13 - D’un invité, tu te méfieras…

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- C’est le grand jour ! Tu ne peux plus faire marche arrière ! dit Elena en rigolant, alors qu’elle aide Cunégonde à enfiler sa robe de mariée.

- Certes, je suis nerveuse, mais j’aime Octave, répond son amie.

Elena ne laisse rien transparaître ni dans son attitude ni sur son visage, mais elle est inquiète pour sa meilleure copine. Elle se souvient de ce fameux soir au Griffon d’Or où Cunégonde lui a présenté Octave, et que les amoureux lui ont annoncé leur futur mariage, alors qu’ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines. Alors une union quelques mois après, tout cela n’est-il pas précipité ? Malgré cette légère crainte, elle est sincèrement heureuse pour son amie. Elle ne ressent pas une once de jalousie. Après tout, elle est mal placée pour juger la vie sentimentale de quiconque.

Quelques dernières retouches maquillage et coiffure et le moment est arrivé. Cunégonde attrape son bouquet et les deux jeunes femmes quittent la chambre de la mariée, descendent les escaliers, sortent de la maison et prennent place dans un magnifique carrosse. Seules quelques minutes suffisent pour se rendre au lieu de réception. Il s’agit d’un magnifique manoir isolé, non loin de la citadelle de Cruchagne. Les fiancés souhaitant un mariage intime, il n’y a qu’environ soixante-dix invités. Tous ont déjà pris place à l’intérieur de la chapelle privée de l’habitation et attendent avec impatience l’arrivée de la mariée. Elena descend la première du véhicule afin d’aider son amie. Cunégonde est ravissante. Elle revêt une robe de soie blanche, aux manches longues, qui s’arrête au niveau de ses chevilles. Si elle a fait une croix sur la longue traîne, Cunégonde a tout de même tenté de porter des chaussures à talons, malgré le fait que la cérémonie se déroule au mois de Mars, par un temps neigeux. Les deux femmes prennent leur temps pour réaliser les quelques mètres enneigés entre le carrosse et l’entrée de la chapelle. Les portes s’ouvrent, Elena s’éclipse vite pour s’asseoir alors que la musique commence à résonner. La mariée fait son entrée. Tout le monde reste sans voix, Cunégonde est si belle.

- Putain, trop belle ! chuchote Elena qui a déjà les larmes aux yeux.

- Chut ! Surveillez votre langage ! murmure le père de la mariée, qui n’a jamais vraiment apprécié la vulgarité de la princesse.

Cunégonde prend place aux côtés d’Octave, ému par la beauté de sa future femme. La cérémonie se déroule sans encombre puis tout ce petit monde quitte la chapelle, heureux, en direction de la salle de réception. Les convives n’ont pas fini d’être émerveillés. Après la mariée, la cérémonie, c’est la décoration de la salle qui les laisse bouche bée. L’hiver étant le thème choisi, les tons blancs sont bien évidemment présents partout où l’œil se pose, sans pour autant créer une overdose ou un mal de tête chez chaque invité. Seules les fleurs, aux nuances beiges et roses, viennent rompre avec tout ce blanc. Le souci du détail est également visible jusqu’au moindre objet. On note par exemple les magnifiques drageoirs en porcelaine où l’on peut distinguer des flocons de neige, légèrement réalisés en relief. Les grandes baies vitrées laissent entrer la lumière et permettent aux invités de voir un magnifique ciel bleu égayant les paysages enneigés des jardins et des alentours. On se croirait dans la salle de bal d’une reine des glaces. Rien ne peut gâcher cette journée.

- Lucas ? dit Elena, surprise de voir le jeune homme. Que fait-il ici ? Il n’a jamais vraiment eu l’occasion de rencontrer et de faire connaissance avec Cunégonde et Octave.

- Bonjour Elena. Tu es splendide, comme à ton habitude, répond Lucas. C’est vrai qu’elle est jolie. Cependant, elle n’a pas fait d’énormes efforts pour se préparer. C’est la journée de sa meilleure amie et elle ne souhaite pas lui voler la vedette. Elle a donc choisi, quelques jours auparavant, une simple robe rouge. Son unique condition était de ne pas porter une robe en dentelle. La dentelle, elle en a de très mauvais souvenirs.

- Merci beaucoup. Que nous vaut ta présence ? demande la princesse, toujours affectée par les évènements passés au moulin.

- Il est ici pour le service, intervient Cunégonde. Lucas s’est gentiment proposé pour faire partie du personnel du mariage.

- Tiens ! Pourquoi une telle poussée de gentillesse envers les mariés alors qu’il ne s’est même pas soucié de prendre de mes nouvelles ? pense Elena.

- Bien le bonjour, Princesse de Cruchagne !

La jeune femme se retourne et voit Geoffrey de Montecul.

- Il ne manquait plus que vous ! réplique la demoiselle, tentant de rester calme.

Pour un mariage en petit comité, voilà deux invités qui semblent faire tâche au milieu des autres personnes présentes… Très vite, Elena retrouve le sourire et chasse toutes ces questions de son esprit. Après tout, Lucas est ici, c’est le plus important. Cependant, elle ne montre plus la même joie de le voir qu’auparavant. Elle sent qu’elle doit se protéger et ne sait toujours pas ce qu’il souhaitait lui annoncer ce fameux soir, au moulin.

Les célébrations durent toute la journée. On mange, on boit, on éclate de rire, on s’amuse, on reste émerveillé par toute cette décoration raffinée… En début de soirée, alors que la nuit tombe, le moment tant attendu par les convives est arrivé. En quelques secondes les bruits cessent, tout le monde se tait et chacun est attentif. Les mariés s’avancent au milieu de la salle pour la première danse. C’est avec beaucoup d’émotion qu’Elena assiste à cette démonstration. Elle ressent tant de bonheur pour son amie. Octave, qu’elle avait rabaissé lors de leur première rencontre, lui semble désormais l’époux idéal pour Cunégonde. Elle ne peut se retenir de verser une petite larme en voyant les amoureux danser.

Les festivités se poursuivent. Vers vingt-trois heures, la mariée annonce le traditionnel lancer de bouquet. Les jeunes femmes célibataires se regroupent derrière elle, prêtes à attraper l’objet de superstition.

- Attention ! Trois, deux, un ! s’exclame Cunégonde en jetant en arrière le magnifique bouquet d’hellébores aux tons blancs, jaunes et roses.

Les demoiselles se précipitent dans l’espoir de s’emparer de celui-ci. Une d’elles finit par le recevoir et hurle de joie. Toutes les autres affichent un sourire pincé et tentent de faire bonne figure en félicitant la gagnante. Elena n’a pas reçu le bouquet. Elle se dit que c’est forcément un signe et qu’elle n’est pas prête de trouver chaussure à son pied. C’est sur ces pensées, qu’Elena remarque l’absence de Lucas. En effet, depuis le diner où il a servi, la princesse ne l’a pas vu. Ni lors de la première danse, ni pendant les autres jeux, ni maintenant. C’est curieuse qu’elle se met à le chercher. Elle jette un coup d’œil dans la salle de réception, dans les cuisines, s’aventure même dans les étages supérieurs du manoir. Rien, Lucas est introuvable. Elena n’est même pas inquiète, le jeune homme lui a déjà fait le coup de disparaître subitement et de ne jamais donner de nouvelles. Elle retourne dans la salle et se dirige vers la porte vitrée qui donne sur les jardins. Hésitante dans un premier temps dû à la fraicheur nocturne de l’hiver, elle sort courageusement en vue de trouver le jeune homme. Après quelques minutes passées dehors, Elena est frigorifiée et décide de retourner à la fête. Quand soudainement, elle perçoit quelques rires étouffés. Elle prend la direction des sons qui deviennent de plus en plus clairs à mesure qu’elle s’approche. Elle finit par distinguer des formes, isolées au fond du jardin. Il semblerait que ce soit deux personnes.

- Oh, les coquins ! Ils sont bien courageux de se donner quelques plaisirs par ce froid glacial, pense Elena.

Prise d’une curiosité mal placée, elle décide d’avancer encore de quelques pas pour voir qui sont ces deux individus.

- C’est la lune qui se moque du soleil ! Putain, ce n’est pas possible ! hurle Elena en découvrant qu’il s’agit de Lucas s’amusant avec Geoffrey.

- Attend, je vais tout t’expliquer ! répond Lucas, terriblement confus.

- Homos ! Homos ! C’est donc ça que tu voulais m’avouer cette nuit-là au moulin ? Que je suis conne. Tout est clair maintenant. Je ne t’ai jamais manqué, tu n’as jamais rien ressenti de plus que de l’amitié pour moi. Voilà pourquoi tu ne m’as jamais donné de nouvelles.

- Elena, calme-toi. Viens on va en parler tous les deux, dit le jeune homme en prenant la princesse par le bras.

- Mais vas-y, lâche-moi ! réagit-elle en repoussant le garçon. Que tu sois gay, c’est une chose. Mais que tu sois apparemment en couple avec Geoffrey, c’en est une autre. Je vous laisse à vos ébats ! rajoute-t-elle en s’éloignant.

- Elena, s’il te plait !

- Laisse-la, intervient Geoffrey. Cette fille n’est qu’une frustrée d’une jalousie maladive. Elle n’assume pas ses conneries et envie tous ceux qui l’entourent. Elle est folle ! ajoute-t-il en ricanant.

- Moi je suis folle ? Moi je suis folle ? Répète ça ! gueule la jeune femme.

Geoffrey n’a même pas le temps de prononcer un seul mot, qu’Elena le gifle de toutes ses forces.

- La folle, elle te crache à la gueule ! dit la princesse en crachant réellement au visage du concerné.

Doublement humiliée, elle se ressaisit par respect pour les mariés et rejoint les invités sans faire de scandale en public. De retour à la salle de réception, elle affiche un sourire exagéré, se retenant de pleurer, et se met à danser pour libérer toute la colère qui monte en elle.

Le mariage prend fin petit à petit et les convives commencent à partir. Assise seule à une table, Elena mange ses émotions en dévorant les restes de l’énorme pièce montée faite de choux à la noix de coco. Sur le point de quitter le manoir avec ses parents, une fillette prend son manteau, posé sur la chaise voisine à celle de la princesse.

- C’est toi la prostituée de Cruchagne ? demande-t-elle d’un air innocent.

- Excuse-moi ? répond Elena déconcertée.

- Bah oui ! C’est ce qu’on raconte dans ma famille. Alors, c’est vrai ? Tu es une prostituée ? réplique la gamine en affichant un sourire moqueur.

- Tu sais quoi ? Reviens me parler quand tu auras mon âge ! Tu feras moins la maligne, petite peste ! riposte la jeune femme, avant de se lever et de rejoindre ses parents.

Après avoir salué et félicité Cunégonde et Octave, Elena, en compagnie du roi et de la reine, monte dans un carrosse en direction du château de Cruchagne et quitte la propriété.

Fatiguée, la princesse ne souhaite garder en tête que le meilleur de cette journée. En ce qui concerne Lucas, elle ne veut plus en entendre parler. Malgré les incidents lors de la soirée au moulin, il aurait pu insister les jours suivants pour la voir à nouveau et tout lui avouer. Au lieu de cela, il n’a jamais donné de nouvelles.

- Qu’ils soient heureux ensemble, bafouille Elena avant de s’endormir sur l’épaule de sa mère.

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