapprochant du jeune homme.

- Voilà, je…

Lucas n’a même pas le temps de placer deux mots, que la jeune femme est brusquement prise de douleurs au ventre.

- Excuse-moi, tu disais ?

- Je dois t’avouer…

- Oh punaise ! interrompt Elena. Je ne sais pas ce que j’ai mais mon ventre me fait sacrément mal. Peut-être, suis-je trop nerveuse ?

Soudainement, la dentelle devient rouge au niveau de son entrejambes.

Lucas s’écarte, surpris, alors qu’Elena, désespérée, crie :

- C’est une blague ? Mère Nature, maintenant ?

La princesse a ses règles. La magnifique robe tachée de sang et par la transpiration n’est plus qu’un bout de tissu souillé. C’en est trop, Elena ne peut rester une seconde de plus. Enervée et ayant toujours ces douleurs abominables au ventre, elle sort brutalement du moulin, fait signe au cocher et monte à bord du carrosse. En quelques secondes, le véhicule s’éloigne dans la nuit profonde. Lucas n’a même pas eu le temps de réagir, que la jeune demoiselle est déjà loin.

Sur le chemin du retour, pliée en deux sur le siège, Elena s’effondre en larmes. Elle n’avait pas une seule seconde imaginé ses retrouvailles avec Lucas comme cela. C’est sans réponse, quant à l’attitude de Lucas, qu’elle arrive au château et fonce directement dans sa chambre. A bouts de nerfs, la jeune femme déchire sa robe et jette les morceaux dans tous les sens, sans jamais cesser de pleurer. Après s’être rapidement lavée et débarbouillée, elle se couche en espérant que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve.

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